L’impact des TIC sur le développement en Afrique
Par
Gerba Malam et Afrique Expansion
L’histoire
se répéterait-elle? Au lendemain des indépendances des pays africains
dans les années 60, de nombreux experts occidentaux en communication
avaient soutenu que la diffusion de la technologie dans les pays du
Tiers-Monde allait favoriser et même accélérer leur développement
socio-économique. Le chef de file de cette approche était l’Américain
Wilbur Schramm qui décrivait dans son célèbre ouvrage
L’information et le développement national les espoirs que la
télévision représentait pour l’éducation et le développement. L’impact
de la télévision sur le développement s’est finalement révélé très loin
des attentes. Qu’à cela ne tienne! Les technologies de l’information et
de la communication (TIC) ont pris la relève. On leur attribue
aujourd’hui le pouvoir de transformer économiquement et socialement une
société. Peuvent-elles réussir là où les autres technologies ont échoué
?
Avant
de répondre à cette question, il faut examiner d’abord la situation en
Afrique en termes de pénétration de ces nouvelles technologies.
S’agissant d’Internet, le continent africain est considéré comme la
région la plus en retard au monde avec seulement 5,5%
d’utilisateurs et un taux de pénétration de 7%. En revanche, la
téléphonie mobile a littéralement explosé avec un taux de progression
de plus de 500% en moins de dix ans et un taux moyen de pénétration de
37%. Résultat : entre 1998 et 2009, les abonnements au
mobile sont passés de 2 à plus de 450 millions. De bonnes nouvelles
aussi du côté de la fibre optique : l’Afrique décuplera la
capacité de sa bande internet internationale à la fin de 2012. Des
milliers de kilomètres de câbles sous-marins sont en train d’être
déployés le long de ses côtes. Environ 15 câbles à fibre optique
sous-marins, fournissant un débit total de 32 térabits/seconde,
ceinturent le continent.
Dans
l’ensemble donc, même si la fracture numérique reste encore très
prononcée pour l’ordinateur ou le réseau Internet, les téléphones
portables se portent très bien. Quoi qu’on dise, le déploiement des
infrastructures se poursuit à un rythme accéléré. Tous ces efforts
ont-ils un impact sur le développement ? À ce sujet, les avis sont très
partagés.
D’un côté, il y a ceux qui défendent les bienfaits des nouvelles
technologies. Selon eux, les progrès technologiques rapides dans les
pays en développement ont contribué à accroître les revenus et réduire
le niveau de pauvreté absolue de 29% en 1990 à 18% en 2004. La
Banque Mondiale soutient par exemple que 10% de croissance de
pénétration mobile engendre une croissance de 1,2% d’un pays d’Afrique
subsaharienne. D’autres experts estiment qu’entre 2000 et 2012, le
secteur de la téléphonie générera près de 71 milliards de $ US pour la
même région. Dans le domaine de l’éducation, l’enseignement à distance
a aidé à combler les besoins en enseignants et l’Université virtuelle
africaine, créée en 1997, a formé près de 9000 scientifiques,
ingénieurs et techniciens. Par ailleurs, en santé, la téléradiologie et
le télédiagnostic ont permis d’identifier les patients à suivre pour la
surveillance de certaines maladies, de compenser le peu de personnel et
d’éviter des déplacements inutiles. Enfin, au plan politique, les TIC
offrent des opportunités en termes de pression pour une démocratisation
des régimes. On a ainsi vu, récemment, les réseaux sociaux prendre part
à la récente révolution tunisienne, l’accompagner et même la
précipiter. Ils ont été un vecteur indispensable pour donner « le
moral » aux révolutionnaires en leur montrant qu’ils ne sont pas
seuls et en alertant l’opinion publique occidentale.
Les détracteurs, de leur côté, estiment que l’efficacité des nouvelles
technologies est surestimée. La pénétration de la technologie n’est pas
le progrès. « Elle n’est qu’une loupe parce que son impact est
multiplicatif, mais en ce qui concerne le changement social, il ne
s’additionne pas », soutient Kentaro Toyama, professeur à l’école
d’information de Berkeley (USA). Après avoir observé les télécentres en
Asie et en Afrique sur une période de cinq ans, il en est arrivé à la
conclusion que leurs succès ont été « rares, fugaces et
espacés ». Par ailleurs, les TIC donnent sans doute accès à
certaines ressources de la modernité qui permettent d’échapper à un
environnement de pénurie (carences du système de l’enseignement
supérieur, de la couverture médicale, etc.), mais l’environnement reste
fondamentalement non développé. Ainsi, l’université virtuelle africaine
permet aux étudiants africains d’accéder à des prestations
d’enseignement supérieur de qualité. Elle ne résout pas pour autant la
question de la dégradation des universités africaines sur le plan des
infrastructures et de la qualité de l’enseignement. De même, la
télémédecine permet aux malades d’avoir accès à des prestations
médicales nécessaires, mais ne résout pas la question de la dégradation
des centres hospitaliers et de la qualité des soins. Bref, croire que
la diffusion à grande échelle des technologies conçues de manière
appropriée peut apporter des solutions à la pauvreté et aux autres
problèmes sociaux relève de la techno-utopie. D’ailleurs, si la
technologie avait un tel pouvoir, comment expliquer que le nombre de
pauvres continue d’augmenter en Afrique ?
Faut-il trancher ce débat? À vrai dire, selon le camp que l’on a
choisi, on aura tendance à mettre l’accent sur les succès ou les échecs
des technologies. Dans tous les cas, nul ne peut prétendre que la
technologie est inutile. C’est le mythe entourant sa toute-puissance
qu’il faut relativiser. Elle ne peut pas tout faire, elle n’est qu’une
pièce d’un plus large puzzle. Et c’est à juste titre que KentaroToyama
souligne que les pays économiquement développés ont atteint leur statut
de puissances économiques bien avant les technologies numériques. Leur
production de pointe et la consommation des technologies de
l’information peuvent être interprétées davantage comme un résultat du
progrès économique que comme une cause primaire.
Octobre 2011
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