Les Moocs donnent des ailes aux Africains
Par Serge Michel
Pendant
ce temps, à Douala, Arel Kevin a trouvé un local. A la maison en étages
et à antenne orange, au lieu-dit Entrée Eglise, près du snack-bar GES
Force V. Il a d’abord sollicité son école, l’Institut supérieur de
technologies avancée, où il fait un BTS d’informatique industrielle. «
Mais vu les tracasseries procédurales, j’ai plutôt approché un ancien
camarade de classe compatissant, dont les parents disposent d’une salle
de réception en bordure de route. »
Là, tous
les samedis de 12 à 16 heures, Arel Kevin Kamagaing, 24 ans, fils d’un
chauffeur de transports interurbains à la retraite et d’une mère au
foyer, réunit son groupe d’étude, « aussitôt surpris par l’adhésion
massive de compatriotes ».
Avec Boris, William, Donal, Annie, Yannick et les autres, il se penche,
« une lueur de bonheur extraordinaire dans les yeux », sur le Mooc
intitulé « Comprendre les microcontrôleurs » des professeurs
Jean-Daniel Nicoud et Pierre-Yves Rochat de l’Ecole Polytechnique
fédérale de Lausanne (EPFL), établissement leader de Moocs en français.
Mooc signifie Massive Open Online Courses, que les grandes écoles et
universités francophones traduisent désormais par Flots, formations en
ligne ouvertes à tous. Le cours en question leur est diffusé en classe,
mais il est rapide (sept semaines) et exigeant (des tests entre chaque
étape). Les étudiants de Douala qui ne comprennent pas tout se sont
donc organisés pour travailler ensemble les points difficiles.
Aux Etats-Unis, le succès foudroyant des Moocs fait apparaître leurs
premières limites. On se demande ce qu’il adviendra du modèle
économique d’universités ultra-chères. On se demande si les cours en
ligne ne sont pas en train de déshumaniser l’enseignement.
Soucis de riches ! A Lubumbashi, au Congo, personne ne songe au risque
de déshumaniser l’enseignement. « Les Moocs ont du succès parce que les
auditoires sont bondés, mal aérés et les sièges sont cassés. » Jessé
Lubingu sait de quoi il parle. Il est diplômé en dessin architectural
de l’Université indépendante d’Angola et en construction industrielle
de l’Ecole supérieure des ingénieurs de Lubumbashi. Il a aussi une
accréditation en écologie et environnement et une maîtrise en sciences
du bâtiment. « Franchement, dit-il, les universités africaines ont de
la peine avec les mises à jour. Au Congo, les cours datent de l’époque
des colons belges. »
Si bien que ces jours, ou plutôt ces nuits afin de bénéficier d’une
meilleure bande passante et de pouvoir gagner sa vie durant la journée,
Jessé Lubingu se connecte chez lui, au 29 de la cité Mobutu, sur
l’avenue Bakwansupi, au Mooc de l’EPFL intitulé « Ville africaine » du
professeur Jérôme Chenal. Il est question de planification urbaine, de
transports en commun, de gestion des déchets. Et l’on se dit qu’il
était temps de mettre ce cours à disposition des Africains, à qui cela
pourrait être utile, plutôt que de le confiner aux amphithéâtres
européens.
UNE STAR DE THIÈS À NIAMEY
Sur son campus, l’EPFL offre 1 500 cours à 9 300 étudiants. En ligne,
une trentaine de Moocs pour plus de 400 000 inscrits, mais seulement 13
073 Africains en 2013. Patrick Aebischer, son président, en veut 100
000. Pour cela, il vient de prendre six mois de congé sabbatique afin
d’arpenter le continent et sceller des accords avec des universités
africaines.
« Les Français ont pris du retard, regrette-il. On ne cherche pas à
leur ravir l’Afrique francophone. Au contraire. Ce serait formidable de
monter ensemble une plate-forme avec 500 cours, pour offrir des
curriculums complets. » L’ébauche de ce rêve est le portail
Ocean-flots.org, qui propose 23 cours, la moitié de l’EPFL et le reste
par l’Ecole polytechnique de Paris, l’ENS de la rue d’Ulm, l’ENS Lyon,
l’université catholique de Louvain et HEC Montréal.
À Lausanne, les quelques passionnés d’Afrique qui, pendant des années,
ont autofinancé leurs voyages, sont désormais portés par la stratégie
africaine de l’EPFL. C’est le cas de Pierre-Yves Rochat, 56 ans.
Son Mooc a tellement d’inscrits en Afrique, où il passe trois mois par
an, qu’il est une star de Thiès à Niamey, de Pointe-Noire à Kinshasa,
reconnu à sa chemise à fleurs avant même son entrée dans l’auditoire.
L’un de ses étudiants de Cotonou, Roméo Fassinou, a développé des
afficheurs matriciels en forme de croix, pour les pharmacies. Son
entreprise compte déjà dix employés et exporte dans les pays voisins.
Un autre étudiant de M. Rochat, Cédric Lako, de Douala, a passé six
mois à l’EPFL et donne des coups de main au groupe d’étude d’Arel
Kevin. Il a développé une application qui permet de modifier les textes
de la dernière génération de ces enseignes lumineuses à partir d’un
smartphone.
Les Moocs donnent des ailes aux étudiants. Jessé Lubingu, de Lubumbashi
: « Grâce aux Moocs, je comble mes lacunes à grande vitesse. L’étape
suivante est un projet de construction à 600 000 dollars. » Arel Kevin
définit ainsi ce que les membres de son groupe étaient avant de suivre
le Mooc sur les microcontrôleurs : « De simples étudiants dépourvus
d’ambitions concrètes, des fanatiques de premier ordre et des
théoriciens endurcis. » Ils ont désormais décidé de lancer une petite
société pour développer, « si le Ciel le veut bien », des commandes de
portes à distance avec un module GSM, une alarme avec déclaration du
degré d’infraction au propriétaire par téléphone mobile, des afficheurs
matriciels, des feux de carrefour.
« Grâce au Mooc, dit-il, on peut tout automatiser ! » Et si le ciel ne
le veut pas, il estime qu’ils trouveront un emploi aux Brasseries du
Cameroun, à la CCC (société de savonnerie) ou chez Akwa, société
chinoise de fabrication d’afficheurs matriciels, basée à Douala.
14 Mai 2014
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