Les géants technologiques misent sur l’Afrique
Par Joan Tilouine
Depuis
le début de l’année 2013, patrons et cadres de la Silicon Valley
enchaînent les tournées en Afrique. Au cours de six derniers mois, la
patronne d’IBM Ginni Rometty s’est rendue deux fois sur le continent.
Début janvier, c’est son homologue de Google, Eric Schmidt, qui a fait
le déplacement. Le 25 mars, Bill Gates, l’ancien patron de Microsoft
devenu philanthrope, atterrit à Accra.
A
coup de millions de dollars et d’innovations technologiques, ces pontes
de la Silicon Valley ne cachent pas leur ambition de contribuer à
résoudre les maux de cette Afrique où le taux de croissance dépasse les
6%. Après l’Asie, « c’est l’heure de l’Afrique nouvelle »,
martèlent les géants technologiques qui ont jusque-là délaissé ce
continent. Ils avancent leurs pions et investissent massivement pour
connecter les Africains à internet et adaptent leurs stratégies aux
spécificités locales
Une Afrique mobile et bientôt ultra-connectée
Le continent compte le moins d’internautes au monde avec près de 16% de
la population en ligne. Et les prix de connexion à internet y sont
parmi les plus élevés de la planète. Pourtant, des câbles internet
sous-marins relient les côtes africaines au reste du monde et irriguent
le continent de haut-débit (voir carte). « Il est désormais
inexact de dire que l’Afrique est techniquement sous-connectée même
s’il reste à établir plus de câbles terrestres et des infrastructures.
Mais les prix de connexion devraient baisser rapidement », prédit
Alan Mauldin, analyste chez TeleGeography.
Pour le moment, si « révolution technologique » il y a, elle
repose sur un vieil appareil qui vient de fêter ses trente ans :
le téléphone mobile. Grâce au génie de certains geeks d’Afrique, le
téléphone mobile y est augmenté voire hacké tant il ouvre des
possibilités bien plus sophistiquées que des appels vocaux et des sms.
« De par le manque d’infrastructures et le coût élevé de
l’internet fixe, la démocratisation de l'accès à internet se fera avec
le mobile en Afrique », explique le spécialiste Vincent Douin du
cabinet de consultant Greenwich Consulting. Il y aurait aujourd’hui
plus de 700 millions de cartes SIM activées sur le continent contre
moins de 16 millions en 2000 (voir graphique 1). Rapidement, la
majorité de ces appareils seront des smartphones connectés à internet.
Des géants technologiques qui s’africanisent
Le smartphone constitue la porte d’entrée vers un web africain en
construction et donc vers des applications mobiles et de la publicité à
terme rentables. Et des alliances uniques sont apparues. Microsoft
vient de s’associer au Chinois Huawei et au Finlandais Nokia pour
lancer des « Windows phones » à bas coût en Afrique et tenter
de contrer Google qui, avec son système d’exploitation Android, occupe
une place de leader. En Afrique, même le mastodonte des
micro-processeurs Intel s’essaie au mobile avec un smartphone Android à
100 euros. Tandis que le Coréen Samsung maintient sa présence. De son
côté, Orange vient de sceller un partenariat avec le moteur de
recherche chinois Baidu pour équiper des mobiles et conforter sa place
en Afrique et au Moyen-Orient où elle enregistre une hausse de 5,3% de
son chiffre d’affaires en 2012, « tirée par la Côte d’Ivoire et la
Guinée ».
En Afrique depuis 1992, Microsoft y compte aujourd’hui 750 employés.
Présent dans 20 pays d’Afrique, c’est à Nairobi qu’IBM a décidé
d’installer son douzième laboratoire de recherches cet été. Le premier
en Afrique. Parmi les priorités de recherches de ce laboratoire :
développer un secteur public de demain ultra-informatisé et vendre des
solutions innovantes aux Etats. En cinq ans, IBM entend générer un
chiffre d’affaires d’un milliard de dollars en Afrique. Un objectif
récemment atteint en quinze années par ses laboratoires asiatiques.
Dernier venu, en 2007, Google pilote sa stratégie depuis Johannesburg
et Nairobi, qualifiée de « hub technologique » par Eric
Schmidt.
« Ces géants ne créent que très peu de richesses locales. Tous font du
non profit pour approcher le continent. Mais c’est une façade pour
conquérir des parts de marché », observe l’entrepreneure
franco-camerounaise Reine Essobmadje. Des millions de dollars de la
Silicon Valley sont dépensés depuis cinq ans dans des oeuvres de
bienfaisance technologique. Microsoft a récemment investi 75 millions
de dollars pour attirer un million de PME sur les territoires
numériques. « C’est important pour nous de faire de l’argent en
Afrique avec des outils qui contribuent à l’éducation, la santé et
l’entreprenariat », explique la cyberactiviste kényane Ory
Okolloh, désormais en charge de la stratégie de Google en Afrique.
Google investit à tout-va dans des universités africaines, des
programmes de formation d’étudiants et d’entrepreneurs ou encore
directement dans des infrastructures. Avec IBM, Samsung, ou encore
Nokia, Google soutient des espaces innovants comme le désormais célèbre
iHub de Nairobi. Tous s’échinent à augmenter la connectivité des
populations et à les inciter à produire du contenu et des services en
ligne appropriés et utiles pour les internautes locaux. Et ça, seule la
société civile peut le faire avec brio.
16 août 2013
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