La soif de technologie des jeunes
Africains
Par
Jonathan Kalan de Afrique Renouveau
Les
possibilités d’innovation et de création se multiplient.
Sous un toit de tôle, dans la chaleur étouffante d’une minuscule cabane
située dans un quartier de Mogadiscio criblé d’impacts de balles, deux
frères, Ali Hassan et Mustafa Yare, sont penchés sur l’un de leurs huit
ordinateurs de bureau. Ensemble, ils expliquent à Nasteexo Cadey, une
jeune étudiante voilée de l’université de Mogadiscio, comment créer un
compte Facebook, regarder des vidéos sur YouTube et lire son courrier
électronique. Comme quelques autres cafés Internet de fortune
créés depuis la fuite des milices islamistes Al-Shabaab, les frères
Yare ont vu leur clientèle augmenter ces derniers mois.
« Je voulais avoir ma propre activité », déclare Hassan. «
L’informatique et les technologies de l’information, je connais. J’ai
des compétences. » Compte tenu du chômage très élevé, tout travail est
une aubaine. Les frais de fonctionnement du café s’élèvent à 600
dollars par mois et les quelque 40 clients quotidiens, étudiants pour
la plupart, rapportent autour de 1 000 dollars mensuels. Même si le
taux de pénétration d’Internet en Somalie dépasse à peine 1 % de la
population, chiffre comparable à celui de l’Afghanistan, la demande à
Mogadiscio est en forte augmentation, grâce, comme dans le reste de
l’Afrique, à la soif de technologie des jeunes.
De
meilleures opportunités
Pour des millions de jeunes Africains sans emploi mais férus de
technologie, la révolution numérique de l’Afrique présente d’énormes
possibilités. Les technologies de l’information et de la communication
(TIC) permettent à de jeunes entrepreneurs de se créer un meilleur
avenir. « Les TIC offrent de formidables opportunités » à la
jeunesse africaine, affirme Ahmed Alfi, directeur général de Sawari
Ventures, une société égyptienne de capital-risque axée sur les
nouvelles technologies. « Le développement de logiciels est le seul
secteur où un investissement de mille dollars peut rapporter un
million. » Et même si un café Internet ne rapporte pas un million
de dollars, ce qui s’y crée peut être très lucratif. Ces cinq dernières
années, l’installation de câbles en fibre optique et d’infrastructure a
permis un degré de connexion sans précédent du continent africain. Les
coûts d’accès à Internet ont baissé et de nouveaux marchés se sont
ouverts pour les contenus, logiciels, applications pour mobiles et
réseaux sociaux. De la Somalie au Ghana, de Dar es-Salaam à Dakar, en
passant par le Cap et le Caire, la jeunesse africaine se sert des TIC
pour stimuler la croissance, créer des entreprises et se forger un
avenir.
L’essor
du marché du mobile
L’Afrique compte six des dix économies à la croissance la plus rapide
du monde. Elle constitue le deuxième marché au monde pour la téléphonie
mobile – les « téléphones intelligents » s’y vendent quatre fois plus
que les ordinateurs. Selon le blog ICTworks, entre août 2011 et février
2012 le nombre d’utilisateurs de Facebook en Afrique a progressé de 165
%.
« En 2016, l’Afrique devrait compter un milliard de téléphones
portables », explique dans un rapport récent Mark Casey, directeur des
technologies, médias et télécommunications chez Deloitte, un cabinet de
conseil financier. « L’utilisation d’Internet par téléphone portable en
Afrique est l’une des plus développées au monde. D’importantes
possibilités existent d’utiliser les réseaux sociaux à des fins
commerciales. »
Boom
technologique au Ghana
Il y a cinq ans, BusyInternet, le plus gros fournisseur d’accès en
Afrique de l’Ouest, a ouvert un café Internet à Accra, la capitale du
Ghana. Dans une salle comptant une centaine d’ordinateurs, des Ghanéens
de tous les horizons pouvaient utiliser une connexion haut-débit pour
cinquante cents de l’heure. Le taux de pénétration d’Internet étant
d’environ 10 % en 2011, BusyInternet était l’un des rares endroits
où les jeunes pouvaient se connecter.
Mac-Jordan Degadjor, 26 ans, est un blogueur reconnu au Ghana,
spécialiste des technologies et réseaux sociaux. Il est le premier
Ghanéen à avoir été nommé Internet Freedom Fellow, un prix décerné par
le Département d’Etat américain à des individus qui ont défendu la
liberté d’expression et de réunion en ligne. Mac-Jordan Degadjor se
souvient de l’effet révolutionnaire de BusyInternet dans le secteur de
la haute technologie. « Cela a ouvert de nombreuses portes aux
jeunes qui vivaient au Ghana », raconte-t-il.
De nombreux jeunes entrepreneurs et blogueurs ont utilisé cet espace
pour acquérir de nouvelles connaissances – en ligne ou ensemble – et
former une communauté high-tech. Ils tenaient des BarCamps (des
rencontres informelles de férus d’informatique) et ont créé
BloggingGhana, un réseau de blogueurs.
Selon l’ambassade des États-Unis à Accra, qui a décerné le prix à
Degadjor, ces initiatives ont « incité les jeunes à se connecter dès
qu’ils le pouvaient, leur permettant d’être en contact avec d’autres
Ghanéens capables de les aider à surmonter les difficultés techniques
». Dès 2008, il est apparu que la jeune communauté high-tech d’Accra
avait besoin d’un appui institutionnel. La Meltwater Entrepreneurial
School of Technology (MEST), école offrant aux futurs entrepreneurs et
développeurs de logiciels formation et tutorat sur deux ans, a alors
été créée. Plusieurs entreprises à succès sont nées de cette
initiative, telle NandiMobile, qui propose aux entreprises locales des
services de marketing mobile et de conseil clientèle. La quasi-totalité
des entrepreneurs du MEST ont autour de 25 ans.
Cette jeune génération n’a pas seulement donné naissance à des
entreprises. @GhanaDecides, un mouvement qui assure le suivi des
élections au Ghana au moyen des réseaux sociaux, s’est distingué par
son travail d’information auprès des électeurs pendant la période
pré-électorale en 2012. Tout en préconisant des élections libres et
équitables, le mouvement a lancé plusieurs campagnes sur des
thématiques électorales et offert aux jeunes, aux organisations de la
société civile et aux institutions publiques des formations hors-ligne
sur les réseaux sociaux.
Centres
technologiques
Le rôle de catalyseur de BusyInternet n’est pas un cas isolé. Ailleurs
en Afrique, des centres technologiques encouragent également le travail
des jeunes développeurs et entrepreneurs.
Erik
Hersman est co-fondateur d’Ushahidi et de l’iHub de Nairobi – l’un des
centres les plus connus du continent. Selon lui, l’Afrique connaît
actuellement un essor dans ce domaine. Il existe aujourd’hui plus de 90
tels centres ou laboratoires, incubateurs et accélérateurs dans au
moins vingt pays. D’après une étude récente, un centre de ce type ou
presque voit le jour toutes les deux semaines en Afrique.
« Les centres technologiques africains accueillent ceux qui ont des
idées neuves, les incitent à innover et leur permettent de nouer des
contacts et de progresser ensemble », explique Erik Hersman.
iHub est né du succès de la plate-forme logicielle d’Ushahidi, utilisée
pour saisir les renseignements donnés par les citoyens pendant les
violences post-électorales de 2008 au Kenya et en assurer le suivi.
Lancé en 2010, iHub compte plus de 8 000 membres à travers le monde et
des dizaines de personnes utilisent l’espace de manière régulière.
Près de 75 % des utilisateurs d’iHub travaillent dans des start-up, ou
développent ce type d’entreprises. Un grand nombre de ces entreprises
ont une mission sociale, à l’instar d’eLimu, qui distribue des
tablettes de formation en ligne en vue d’améliorer la qualité de
l’enseignement primaire au Kenya dans le cadre d’un projet pilote.
D’autres, comme Niko Hapa, qui propose aux entreprises une carte de
fidélité accessible par téléphone mobile, ont une approche purement
commerciale.
«
Essayer et échouer »
À mille kilomètres de là, dans la capitale rwandaise Kigali, kLab, un
nouveau centre de TIC, créé avec l’appui du gouvernement, cible aussi
les jeunes développeurs de logiciels et diplômés, en leur permettant
d’acquérir une expérience concrète et une formation ainsi que de
collaborer.
Pays pauvre, petit et enclavé, le Rwanda veut construire une économie
basée sur la connaissance. Le développement des TIC est au centre de
Vision 2020, le plan du président Paul Kagame, qui veut transformer le
Rwanda en pays à revenu intermédiaire d’ici à 2020, avant tout avec
l’aide des jeunes
Jean Niyotwagira, jeune Rwandais qui a obtenu un diplôme d’ingénieur
informatique l’an dernier, est l’un des premiers « locataires » de kLab
et a déjà créé plusieurs entreprises de logiciels, dont une société de
développement d’applications pour téléphonie mobile, une plate-forme de
réseaux sociaux et une autre plate-forme de gestion de chaîne
d’approvisionnement. À son avis, «kLab permet aux entrepreneurs qui ne
disposent pas de suffisamment de fonds d’avoir leur propre bureau.
C’est un lieu parfait pour essayer, échouer et essayer encore ».
Par le passé, un échec était souvent un désastre pour les jeunes
entrepreneurs, mais aujourd’hui ces centres leur offrent un soutien
essentiel qui les autorise à prendre des risques, à en tirer profit, et
en cas d’échec, à recommencer.
Besoin
d’investissement
Si ces centres foisonnant d’idées nouvelles existent sur tout le
continent, les investissements sont beaucoup plus rares. Nombre
d’entrepreneurs peinent à réunir des fonds après le démarrage, car peu
d’investisseurs locaux sont prêts à tabler sur des projets
technologiques.
« Nous manquons d’investisseurs technophiles », déclare Mbwana Alliy,
ancien entrepreneur de la Silicon Valley qui gère à présent le Savannah
Fund, un fonds d’investissement basé à Nairobi et spécialisé dans les
technologies à forte croissance.
Ce n’est pas seulement la faute des investisseurs. Selon M. Alliy,
beaucoup de jeunes entrepreneurs « définissent mal leurs objectifs » et
« manquent de discipline ». Être un excellent développeur ne suffit pas
: il faut aussi savoir créer, puis diriger son entreprise.
Nombreux sont ceux qui attribuent cette faiblesse au système éducatif,
même si, pour Ahmed Alfi, « les TIC sont l’un des rares domaines où il
est possible de compléter ses études par une éducation en ligne ». Sur
Internet, explique Ahmed Alfi, « contrairement à la médecine, il est
possible d’atteindre un niveau compétitif ».
Mais si l’on peut apprendre à programmer en ligne, il est plus
difficile de maîtriser gestion d’entreprise et financement. Dans ce
domaine, l’Afrique a des lacunes. De nombreux centres s’efforcent
maintenant d’aider les entrepreneurs à acquérir ces compétences.
Malgré ces défis, la jeunesse du continent est de plus en plus
connectée et crée son propre avenir. Que ce soit dans le confort des
différents centres technologiques du continent, ou dans les rues
défigurées de Mogadiscio, les jeunes mettent à profit les technologies
pour innover, créer des emplois et améliorer les sociétés dans
lesquelles ils vivent.
29
Septembre 2013
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