Nouvelle ère pour les médias
Par Zipporah Musau d'Afrique Renouveau
Bienvenue aux médias numériques, tweets, blogs et à une pléthore de nouvelles voix.
Le
numérique a bouleversé le paysage médiatique. L’information circule à
la vitesse de la lumière : tweets, blogs ou journalisme citoyen, autant
de pratiques encore peu répandues il y a quelques années. La fibre
optique a révolutionné l’industrie des télécommunications. L'Internet
est de plus en plus rapide et abordable, et les collectivités qui se
connectent, même depuis des zones reculées d’Afrique, sont plus
nombreuses que jamais, tout comme les personnes qui consomment
l’information sur leur smartphone. Les médias traditionnels en Afrique
tentent de s’adapter au nouveau paysage médiatique plus immédiat et
interactif. Le journalisme d’opinion connaît en particulier une
croissance exponentielle. Blogueurs et journalistes citoyens se
mobilisent pour de multiples causes. Si la technologie a changé
le mode de fonctionnement des médias au cours des 15 dernières années,
la société ne s’attend pas moins à ce qu’ils jouent leur rôle
traditionnel, à savoir informer, éduquer et divertir. En Afrique, leur
mission est encore plus cruciale : approfondir et institutionnaliser la
démocratie. Les citoyens ont d’autant plus besoin d’être informés que
les nations endossent de nouvelles responsabilités dans un monde
globalisé.
« Les médias jouent un rôle fondamental dans le développement de la
société. Les citoyens doivent pouvoir s’appuyer sur des informations
fiables capables d’enrichir le débat et de susciter des échanges
pertinents susceptibles de transformer l’Afrique », affirme Eric
Chinje, Responsable de l’African Media Initiative (AMI), une
organisation panafricaine basée à Nairobi. Selon M. Chinje, les médias
doivent avoir le sentiment qu’ils sont utiles à la société. « Les
journalistes se considèrent comme des garde-fous. Au contraire, je
considère les médias comme des leaders. Un garde-fou est assis et
surveille un leader se lève et prend les devants. Vous devez aller de
l’avant et faire votre travail », a déclaré M. Chinje à Afrique
Renouveau. « L’Afrique se modernise et a besoin d’un journalisme qui
innove et soutient l’innovation qui non seulement se développe, mais
qui favorise également la croissance et le développement de la société
qui ne génère pas uniquement des idées sources de transformation
sociale, mais qui nourrit les débats sur le sujet. »
Le 3 mai 2016, la Journée mondiale de la liberté de la presse
soulignait le lien entre cette liberté et le développement durable,
suite à l’adoption des Objectifs de développement durable (ODD). « Des
médias libres et indépendants qui informent les citoyens du monde sont
indispensables à la réalisation des ODD, a déclaré Irina Bokova, la
Directrice générale de l’UNESCO. En cette période troublée à travers le
monde et alors que de nouveaux défis nécessitent une coopération à
l’échelle mondiale, une information lisible, fiable et indépendante est
plus que jamais indispensable. » « Des médias libres et indépendants
... un moyen indispensable d’éradiquer la corruption et de
renforcer la responsabilité administrative », affirme John Mukum Mbaku,
chercheur dans le cadre de l’Initiative sur la croissance de l’Afrique
de la Brookings Institution, think-thank basé aux États-Unis, qui
oeuvre pour un développement économique durable en Afrique. « Les
rapports d’enquête sur la corruption dans le secteur public informent
les citoyens, mais incitent également le gouvernement à prendre les
mesures nécessaires afin d’améliorer le fonctionnement du secteur
public et de renforcer la croissance et le développement », a déclaré
M. Mbaku à Afrique Renouveau.
A titre d’exemples, lors de l’élection présidentielle de 2015 au
Nigéria, les médias ont diffusé les messages de l’opposition à la
population qui a ainsi pu réclamer des comptes au gouvernement, tandis
qu’au Ghana, le journaliste d’investigation Anas Aremeyaw Anas, a
révélé des dizaines d’affaires de corruption et de crime organisé.
L’augmentation du nombre d’affaires exposées au grand jour par les
journalistes d’investigation à travers le continent, y compris dans des
pays autoritaires, incite les gouvernements à la vigilance. Au Kenya,
en Afrique du Nord, en Afrique du Sud, les médias se font
particulièrement entendre quand il s’agit d’informer les citoyens et de
dénoncer les travers de la société. M. Chinje pense néanmoins que
beaucoup reste à faire : « Rares sont les cas qui se distinguent dans
la profession. De temps en temps, on repère une ou deux bonnes
histoires, mais c’est loin d’être représentatif. Les médias doivent
contribuer au renforcement des moyens que l’AMI tente d’apporter à
travers la formation. La technologie a fait évoluer les médias, mais
pas les rédacteurs en chef. Tout a changé, le domaine politique et
social, ainsi que les populations. Mais les médias n’ont pas repensé
leur fonction dans une Afrique en pleine mutation », ajoute M. Chinje
qui propose un plus large débat au sein des médias afin qu’ils «
redécouvrent » leur rôle dans la société.
Bien que certains remettent en question l’importance des médias, les
nombreux défis auxquels ils sont confrontés en Afrique menacent les
acquis. Les médias numériques ont été bien accueillis sur l’ensemble du
continent, mais l’adaptation aux nouvelles technologies représente un
défi pour de nombreux organes de presse. Avec une connexion à Internet
peu fiable et un matériel désuet, les journalistes n’ont pas accès à
des outils essentiels. Ils doivent au mieux se contenter de systèmes
inadéquats qui peuvent compromettre la qualité de leur travail dans un
monde numérique. Toutefois, selon M. Chinje, le plus grand défi pour
les journalistes en Afrique reste leur incapacité à faire leur travail.
«Vous ne pouvez pas informer si vous n’êtes pas informé,» affirme-t-il.
« Beaucoup n’ont pas la formation adéquate pour interpréter des données
qui requièrent des méthodes pointues. » Faute d’indépendance
financière, les organes de presse du continent ont toujours fait face à
un manque de moyens et restent dépendants du bon vouloir de la
publicité gouvernementale qui constitue la majorité de leurs
ressources. La moindre critique pourrait entraîner l’annulation
d’annonces valant des milliers de dollars, le gouvernement et ses
agences étant les plus grands annonceurs dans de nombreux pays.
Les gouvernements envoient souvent des communiqués de presse élogieux
qui vantent leurs exploits, tandis que les journalistes s’efforcent de
décrypter leurs contradictions. Les médias traditionnels (journaux, TV,
radio) en Afrique et dans le monde perdent de l’influence et des
revenus avec la baisse des recettes publicitaires car le public se
tourne vers les contenus numériques gratuits. Parce que de nouveaux
médias courageux se font entendre et dénoncent la corruption,
l’ensemble de la presse en Afrique est menacé et les médias sont
censurés voire supprimés. Le Nigéria a par exemple tenté sans succès
cette année d’adopter un projet de loi imprécis, qui prévoyait des
sanctions draconiennes à l’encontre des médias sociaux qui avaient le
malheur de publier des informations erronées. Le Tchad, le Congo
Brazzaville et l’Ouganda ont bloqué les médias sociaux pendant les
élections, et un pays pourtant démocratique comme le Ghana a failli
faire de même. Au Libéria, le gouvernement a fermé la chaîne de radio
privée Voice FM. En 2015, des journalistes en mission ont été tués en
République Démocratique du Congo, au Ghana, au Kenya, en Somalie et au
Soudan du Sud. Les menaces et attaques qui émanent des gouvernements,
de groupes armés ou de terroristes augmentent les risques pour les
journalistes.
Sans contrôle éditorial, l’information des médias numériques n’est pas
vérifiée et de fausses rumeurs se propagent. Les affaires de corruption
et autres malversations commises par des agents de l’Etat se répandent
comme une traînée de poudre sur Internet, ce qui rend les gouvernements
encore plus réticents à accorder des interviews à la presse. Au-delà de
la censure, les organes de presse peinent à accomplir leur mission car
ils sont confrontés à des infrastructures d’impression et de
distribution inadaptées voire inexistantes, une mauvaise connexion
Internet et une formation insuffisante des professionnels des médias,
affirme M. Mbaku.
Aller de l’avant
Afin d’élaborer de nouvelles stratégies pour surmonter les obstacles,
la presse doit s’adapter aux exigences des sociétés. La stratégie de
survie primordiale consiste à migrer vers le mobile et l’Internet, et à
générer du contenu dans les langues locales accessible à la majorité
des citoyens. Mises à part quelques publications en arabe en Afrique du
Nord et en swahili en Afrique orientale, la plupart des médias
utilisent l’anglais, le français, l’espagnol ou le portugais, des
langues que ne maîtrisent pas la plupart des citoyens. Les médias et le
gouvernement peuvent être en désaccord dans de nombreux pays africains,
la presse est toujours considérée comme le « quatrième pouvoir ». « Le
gouvernement et les médias sont les deux faces d’une même pièce. S’ils
se battent, ils détruisent la pièce », relève M. Chinje. « Le
gouvernement élabore des politiques publiques qui devraient être
relayées par les médias afin d’enrichir le débat et d’optimiser leur
mise en œuvre pour le bien de la société. »
Les gouvernements africains doivent permettre aux médias de fonctionner
comme un outil au service du développement et de la coexistence
pacifique. Selon M. Mbaku, cet objectif ne peut être atteint que si la
liberté de la presse bénéficie d’une garantie constitutionnelle et que
les obstacles qui l’empêchent de mener à bien sa mission sont supprimés..
25 Janvier 2017
Abonnez-Vous à Afrique Renouveau
Retour
aux Actions
Retour au Sommaire
|