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Le numérique se met au service de l’éducation en Afrique
Par Jeune Afrique - Par Antoine Amiel | 20 mars 2018 à 19h22 — Mis à jour le 17 avril 2018 à 12h07
Pour
Antoine Amiel, PDG de la start-up LearnAssembly, spécialisée dans le
maintien de l'employabilité et la formation continue auprès des
entreprises, le numérique et notamment le téléphone mobile peuvent
jouer un rôle dans la formation des futurs leaders africains.
Avec
230 millions d’habitants en 1950 et une estimation de 2,5 milliards en
2050, la croissance démographique africaine crée une pression sur les
systèmes éducatifs tout simplement intenable. Depuis quelques années,
les initiatives edtech – pour education technology – foisonnent, soit à
l’initiative de start-up, soit de rapprochements entre ONG-acteurs
étatiques et acteurs venus du numérique, soit venant de grandes
entreprises qui voient dans la formation continue un levier stratégique
pour réduire la fracture numérique et les écarts de compétences.
Démocratiser l’accès à la connaissance
Restons prudents : la jeunesse de ces initiatives privées ou publiques,
l’absence d’études d’impact publiques ainsi que l’enthousiasme
débordant et parfois naïf pour tout ce qui est numérique, invite à la
prudence. Les innovations edtech ont cependant le mérite de proposer
des solutions alternatives pour démocratiser l’accès à la connaissance
et offrir des opportunités à ceux qui s’en saisiront. À titre
d’exemple, les récentes polémiques autour de l’attribution des marchés
publics de livres scolaires en Côte d’Ivoire montrent bien la
difficulté de construire un système de formation, allant du primaire à
la formation continue, via les canaux institutionnels.
L’enjeu est de donner accès au savoir, en contournant les contraintes structurelles comme l’équipement et l’accès à Internet.
Avec une population rurale oscillant de 30 % à 50 % selon les pays,
voire plus dans des pays comme le Niger ou le Tchad, l’enjeu premier
est d’arriver à toucher l’ensemble d’un territoire. Les investissements
nécessaires à la construction d’écoles ou centres de formation continue
sont colossaux; quand bien même les « murs » seraient
construits, le recrutement, la formation d’équipes pédagogiques, la
création des cursus seraient un travail de titan, auquel vient
s’ajouter l’achat de plateformes de diffusion (learning management
systems). L’enjeu est donc de donner accès au savoir, en contournant
les contraintes structurelles comme l’équipement et l’accès à Internet.
Les spécificités du continent africain (sous-investissement dans les
infrastructures pédagogiques, forte population rurale éparpillée sur de
vastes territoires, inégalités dans l’accès à Internet, faible maturité
des entreprises sur la formation continue) favorisent l’émergence de
stratégies pédagogiques de contournement et d’initiatives passionnantes.
Barrière des coûts
Le coût de l’éducation, primaire ou continue, est une barrière
considérable. Pour remédier à ce problème, certains acteurs de
l’éducation s’inspirent de modèles venus du mobile banking en utilisant
le mobile comme un outil de partage de connaissances mais aussi
d’achats de micro-contenus pédagogiques. Le mobile learning est en
pleine effervescence en Afrique et propose des moyens d’accéder au
savoir réellement innovants.
Le mobile learning est en pleine effervescence en Afrique et propose des moyens d’accéder au savoir réellement innovants.
La start-up kenyane eLimu a poussé ce concept en équipant des tablettes
de contenus pédagogiques (activités, vidéos, jeux, quizzes) et en
proposant un système de micro-paiement permettant aux parents de
n’acheter que certains chapitres d’un manuel. La solution permet ainsi
de contourner les problèmes de bande-passante et réduit le prix du
matériel pédagogique.
Autre exemple très parlant, la société tanzanienne Ubongo. Elle conçoit
des dessins animés pédagogiques interactifs, diffusés à la fois sur les
chaînes de télévision nationales et maintenant sur une plateforme
réutilisable par des ONG ou professeurs. Mais la société va plus loin
que la simple production de contenus digital learning : elle crée des
quizzes associés aux cartoons, auxquels les enfants peuvent répondre
sur mobile. La complémentarité entre télévision et mobile permet de
démocratiser l’accès au savoir, mais aussi de mettre en pratique.On
peut également citer Eneza, qui revendique 200 000 étudiants actifs
mensuels ou encore Chalkboard Education qui propose une solution de
mobile learning sans connexion wifi.
Les solutions de démocratisation de l’éducation en Afrique ne
s’arrêtent pas à l’éducation primaire ou secondaire. Au contraire,
c’est peut-être sur le plan du lifelong learning, ou formation tout au
long de la vie, que tout pourrait se jouer.
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Apprendre à apprendre
La formation continue est le meilleur moyen de compenser des inégalités
: elle est l’école de la seconde chance. La vague de digitalisation du
savoir entamée notamment avec les Massive open online courses (Moocs)
est une aubaine formidable pour la formation continue en Afrique, leur
gratuité – seul le certificat étant payant – rendant accessible le
savoir.
L’enjeu prioritaire n’est pas tant de produire du contenu pédagogique mais bien de développer une culture du lifelong learning
Mais les limites de cette vague de digitalisation sont réelles : au
cours de déplacements dans plusieurs pays africains pour y travailler
sur les stratégies de formation digitales, j’ai pu constater que
l’écrasante majorité des personnes interrogées, pourtant diplômées de
l’enseignement supérieur et bien insérées professionnellement,
n’avaient tout simplement jamais entendu parler des Moocs, applications
de mobile learning ou autres dispositifs pédagogiques, et plus
généralement des contenus gratuits ou abordables d’auto-formation.
On le voit, l’enjeu prioritaire n’est pas tant de produire du contenu
pédagogique – celui-ci existe déjà ou sera créé -, mais bien de
développer une culture du lifelong learning, une culture d’apprendre à
apprendre. À ce titre, les entreprises ont un rôle important à jouer.
La difficulté à recruter oblige les entreprises à investir dans la
formation de leurs collaborateurs. Certaines grandes entreprises
panafricaines ou étrangères implantées en Afrique se préoccupent de
plus en plus du développement des compétences des salariés pour pallier
les manques.
Le digital learning est également un levier puissant pour démocratiser le savoir
Afin de professionnaliser les managers, les entreprises cherchent à
faire émerger des modèles de leadership africains, plutôt que
d’importer des modèles venus d’Europe ou des États-Unis. L’African
Leadership University, dont les campus sont installés à Maurice et au
Rwanda – pays moteur de la transformation numérique – est l’exemple de
ces offres universitaires pensées par des Africains pour des Africains.
Le digital learning est également un levier puissant pour démocratiser
le savoir; qu’il s’agisse de savoir-faire industriel ou technique, de
formations comportementales ou sur le digital, la création de digital
learning factories dans des entreprises permet de valoriser le savoir
de quelques experts pour le diffuser à tous. Nous avons ainsi observé
l’impact de la digitalisation des compétences d’experts qui deviennent
ainsi des role models et valorisent le fait d’apprendre.
Créer une culture commune
Cette reprise en main par les entreprises de la formation est une
tendance structurelle. Avec la transformation numérique, les
entreprises ne trouvent pas les compétences dont elles ont besoin. les
opérations de croissance externes menées notamment par des entreprises
sud-africaines ou marocaines entraînent des besoins de formation
énormes. Le learning est un moyen de créer une culture commune, de
réduire les silos. Plutôt que d’attendre et partant du principe
qu’elles ont les savoir-faire, elles créent leurs propres contenus,
soit sous forme de Moocs d’entreprise, soit de partenariats avec des
universités.
En conclusion, si l’accès au contenu pédagogique reste le frein le plus
évident pour l’éducation primaire, ce n’est plus le cas pour la
formation continue. Certains individus se forment directement sur des
cours en ligne ou plateformes de social learning, mais restent encore
trop peu nombreux. Les États, les startups et les entreprises ont un
effort d’évangélisation et de pédagogie sur le sujet de la formation à
faire, pour développer l’empowerment et fluidifier l’accès aux
compétences nécessaires au développement du continent.
Ces actions d’empowerment individuels et collectifs peuvent se faire
par la création d’incubateurs comme Injini, spécialisé dans l’éducation
en Afrique du Sud. Mais aussi par la diffusion de contenus pédagogiques
sur mobile ou télévision; par la localisation et le sous-titrage encore
trop souvent anglophones ou francophones; par la diffusion de moocs dès
l’enseignement secondaire; et enfin par des investissements des grandes
entreprises dans la formation, et l’ouverture de ces formations à
l’extérieur. Enfin, l’accès au digital learning pour les femmes est
probablement l’enjeu le plus complexe et ambitieux. Là encore,
l’entreprise a un rôle sociétal à jouer.
8 Mai 2018
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