Rôle des think tanks dans la bonne gouvernance en Afrique
Par Isidore Kpotufe [*]
Même
si plusieurs think tanks ont été créés ces dernières années sur le
continent africain, ceux-ci restent sous-financés et relativement peu
développés par rapport à d’autres parties du monde.
En
Amérique ou en Europe… le rôle joué par les think tanks ne peut être en
aucun cas sous-estimé. Le triste constat est qu’en Afrique, ces
organisations tardent à véritablement voir le jour ou sont confrontées
à nombre d’obstacles. Beaucoup sont les Africains qui méconnaissent
toujours leur importance et leur rôle dans nos sociétés.
Un think tank, groupe de réflexions, laboratoire d’idées, cerveau
politique, cabinet d’experts, cercle de réflexions… comme on l’appelle
souvent dans le monde francophone, est une organisation ou structure,
en principe de droit privé, indépendante de l’État et ou de toutes
autres puissances, réunissant des experts, vouée à la recherche d’idées
nouvelles, et cherchant à peser sur les affaires politiques et
publiques. Il mène des études et émet des propositions souvent dans le
domaine des politiques publiques et de l’économie.
À quoi doivent-ils servir ?
Les think tanks ont des rôles très instrumentaux, surtout celui qui
concerne la promotion de la bonne gouvernance. Les think tanks doivent
être à opposer à la société politique – la société politique est le
lieu où s’exerce la domination d’une minorité du peuple sur la
majorité. En conséquence, les think tanks doivent fournir des solutions
relatives au bien commun, dans le meilleur intérêt du peuple sans
participer directement au pouvoir politique ni tenter de le conquérir.
Leur fonction est donc d’inspiration et d’influence. Ils ne seront, en
principe, efficaces et puissants que par leur séduction intellectuelle
et par la pertinence de leurs analyses
En France, par exemple, les think tanks comme Terra Nova, l’Institut
Montaigne, l’association libéraux.org1 etc. influencent largement,
d’une façon indépendante et libérale les décisions politiques, les
programmes et interventions « à l’air nuisible » de l’État.
De même, aux États-Unis, où on compte d’ailleurs plus de think tanks à
l’échelle mondiale et d’où leur genèse, ceux comme Brookings
Institution, Atlas Economic Reaserch Foundation, American Institute for
Economic Research, Heritage Foundation servent de garde-fous et leur
travail pèse solidement sur les affaires publiques comme politiques.
D’autre part dans le monde, ces organisations jouent d’importants
rôles… Et en Afrique ?
Il faut cesser de croire que l’Afrique est un continent maudit, privé
de ressources. Si aujourd’hui on parle de l’absence relative de la
liberté [dans toutes ses formes], de la corruption rampante dans le
secteur public, de la mal-gestion des affaires publiques se traduisant
tous en sous-développement en Afrique, c’est parce que les
dirigeants ne sont pas tenus responsables de leurs promesses et de
leurs actions. Contrairement au point de vue que l’Afrique manque de
ressources naturelles, financières et humaines qui doivent barder son
développement, les dirigeants africains gèrent mal ces ressources mises
à leur disposition. Et donc le constat fait, l’un des problèmes est
l’absence des think tanks en Afrique. Plus particulièrement, en Afrique
francophone, on compte peu de telles organisations. D’une part, cela
explique pourquoi les pays francophones sont moins développés que leurs
homologues de l’Afrique anglophone, vu le rôle que joue les think tanks
dans les pays anglophones. Ce qui donc valide la nécessité de
l’existence des think tanks dans les sociétés africaines.
La participation active à la bonne gouvernance de l’Afrique implique de
disposer de visions et de solutions relatives aux principales
problématiques, qui, mondialisation oblige, frappent avant tout les
pays les plus faibles. Les gouvernements ne parviennent qu’à
intervenir dans des cas d’urgence et gérer les problèmes ordinaires.
Ils n’ont pas le temps de mettre véritablement en place des politiques
à long terme. Les gouvernements ne peuvent pas comprendre, en toute
sincérité, les situations que vit le peuple – ils n’ont pas de
solutions à nos problèmes. Les gouvernements ne sont pas
visionnaires : construire des usines, des entreprises… afin de
garantir l’avenir de la génération encore très jeune dans les vingt ans
à venir, ils ne le font pas ! L’avenir des populations ne sera que
garanti par l’existence de vrais think tanks, des think tanks capables
de soumettre les programmes, les politiques publiques, les projets de
tout gouvernement, susceptibles d’avoir des effets systématiques sur le
développement socio-économique des populations à des analyses et
évaluations très vigoureuses et, par la suite, proposer des solutions
et recommandations aux problèmes identifiés en mettant au centre les
intérêts du peuple.
Les études menées par le « think tank and civil societies
progran », un programme d’identification et de classement des
think tanks les plus influents selon leurs régions d’opération, sous
l’égide de l’Université de Pennsylvanie, mettent au clair qu’il y a une
forte croissance en nombre de think tanks sur le continent africain,
ces deux dernières décennies. Le continent se dote désormais de think
tanks compétents au service du peuple : Free Market Foundation en
Afrique du Sud, IMANI Center for Policy & Education au Ghana,
CEDRES au Kenya, Audace Institut Afrique en Côte d’Ivoire, CODESRIA au
Sénégal etc.
Mais malgré cette croissance fulgurante depuis les années 90, les think
tanks africains restent sous-financés et relativement peu développés
par rapport à d’autres parties du monde. Ailleurs, le financement des
think tanks provient de sources multiples et variées, ce qui leur
permet d’être non seulement indépendants mais aussi compétents et plus
influents sur le terrain de fonctionnement. On attend désormais du
secteur privé, à savoir les entreprises, les universités, les
philanthropes qu’il participe plus activement au soutien de ces
instituts, centres et groupes. Les médias, eux, doivent redoubler le
soutien déjà accordé à ces structures, notamment dans la reproduction
de leurs publications et aussi l’éducation du public sur leur rôle et
leur importance.
Pour conclure, il convient de rappeler quelques-uns des avantages de l’existence des think tanks dans nos sociétés :
▪ Lorsqu’il est question de leur
fonctionnement, la première tâche des think tanks est d’identifier,
suffisamment en amont et à l’avance, les nouveaux défis d’importance
auxquels les pays risquent d’être confrontés, et de les porter à
la connaissance des décideurs politiques avec des principes de solution.
▪ Ce sont des instruments
d’’éclosion d’idées nouvelles et originales qui peuvent influer sur la
façon dont les décideurs perçoivent les problèmes et envisagent des
solutions aux défis globaux, les think tanks étant en quelque sorte des
usines à idées.
▪ Par ailleurs, les think
tanks permettent de créer un réservoir de capacités et de talents
politiques destinés à la haute administration, dans le futur. Ces
futurs leaders étant suffisamment équipés à faire face aux challenges…
▪ Et aussi,
l’éducation du public et sa formation aux grandes questions de société,
de politique économique ou de sécurité sont également des atouts
majeurs de ces instituts, dont l’activité incessante et la remise en
question permanente – due à la fréquence des relèves
politiques – est un gage de dynamisme. Les think tanks permettent
ainsi de dynamiser la réflexion et sont un outil hors pair de diffusion
et de vulgarisation du savoir.
▪ Selon R. N. Haass, dont
l’expérience en la matière ne peut être mise en cause, les think tanks
jouent, sans conteste, le rôle de médiation qu’ils peuvent être
amenés à jouer entre des parties opposées sur un dossier précis.
Une société ne valorisant pas les think tanks, est une société sans
visions ; on dirait qu’ils sont des prophètes du peuple. Avec tout
ceci, c’est dommage qu’ils soient les grands oubliés. Vive les think
tanks ! Vive l’Afrique.
[*] Isidore Kpotufe est
responsable d’IMANI-Francophone, projet francophone du think tank IMANI
classé 4e think tank le plus influent en Afrique en 2013 par
l’Université de Pennsylvanie.
22 Avril 2014
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