Solidarité
numérique avec le Sud
Par Christian FERRAZINO, Michel DESTOT
et Gérard COLLOMB
Engagés
dans un fonds mondial, villes et pouvoirs locaux s'engagent à
réduire la fracture.
Selon un rituel bien rodé, des conférences
internationales réunissent périodiquement des chefs
d'Etat et de gouvernement sur des thèmes qui focalisent l'attention
politique mondiale, que ce soit au sujet du développement,
de l'environnement, de la pauvreté, du désarmement,
de l'économie ou de la santé. Les représentants
de l'ordre international dégagent ainsi les orientations du
droit mondial émergeant et consolident les bases d'une réglementation
mondiale. Les acteurs de ces enjeux se retrouvent quelques années
plus tard pour veiller à la mise en oeuvre effective de ces
promesses. Après une dizaine de sommets, la rencontre du millénaire
n'a pas dérogé à la règle.
Les chefs d'Etat réunis à l'occasion du millénaire
se sont fixé des buts ambitieux à remplir d'ici à
2015. Alors que les finances publiques des Etats les plus concernés
sont au plus mal, ils proposent de collecter, chaque année,
entre 50 et 60 milliards de dollars supplémentaires pour répondre
à leurs objectifs. Pour réaliser ce tour de force, les
Etats prélèveraient une dîme sur les bénéfices
résultant pour l'économie mondiale de la transition
vers la mondialisation. Ce raisonnement pèche au moins par
trois défauts.
En premier lieu, la matérialisation d'un impôt mondial
reste aujourd'hui encore illusoire. Les institutions politiques n'existent
pas pour créer cet impôt et le consensus politique pour
de tels engagements fait défaut. Par ailleurs, les résultats
concrets de l'aide au développement suscitent un scepticisme
si légitime qu'il ne favorise pas une action d'ampleur au niveau
international. Renverser ce sentiment nécessite un travail
que les Etats ne sont pas disposés à engager.
Enfin, même si les Etats évoquent volontiers «la
mondialisation de la solidarité», leur légitimité
reste limitée à la négociation internationale.
En d'autres termes, la portée de leur intervention se limite
à la solidarité internationale, une solidarité
faite de consentements mutuels autour d'objectifs communs. C'est le
sens du 0,7 % du PNB que chaque pays industrialisé a accepté
d'accorder à l'aide au développement.
Pourtant, personne ne conteste aujourd'hui la nécessité
d'efforts décuplés pour répondre au défi
de la pauvreté, des pandémies, de l'environnement, de
l'accès aux connaissances, de la défense de notre patrimoine,
etc. Depuis plusieurs années, les collectivités locales
des pays développés, conscientes de leurs responsabilités,
se sont engagées dans une politique active de coopération
décentralisée avec leurs homologues du Sud. En Suisse,
la ville de Genève est pionnière en la matière.
En France, les communes tirent profit de la loi de 1992 donnant enfin
un cadre juridique à la coopération décentralisée
pour mener des politiques ambitieuses, qui refusent l'assistanat et
optent pour le partenariat. Les efforts de Grenoble et de Lyon ont
d'ailleurs été reconnus par l'Association internationale
des maires francophones lors du sommet de la Francophonie réuni
à Ouagadougou en novembre 2004. Le président Abdou Diouf
le rappelait avec justesse à Grenoble lors d'une conférence
sur «la Francophonie, espace de solidarité», préparatoire
au sommet : «La coopération décentralisée
et l'implication profonde des populations qu'elle requiert sont une
voie à privilégier dans notre vision à long terme
des modes d'intervention de grands ensembles comme la francophonie.
Elle permet de combiner notre vocation de solidarité et nos
ambitions pour le développement durable.»
Parce qu'elle ne repose pas sur le principe de la négociation
mais sur le volontarisme, l'action des villes est plus simple à
mettre en oeuvre. Elle fait appel au sens des responsabilités
de toutes les institutions qu'elles soient publiques ou privées,
locales, régionales ou internationales, laïques ou religieuses.
Le Fonds sida répond partiellement à cette approche.
C'est d'ailleurs en s'inspirant de ce fonds qu'a été
réalisée une autre démarche qui, à bien
des égards, pourrait jeter les bases d'une vraie solidarité
mondiale. Il s'agit du Fonds mondial de solidarité numérique
(FSN) proposé par le président Abdoulaye Wade à
l'occasion du premier Sommet mondial des villes et des pouvoirs locaux
sur la société de l'information qui s'est tenu à
Lyon en décembre 2003. En appelant l'ensemble des villes et
des pouvoirs locaux du monde à soutenir le principe de ce nouveau
fonds, les représentants des pouvoirs locaux se sont substitués,
pour la première fois dans l'histoire de la négociation
internationale, aux représentants des gouvernements. Cette
irruption délibérée du local dans une négociation
internationale classique s'est affirmée lors du premier Sommet
mondial des Nations unies sur la société de l'information
de Genève, en décembre 2003, où l'on vit deux
maires annoncer, en plénière, devant les hauts représentants
des Etats que, face à la défaillance des Etats, ils
soutiendraient et participeraient à la création du Fonds
mondial de solidarité numérique initié par le
président du Sénégal.
Le Fonds mondial de solidarité numérique a pour originalité
de mobiliser, en première ligne, les pouvoirs locaux (villes,
départements, provinces, régions, Länder, etc.)
Les autorités locales et régionales connaissent bien
les aspirations et les besoins des populations locales et elles sont
généralement mieux placées pour dégager
des priorités, opérer des choix et déterminer
des solutions adaptées aux conditions de vie des collectivités.
L'engagement des pouvoirs locaux ne se limite pas au
versement de subventions. Il propose un nouveau mécanisme de
financement du développement qui permettra de répondre
aux défis de la fracture numérique que les institutions
internationales existantes ont laissé se creuser. La proposition
a le mérite de la simplicité et de l'efficacité.
Elle appelle toutes les institutions publiques, que ce soit au niveau
de la commune, du département, de la province, de la Région
ou de l'Etat et des organisations internationales, à incorporer
dans tous leurs appels d'offres vers des prestataires de biens ou
de services numériques «un engagement de solidarité
numérique» , sous la forme du versement d'un pour cent
du montant de la transaction au Fonds mondial de solidarité
numérique (ce versement devra s'effectuer sur les marges bénéficiaires
du fournisseur.) Cette démarche de solidarité s'effectue
ainsi sans peser sur les finances publiques et bénéficie
en dernier lieu au fournisseur qui, à travers l'activité
du fonds, se crée de nouveaux marchés actuellement insolvables.
De nombreuses villes et plusieurs institutions locales et régionales
se sont déjà déclarées vivement intéressées
par ce principe que la ville de Genève est la première
à mettre en oeuvre à partir du 1er janvier 2005. Pour
donner corps et une dimension véritablement globale à
ce principe, Genève accueillera en 2006 au lendemain du «deuxième
Sommet du millénaire» à New York, une conférence
mondiale d'un type nouveau qui permettra à tous les acteurs
du développement, d'où qu'ils viennent, de souscrire
à ce principe de solidarité numérique.
Ainsi, une année après le premier Sommet des villes
et des pouvoirs locaux de Lyon, le Fonds mondial de solidarité
numérique, en réunissant sur une base volontaire tous
les acteurs qui veulent combattre la fracture numérique, ouvre
la voie d'une nouvelle approche de la solidarité mondiale.
Au seuil du XXIe siècle, cette démarche des acteurs
locaux qui a déjà obtenu l'aval des Nations unies, s'inscrit
dans la volonté de compléter l'action des gouvernements.
Elle mérite doublement l'attention. D'abord, en multipliant
les acteurs qui s'inscrivent dans le jeu de la solidarité,
elle augmente sensiblement les montants qu'il s'agira de mobiliser
pour répondre aux défis du millénaire, ensuite
elle obligera de renouveler fondamentalement les concepts mêmes
de l'aide publique, car le contrôle des citoyens sur l'aide
publique au développement en sera renforcé. L'engagement
«mondial» des pouvoirs locaux apparaît ainsi plus
que jamais la meilleure voie pour gagner le pari lancé en septembre
2000 par les chefs d'Etat réunis à New York autour du
secrétaire général des Nations unies. La participation
active des villes et des pouvoirs locaux à la création
du Fonds mondial de solidarité numérique fournit une
première preuve, par l'acte, qu'une mondialisation de la solidarité
est possible.
Christian Ferrazino, porte-parole du Fonds mondial de solidarité
numérique, maire de Genève (2002-2003).
Michel Destot, député-maire de Grenoble. Gérard
Collomb, sénateur-maire de Lyon.
Etonnant, non ? (NDLR)
Paru
dans Libération, le Lundi
14 mars 2005
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