Miser sur l'enseignement de la science et la technologie pour transformer l'Afrique
Par Makhtar Diop, vice-président de la Banque mondiale pour la Région Afrique
Depuis
dix ans et grâce à une gestion macroéconomique prudente, le continent
africain connaît une croissance économique remarquable, de 4,5 % par an
en moyenne. Aujourd'hui, il faut cependant que cette croissance se
traduise par un déclin significatif de la pauvreté et une amélioration
des conditions de vie de tous les Africains.
Avec
la découverte continuelle de nouveaux gisements de pétrole, de gaz et
de minerais, tout l'enjeu est de parvenir à extraire et commercialiser
ces ressources puis d'investir les recettes générées dans des secteurs
vitaux pour le développement, que ce soit une éducation de qualité ou
la santé.
Alors que l'exode rural s'accélère, les pouvoirs publics doivent
également gérer une urbanisation sans précédent, satisfaire les besoins
en logements et en infrastructures des citadins et faire en sorte que
leurs besoins alimentaires soient satisfaits grâce à une productivité
agricole accrue. Mais ils doivent aussi garantir la sécurité
alimentaire dans les campagnes.
Sur le plan environnemental, l'Afrique est affectée de manière
disproportionnée par le changement climatique dont elle n'est pourtant
pas responsable : sécheresses, inondations, élévation du niveau de la
mer, etc., autant de phénomènes coûteux auxquels l'Afrique est
confrontée.
Mais tous ces défis sont également porteurs d'opportunités, tout
particulièrement dans le champ de la recherche scientifique. Il existe
en effet de réelles possibilités de collaboration scientifique dans des
disciplines telles que la médecine, la biodiversité, l'irrigation,
l'ingénierie ou encore les mines, et cette collaboration serait
bénéfique pour les scientifiques du monde entier comme pour les
chercheurs africains.
Un obstacle de taille persiste cependant : ces alliances prometteuses
de chercheurs ne pourront voir le jour en Afrique qu'à condition de
redresser un déséquilibre de longue date dans les systèmes éducatifs.
Aujourd'hui, les diplômés africains sortent majoritairement des
filières littéraires et de sciences humaines : la part des étudiants en
science, technologie, ingénierie et mathématiques ne représente en
effet en moyenne que 25 % des effectifs. De plus, les femmes sont
sous-représentées dans ces domaines.
Grâce aux progrès récents de l'Afrique sur le plan de la scolarisation,
de plus en plus d'élèves achèvent leurs études primaires et
secondaires. Cette nouvelle génération doit pouvoir acquérir les
compétences et les connaissances dont elle aura besoin pour résoudre
par elle-même les défis du continent.
Au début de l'année, les autorités rwandaises et la Banque mondiale ont
organisé à Kigali un Forum de haut niveau sur l'enseignement supérieur
pour la science, la technologie et l'innovation. À cette occasion, les
pays participants et leurs partenaires ont lancé un appel à
l'action fixant un objectif ambitieux : multiplier par deux d'ici 2025
la proportion d'étudiants sortant des universités africaines avec un
diplôme de scientifique ou de technicien en poche. Car c'est à ce prix
que l'on pourra accélérer la transition de l'Afrique vers une société
fondée sur le savoir en l'espace d'une génération.
Comment procéder ? Plusieurs mesures, qui ont déjà fait leur preuve,
permettront d'adapter l'enseignement supérieur aux besoins de
l'économie du 21e siècle et d'élargir les perspectives de carrière des
jeunes Africains. Elles s'articulent autour d'un maître mot, les
partenariats : partenariats entre établissements universitaires, en
Afrique et ailleurs, entre universités et secteur privé et entre pays
africains et nouveaux partenaires d'investissement d'Asie et d'Amérique
latine.
Des réformes systémiques sont également indispensables, notamment pour
améliorer la qualité de l'éducation à tous les niveaux et rendre
l'enseignement supérieur plus conforme aux attentes des employeurs.
Les universités africaines ont tout à gagner d'un rapprochement avec
leurs homologues étrangères, à l'instar de l'initiative STEM-Africa de
l'université du Michigan, qui soutient de jeunes scientifiques, fait
avancer des réseaux de recherche associés à des institutions en Afrique
et œuvre à former des mathématiciens et des médecins sur le continent.
De fait, la diaspora africaine représente un puissant moteur pour la
promotion scientifique et technologique sur le continent, en suscitant
un regain d'intérêt en faveur des sciences, de la technologie, de
l'ingénierie et des mathématiques en Afrique. Nous devons mobiliser une
vaste alliance —composée de décideurs, d'institutions financières
internationales (comme le Groupe de la Banque mondiale) et
d'universitaires — en Afrique et à l'étranger. Dans le même temps, les
universités africaines doivent passer la vitesse supérieure en matière
d' 'excellence locale.
Un certain nombre d'universités américaines et européennes ont établi
des campus et des programmes à l'étranger, notamment en Asie et au
Moyen-Orient, mais le nouveau territoire à explorer, c'est l'Afrique.
Une université américaine a ouvert un campus au Rwanda, dont la
première promotion obtiendra son diplôme à la fin de cette année. En
construisant des campus en Afrique, ces programmes offrent un
enseignement de qualité adapté aux normes culturelles et aux besoins
locaux. Les universités pionnières auront un avantage important, car
c'est un marché en pleine croissance qui ne pourra que se développer à
la faveur de la poursuite d'une croissance robuste en Afrique.
Une fois diplômés, les étudiants doivent également pouvoir mettre en
pratique ce qu'ils ont appris et accéder au marché du travail. Il faut
pour cela des coalitions et des partenariats innovants ainsi que des
réformes ciblées. Suivant l'exemple de pays comme le Kenya ou le
Sénégal, les ministères en charge de l'enseignement supérieur doivent
aussi chercher à ouvrir leurs conseils d'administration à des
représentants du secteur privé dans le but de renforcer les liens avec
les employeurs, notamment pour l'élaboration des programmes d'études.
D'autant que les partenaires du secteur privé en Afrique peuvent offrir
des opportunités d'apprentissage, des stages et des programmes de
certification pour aider à faire en sorte que les cursus universitaires
correspondent mieux aux réalités du marché du travail et investir ainsi
dans la prochaine génération de techniciens et de cadres.
La Banque mondiale, aux côtés de huit pays africains et de
l'Association des universités africaines, a mis en place une initiative
qui vise à établir 19 « centres d'excellence » en Afrique de l'Ouest et
en Afrique centrale. Il s'agit de développer et de soutenir
l'excellence dans l'enseignement supérieur africain, en particulier
dans les domaines de la science et de la technologie, en favorisant une
spécialisation régionale , en réunissant les meilleurs professeurs et
chercheurs et en favorisant l'échange de connaissances. Cette forme de
coopération est cruciale pour maximiser l'impact de ressources trop
restreintes et favoriser une intégration régionale accrue.
Les nouveaux partenaires de l'Afrique — le Brésil, la Chine, l'Inde ou
la Corée — ont un rôle essentiel à jouer dans le développement du
capital humain en Afrique, car ils ont su élaborer des cursus
d'enseignement supérieur concourant à la modernisation de leurs
économies. Ils ont beaucoup à apprendre à l'Afrique. La Banque mondiale
œuvre à la constitution du Partenariat pour les sciences appliquées,
l'ingénierie et la technologie (PASET), qui entend rassembler de
nouveaux partenaires et des décideurs africains pour enclencher un tel
processus, en particulier dans les secteurs à haut potentiel.
Ce type de partenariats nous permettra de mettre en place plus
rapidement une approche concertée pour faire progresser la science et
la technologie en Afrique et aider les jeunes Africains à satisfaire
leurs aspirations. Cette collaboration aidera aussi les entreprises à
recruter sur place des jeunes talents compétents pour pouvoir se
positionner avec succès sur les marchés internationaux et développer
leurs activités.
Dans les dix années qui viennent, plus de 11 millions de jeunes
Africains entreront chaque année sur le marché du travail. Investir de
manière stratégique dans l'éducation de ces jeunes gens, qui seront les
moteurs de la transformation économique de l'Afrique, constitue un
impératif.
Makhtar Diop, vice-président de la Banque mondiale pour la Région
Afrique, est au Rwanda pour assister aux Assemblées annuelles de la
Banque africaine de développement.
31 Mai 2014
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