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Une vision de l’intégration africaine
par Kingsley Ighobor et André-Michel Essoungou
Mr.
Maged Abdelaziz, Secrétaire général adjoint et conseiller Afrique du
Secrétaire général de l’ONU et le Dr. Ibrahim Assane Mayaki, Secrétaire
exécutif du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique
(NEPAD), dirigent des institutions qui contribuent à la transformation
socioéconomique et politique du continent. Dans cet entretien qui s’est
déroulé en octobre, en marge des activités relative à la semaine de
l’Afrique à l’ONU, ils font le tour d’horizon des questions liées au
développement économique de l’Afrique. Interview conjointe réalisée par
André-Michel Essoungou et Kingsley Ighobor.
Le Président de l’Assemblée générale de l’ONU a récemment estimé que le NEPAD était une réussite. Que vous inspire ce propos ?
Ibrahim Mayaki : Au cours des 12 dernières années, marquées par des
transformations positive pour l’Afrique, le NEPAD a largement contribué
à créer un cadre de réflexion stratégique favorisant ainsi la
métamorphose. En 2000, après des années d’ajustement structurel, nous
avions perdu notre capacité à déterminer les priorités et à penser de
façon stratégique au niveau national et régional. Le NEPAD, a
permis de combler ce vide en aidant les pays de la région à mieux
définir leurs priorités et à élaborer des programmes.
Désormais, d’importants projets sont élaborés. C’est le cas de
l’autoroute transsaharienne Alger-Lagos longue de 4500 km qui devrait
être achevée en 2014. L’agriculture, a enregistré des
investissements publics important et attiré des projets privés. En
biotechnologie, nous avons formé plus de 400 spécialistes de la
réglementation pour aider les pays africains à élaborer des politiques
dans ce secteur. Le Bureau du Conseiller spécial pour l’Afrique (OSAA)
a été créé pour aider le NEPAD dans la mise en œuvre de ses programmes.
Il était indispensable de nouer un partenariat fort entre ce bureau et
le NEPAD. Plus le Bureau du Conseiller spécial est fort, plus notre
capacité à atteindre nos objectifs sera renforcée.
En tant que chef de ce bureau justement, comment évaluez-vous le NEPAD ?
Maged Abdelaziz : Le NEPAD a été créé en 2001, un an après l’adoption
des OMD [Objectifs du Millénaire pour le développement, ndlr]. Voir
l’Union Africaine et les pays africains travailler résolument ensemble
pour atteindre les OMD c’est positif. Le NEPAD ne s’intéresse pas
seulement au développement, mais également à la gouvernance, à la paix
et à la sécurité. Les succès de l’approche intégrée du NEPAD sont
louables. Le lien entre paix et sécurité, développement, droits de
l’homme et bonne gouvernance est d’une importance capitale. En 2003,
l’ONU a décidé de mettre en place le Bureau du Conseiller spécial pour
soutenir le NEPAD. En outre, le Secrétaire général a de nouveau nommé
un conseiller spécial chargé de superviser la dernière période de
réalisation des OMD et d’élaborer un programme de développement pour
l’après-2015, en collaboration avec le NEPAD. Je considère donc le
NEPAD comme un réel succès et je tiens à féliciter le Dr Mayaki.
Le Dr Mayaki vient d’affirmer que la réussite du NEPAD est
inextricablement liée à celle du Bureau. Comment le Bureau définit-il
sa réussite ?
M. Abdelaziz : Au Bureau, notre succès consiste à [promouvoir, ndlr] le
NEPAD au niveau international. Nos analyses, nos efforts de
sensibilisation auprès des bailleurs de fonds internationaux, la Banque
mondiale, le FMI et d’autres institutions, sont autant d’efforts visant
à atteindre cet objectif. Au niveau régional, nous pouvons également
citer le travail effectué par la CEA [Commission économique pour
l’Afrique, ndlr] et la Banque africaine de développement (BAD), en
collaboration avec l’Union africaine. Et c’est pourquoi nous avons
cette semaine de l’Afrique à l’ONU. À cette occasion le Dr Mayaki et
d’autres viennent s’adresser aux Etats Membres, à la diaspora, aux ONG,
aux organisations de jeunes, aux femmes et ainsi de suite. Cela est dû
au fait que les programmes d’action de l’Afrique se veulent désormais
axés sur les citoyens et non pas simplement sur les gouvernements.
De nombreux organismes –
la CEA, le NEPAD, le Bureau du Conseiller spécial – sont actifs dans le
domaine du développement de l’Afrique. La coordination entre ces
organes est-elle facile ?
M. Abdelaziz : Cette question revient souvent. Le soutien que nous
apportons au NEPAD comporte trois volets. Il y a trois entités pour
appuyer le NEPAD. Le Bureau apporte 67% du soutien et le reste se
partage entre le Département de l’information de l’ONU et la CEA. Il
est nécessaire d’assurer une bonne coordination. Nous ne pouvons pas
mener certaines activités. Par exemple, nous ne exécutons pas
d’activités opérationnelles en Afrique à cause [de notre mandat, ndlr],
et parce que nous sommes basés à New York. La CEA, beaucoup plus
mobile, peut évoluer avec le NEPAD et la BAD pour atteindre ses
objectifs.
Comment l’Afrique peut-elle accélérer son processus d’intégration ?
I. Mayaki : L’économie constitue la principale motivation d’une
intégration régionale. Si vous prenez un secteur comme l’énergie, les
meilleures solutions ne se situent pas au niveau national mais
régional. Aujourd’hui, les dirigeants politiques, la société civile et
le secteur privé le comprennent. Ceci contribue à promouvoir les
valeurs de l’UA. Le NEPAD a la responsabilité de se rapprocher des
communautés économiques régionales pour renforcer leurs capacités. Nous
facilitons une intégration régionale cohérente en renforçant l’aptitude
à planifier, évaluer à être cohérent. Le deuxième objectif concerne la
paix et la sécurité. Comme vous le savez, l’UA dispose d’un système
d’alerte rapide au sein de son Conseil de paix et de sécurité et avec
ses forces en attente. Ce n’était pas le cas il y a 20 ans. Cet
[instrument, ndlr] contribue à la prévention et à la gestion des
conflits avec une capacité d’intervention rapide si nécessaire. Vous
l’avez constaté dans le cas du Mali, dans le rôle joué par la CEDEAO
avec l’appui de l’UA, puis par les troupes qui se sont rendues au Mali
avec l’appui du Conseil de sécurité des Nations unies.
Le soutien qu’apporte le Bureau du Conseiller spécial aux communautés économiques régionales va-t-il dans le même sens ?
M. Abdelaziz : Absolument ! Cela part de la conviction que
l’intégration africaine commence au bas de l’échelle. Elle doit
commencer au niveau sous-régional où l’importance des communautés
économiques est le plus palpable. Des délais ont déjà été adoptés par
l’UA, mais ils devront encore être étudiés. Ceux-ci comprennent un
accord selon lequel à l’horizon 2017, toutes les barrières douanières
dans les sous-régions seront supprimées pour accroître le commerce
sous-régional, et à l’horizon 2023, ces barrières douanières devront
être abolies sur l’ensemble du continent. En 2027, nous allons
commencer à examiner la possibilité d’une monnaie commune africaine. Il
existe donc un plan soumis à un calendrier, et auquel l’ONU est très
favorable.
Le Programme de
développement des infrastructures en Afrique (PIDA) veut moderniser les
infrastructures du continent. Il se fixe des objectifs ambitieux.
Environ 51 projets à mettre en œuvre ont été identifiés. Comment
comptez-vous les financer ?
I. Mayaki : Pour stimuler le commerce entre les pays africains, nous
devons améliorer les infrastructures. C’est pourquoi nous avons conçu
le PIDA, qui est un plan stratégique de 30 ans axé sur les projets
transfrontaliers régionaux. Le PIDA a le mérite d’avoir été conçu pour
œuvrer de la base vers le sommet. Les priorités font l’objet d’un
consensus. L’autoroute Alger-Lagos n’aurait pas été possible sans le
soutien politique et technique de chacun des pays concernés. Il y a dix
ans, un opérateur privé désireux de discuter d’un projet régional avec
deux gouvernements n’aurait pas eu de cadre pertinent à sa disposition.
Désormais, le PIDA constitue ce cadre. En plus de ces 51 projets, nous
avons à ce jour travaillé sur quelque 250 autres, dont 16 seront
débattus en décembre lors du Sommet de Dakar sur le financement des
infrastructures. Cette rencontre a pour objectif de lancer le dialogue
entre les décideurs politiques, les chefs de gouvernement et le secteur
privé. Le financement sera obtenu grâce aux partenariats public-privé.
La route de 4500 km qui relie Alger à Lagos est-t-elle financée avec de l’argent public ?
I. Mayaki : Oui, uniquement de l’argent public. Cela montre que
l’argent public peut réaliser beaucoup de bonnes choses. Mais si nous
voulons faire mieux, nous aurons absolument besoin des investissements
privés.
Ces projets sont-ils important pour l’Afrique ?
M. Abdelaziz : L’ONU considère que les priorités de l’UA changent.
L’industrialisation ne peut se faire sans infrastructure (électricité,
routes, transports…) et les fondations adéquates pour soutenir ce
développement. L’industrialisation a ses propres règles économiques et
sociales. La règle du jeu économique consiste à ne pas dépendre
exclusivement des industries extractives et de la vente de matières
premières à bas prix. Les règles du jeu social consistent à offrir des
possibilités d’emploi aux jeunes et à encourager les femmes à se lancer
dans le secteur.
Vous parlez souvent d’un lien essentiel entre paix et développement. Qu’est-ce que cela signifie dans le cas de l’Afrique
M. Abdelaziz : Permettez-moi tout d’abord de relever les progrès en
matière de paix et de situation sécuritaire en Afrique. Le nombre de
missions de maintien de la paix est en baisse et les conflits moins
nombreux. Mais dans certaines régions, l’instabilité persiste. Ce qui
fait fuir les investisseurs. La stabilité dans les régions comme le
Darfour devrait contribuer au développement. C’est pourquoi le
Secrétaire général et le président de la Banque mondiale se sont rendus
dans la région des Grands Lacs en début d’année, la Banque mondiale a
promis 1 milliard de dollars visant à promouvoir la stabilité dans la
région.
Vous [I. Mayaki]
avez récemment déclaré, lors d’un débat à l’Université Harvard que
l’Afrique prend un risque en négligeant l’emploi des jeunes. Quelle est
l’ampleur du risque ?
I. Mayaki : La situation est très alarmante : 70% de notre population a
moins de 25 ans. Les jeunes attendent impatiemment des résultats. Vous
ne pouvez pas leur dire « Attendez 50, 40, 30, 20 ans. Donc il faut
leur faire une place lors de l’élaboration des politiques, c’est
justement ce que préconise l’ambassadeur Maged Abdelaziz. Ensuite, dans
tout ce que vous faites, vous devez accorder la priorité à la création
d’emplois pour les jeunes. Qu’il s’agisse des politiques de l’énergie,
de transports, d’éducation… Bref dans tout ce que vous entreprenez,
vous devez prendre la jeunesse en considération, parce que si vous ne
créez pas d’emplois, vous déstabilisez vos systèmes sociaux et
politiques. Dans la construction d’une route, pensez à la création
d’emplois pour les jeunes. Dans la construction d’un hôpital, pensez à
la création d’emplois pour les jeunes. Vous mettez en place des centres
de formation professionnelle, pensez à la création d’emplois pour les
jeunes.
Comment comprendre deux
des tendances les plus frappantes de l’heure : Il y a moins de guerres
en Afrique, et certaines des économies les plus dynamiques au monde
sont Afrique. Est-ce une coïncidence ?
M. Abdelaziz : Ce n’est pas une coïncidence. La diminution des conflits
contribue à la croissance économique, mais ne constitue pas le seul
facteur, car les pays africains mettent également en place de
meilleures politiques économiques, budgétaires, financières et
commerciales qui entraînent de meilleurs taux de croissance. Mais il
est vrai que certains indicateurs négatifs inquiètent. Si par exemple
un pays affiche une croissance de 7,8%, « quel secteur constitue le
moteur de cette croissance ? » La croissance doit venir de secteurs qui
permettront à l’Afrique d’atteindre les résultats escomptés en matière
d’intégration et de réaliser la renaissance africaine. À ce niveau,
l’on peut évoquer l’industrialisation axée sur les produits de base et
les activités à valeur ajoutée.
L’Afrique, selon certaines
estimations, devra créer au moins 10 millions d’emplois par an pour
rattraper la croissance démographique. Quels sont les bons exemples en
matière de création d’emplois sur le continent ?
I. Mayaki : La plupart des pratiques exemplaires sont liées aux
politiques de transformation du monde rural. Prenons le cas du Mali qui
compte environ 20 millions d’habitants, avec un taux de croissance
démographique de 3,2%. 75% de sa population a moins de 25 ans. Chaque
année, 300 000 jeunes entre 18 et 25 ans entrent sur le marché de
l’emploi. Le gouvernement ne peut évidemment pas tous les embaucher
dans la fonction publique. L’industrie n’offre pas assez de débouchés.
Que faire ? La réponse c’est le développement agricole parce que la
plupart des jeunes se trouvent en milieu rural. Si vous ne transformez
pas l’économie rurale, vous vous exposez à de graves difficultés car
ils viendront ruraliser les villes, puis déstabiliser tous vos
systèmes. La création de richesses en milieu rural est une pratique
exemplaire.
Y a t-il des pays qui ont déjà de bons résultats ?
I. Mayaki : Il y a des pays qui ont déjà de bons résultats. Ils sont nombreux en Afrique de l’Est.
M. Abdelaziz : Le Kenya, la Tanzanie... Il y a aussi quelques bons
exemples en matière de parité. Au Rwanda le parlement est composé à 62%
de femmes. Le président du Parlement est une femme et les entreprises
dirigées par des femmes sont en augmentation. Il y a donc une avancée
positive dans ce domaine.
Après les OMD, le
programme de développement de l’après-2015 est considéré comme une
occasion pour l’Afrique de présenter un projet unique et prometteur. Le
Bureau va-t-il y contribuer ?
M. Abdelaziz : Nous appuyons l’élaboration d’un projet africain commun.
Cette initiative s’inscrit dans le cadre de référence stratégique de
l’UA pour les années 2014-2017, portant sur l’industrialisation,
l’intégration régionale et les infrastructures. De plus, il y a aussi
le processus préparatoire du document Afrique 2063 [50 ans à partir de
2013]. Le Bureau du Conseiller spécial participe aux négociations.
En quoi un programme de développement de l’après-2015 pourrait-il être différent des OMD actuels ?
M. Abdelaziz : Les OMD sont un ensemble de principes qui n’ont pas été
accompagnés d’un plan de travail assorti d’échéances. Le principe
voulait que les OMD soient mis en œuvre en 15 ans. C’est pourquoi vous
observez des divergences dans la mise en œuvre et les résultats des
OMD. En ce qui concerne le programme de développement de l’après-2015,
il existe un [désir] au niveau des pays de le transformer en plan
d’action assorti de délais et de rapports d’étape qui seront contrôlés
afin qu’en 2030, après 15 autres années, nous puissions concrètement
évaluer les réalisations.
De récentes statistiques
montrent que l’Afrique a perdu près de 900 milliards de dollars entre
1970 et 2008 en raison de flux financiers illicites. Le continent
a-t-il besoin d’une politique pour faire face à ce problème ?
I. Mayaki : L’UA a mis en place un groupe dirigé par l’ancien président
[sud-africain] Thabo Mbeki. Ce groupe rédigera un rapport qui sera
finalisé en mars 2014. Il est intéressant de constater que la
corruption [locale] représente entre 5% et 10% des flux financiers
illicites. Ceux issus des transactions commerciales sont d’environ 60%.
En d’autres termes, dans de nombreux pays africains, vous verrez une
société installée quelque part depuis 25 ans, mais dans les registres,
elle écrira qu’elle ne réalise aucun profit, pourtant elle est toujours
en activité depuis 25 ans. Les services fiscaux font leur travail
négligemment, les services bancaires manquent de transparence et la
liste des problèmes est longue... Aujourd’hui, vous constatez que dans
de nombreux pays africains, les gouvernements s’intéressent aux
contrats négociés mutuellement. Mais cherchent-ils à connaître le
montant des impôts payés par les entreprises ?
Quelle est votre vision de l’Afrique dans 20 ans ?
I. Mayaki : Dans 20 ans, la croissance sera durable, plus inclusive,
avec des taux élevés d’emploi des jeunes, un processus de
démocratisation plus avancé, moins de conflits, et un [mécanisme, ndlr]
de paix et de sécurité de l’UA plus actif qui permettra de réduire et
de gérer les conflits. Donc dans 20 ans, notre situation sera meilleure
au niveau mondial parce que les jeunes d’aujourd’hui auront de
l’influence sur les politiques élaborées actuellement.
L’UA a recommandé aux pays
d’affecter 10% de leur budget à l’agriculture de sorte que d’ici 2015,
le secteur agricole connaisse une croissance de 6%, mais très peu de
pays s’y sont engagés. Pourquoi ?
I. Mayaki : Selon notre méthodologie de suivi, environ 20 pays ont
suivi cette recommandation, ce qui représente moins de la moitié de
tous les pays. Et les chiffres sont en nette augmentation. Aujourd’hui,
la tendance mondiale est au pessimisme alors qu’en Afrique, nous
observons un optimisme croissant. Je suis convaincu que les dividendes
démographiques qu’apporteront nos jeunes vont véritablement permettre
de concrétiser cet optimisme.
M. Abdelaziz : J’aurais tendance à partager l’optimisme du Dr Mayaki.
Je veux juste ajouter que d’ici 20 ans je souhaite que l’intégration du
continent ait enregistré beaucoup de progrès. Je souhaite que le
continent se soit dotée d’un monnaie unique, que nous ayons supprimé
les droits de douane entre pays, que l’Afrique ait des projets
d’industrialisation communs, des démocraties qui fonctionnerait du
mieux possible, une nette amélioration du respect des droits de
l’homme, une meilleure gouvernance, moins de problèmes liés à la paix
et à la sécurité. Je rêve d’une Afrique qui pourrait être une autre
Union européenne d’ci 30 à 40 ans environ.
25 Janvier 2014
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