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SOMMET DE L'UA
Union africaine : l'avenir avec des lunettes roses
par Samy Ghorbal et Georges Dougueli, envoyés spéciaux
Des
projets à très long terme comme "l'Agenda 2063", la réintégration du
Mali et de Madagascar, des crises régionales qui s'apaisent... Lors de
ce 22e sommet, l'organisation panafricaine a résolument tourné la page
de la sombre année 2013.
Un
léger vent d'optimisme a soufflé sur Addis-Abeba où, du 24 au
31 janvier, l'Union africaine (UA) tenait son premier sommet
annuel. L'organisation étant sur le point de se doter d'une vision à
long terme — pour 2063 en l'occurrence —, on y a beaucoup parlé
d'avenir. Et, aussi, d'économie et de plans stratégiques, au moment où
la croissance du continent talonne celle de l'Asie. Rien à voir avec ce
"sommet de la honte" de janvier 2013 au cours duquel l'UA,
humiliée, avait dû reconnaître qu'elle était tout bonnement incapable
de bouter les jihadistes hors du Nord-Mali et d'arrêter l'avancée des
rebelles de la Séléka, qui assiégeaient Bangui, la capitale
centrafricaine.
Cette année, l'ambiance aura été moins dramatique, ce 22e sommet,
auquel ont participé une trentaine de chefs d'État, ayant surtout été
marqué par le retour de Madagascar et du Mali au sein de la famille.
Antananarivo avait été suspendu en 2009, après la prise de pouvoir
d'Andry Rajoelina, et Bamako en mars 2012, après le putsch du
capitaine Sanogo.
Hery Rajaonarimampianina, le nouveau président malgache, a profité de
son premier voyage à l'étranger pour remercier l'organisation
panafricaine de la célérité avec laquelle elle a levé les sanctions qui
frappaient son pays. Il a également appelé de ses voeux l'organisation
d'une conférence des amis et bailleurs de fonds de Madagascar d'ici à
trois mois, destinée à réunir les financements indispensables à la
reconstruction de la Grande Île. Ses premiers pas à Addis ont été
facilités par la présence à ses côtés de Harisoa Razafitrimo, sa
conseillère spéciale pour les affaires diplomatiques, qui, en tant
qu'ancienne du cabinet de Jean Ping, l'ex-président de la Commission de
l'UA, maîtrise parfaitement les arcanes de l'organisation.
Arrivé la veille de l'ouverture officielle du sommet, Ibrahim Boubacar
Keïta, le président malien, a pour sa part multiplié contacts et
apartés avec les différents chefs de délégation africains (Nigeria,
Afrique du Sud, Liberia, Algérie) et étrangers (il a rencontré
notamment les Américains et les Japonais).
Le retour d'Antananarivo et de Bamako dans la famille UA n'a cependant
pas suffi à faire oublier la grande absente du sommet : l'Égypte,
suspendue depuis la destitution de Mohamed Morsi, en juillet 2013.
Adly Mansour, le président de la transition, a adressé en vain une
lettre aux ministres des Affaires étrangères du Conseil exécutif de
l'UA pour demander la réintégration de son pays. Pour Le Caire, il
est urgent de briser cet isolement diplomatique. La Maison Blanche a
par exemple invoqué la suspension de l'UA pour justifier le refus de
Barack Obama d'inviter les Égyptiens au sommet Afrique - États-Unis des
5 et 6 août prochain.
Ostracisme
Ce dossier risque donc d'empoisonner la présidence mauritanienne qui
s'ouvre, Mohamed Ould Abdelaziz ayant succédé, pour un an, à
l'Éthiopien Hailemariam Desalegn à la tête de l'UA. Autre sujet
sensible à gérer pour Nouakchott : le sommet UA-Union européenne, qui
doit se tenir les 2 et 3 avril à Bruxelles. Herman Van Rompuy et
José Manuel Barroso, respectivement président du Conseil européen et
président de la Commission européenne, ont adressé une lettre
personnelle aux chefs d'État des pays membres de l'UA, à l'exception du
Zimbabwéen Robert Mugabe, persona non grata en Occident. L'affaire a
perturbé les débats du Conseil exécutif : le Rwanda a protesté
vivement, imité en cela par les représentants de la SADC [Communauté de
développement de l'Afrique australe], qui ont menacé de boycotter le
sommet de Bruxelles si cet ostracisme frappant Mugabe n'était pas levé.
L'élection du Zimbabwe à la vice-présidence du bureau de la conférence
des chefs d'État et de gouvernement, annoncée le 30 janvier,
laisse augurer des discussions houleuses...
Mais il y a eu des débats plus consensuels. Comme, par exemple, quand
Abdelmalek Sellal, le Premier ministre algérien, a proposé et obtenu
que la salle plénière du nouveau siège de l'UA porte le nom de Nelson
Mandela. Laurent Salvador Lamothe, son homologue haïtien, dont le pays
était l'invité d'honneur du sommet, a créé la sensation en annonçant la
candidature de Port-au-Prince à l'Union africaine. Mais une éventuelle
adhésion supposerait une révision préalable de l'article 29 de
l'Acte constitutif de l'organisation, qui limite cette possibilité aux
États "africains" stricto sensu.
L'intégration politique, économique et culturelle du continent, qui n'a
guère avancé depuis l'arrivée de Nkosazana Dlamini-Zuma à la tête de la
Commission, pourra-t-elle être relancée ? C'est l'objectif assigné à
"l'Agenda 2063", porté avec volontarisme par la Sud-Africaine, qui
entend faire taire les critiques croissantes sur son "absence de
vision". Il ne s'agit encore que d'un document de travail dessinant les
contours de la prospérité africaine à l'horizon des cinquante
prochaines années et fixant les axes prioritaires de réforme et de
développement. Discuté et enrichi par les chefs d'État, il devrait être
approuvé à l'occasion du prochain sommet, en juillet 2014. Un
groupe informel réunissant les ministres de l'Économie et des Finances
de l'Algérie, du Nigeria, de l'Éthiopie, du Rwanda et de l'Afrique du
Sud a été institué. "L'Agenda 2063" sera-t-il à la hauteur des défis de
l'Afrique et des attentes de ses peuples ? "Nous voudrions tellement le
croire, tempère un haut fonctionnaire de l'organisation. L'UA doit se
projeter dans l'avenir. Mais pourra-t-on nous prendre au sérieux tant
que nous dépendrons des financements extérieurs pour notre budget de
fonctionnement ?"
Quoi qu'il en soit, le 29 janvier, à la réunion très attendue du
Conseil de paix et de sécurité de l'Union, les dirigeants des
puissances régionales sont arrivés avec le sentiment du devoir
accompli. Médiateur du conflit centrafricain, le Congolais Denis Sassou
Nguesso est apparu radieux. "Avez-vous le moral ?" a-t-il demandé à son
compatriote, le général Jean-Marie Michel Mokoko, le patron de la
Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite
africaine (Misca). "Les résultats que la Misca a obtenus en quelques
semaines [elle a été créée en décembre 2013] sont
appréciables. Avec l'aide des Français, Bangui est quasi sécurisé, et
les massacres ont cessé", s'est réjoui El-Ghassim Wane, directeur au
département Paix et Sécurité de l'UA.
Cette année, une fois n'est pas coutume, les bonnes nouvelles ont eu plus de résonance médiatique que les crises.
Électrochoc malien
L'Ougandais Yoweri Museveni affichait lui aussi sa satisfaction.
L'engagement de ses troupes auprès de l'armée du Soudan du Sud a forcé
les rebelles de Riek Machar à négocier. Grâce à la médiation de
l'Éthiopien Hailemariam Desalegn à travers l'Autorité
intergouvernementale pour le développement (Igad), les parties sont
parvenues le 23 janvier à un accord de cessez-le-feu. À
l'ouverture de la conférence des chefs d'État et de gouvernement, le
30 janvier, les principaux dossiers semblaient donc en voie de
règlement.
Cette année, une fois n'est pas coutume, les bonnes nouvelles ont eu
plus de résonance médiatique que les crises. Même si tout n'est
pas réglé pour Pierre Buyoya, patron de la Mission de l'Union
africaine pour le Mali et le Sahel (Misahel). "Il reste à relever le
défi de la sécurité, de la gouvernance et du développement au Mali",
a-t-il insisté.
L'électrochoc malien de janvier 2013 semble donc avoir provoqué un
réel changement d'attitude, s'agissant notamment de la capacité à
répondre rapidement aux crises. Mais la volonté politique ne suffit
pas. "Il faut relever le défi logistique, être capables de déployer des
troupes sur le terrain et de les entretenir", souligne Ramtane Lamamra,
le ministre algérien des Affaires étrangères, dont le pays s'est engagé
le 29 janvier à fournir des avions à la Misca. Cependant, sur les
questions de sécurité, l'UA est vite retombée dans ses travers
habituels, notamment dès qu'il a été question d'accélérer la mise en
place de la Capacité africaine de réponse immédiate aux crises (Caric).
Des rivalités sont réapparues, opposant l'Afrique du Sud, fervente
partisane de cette formule, au Nigeria, qui lui préfère le projet de la
Force africaine en attente (FAA).
Coulisses
Bousculade dans les couloirs
L'Afrique est de plus en plus
courtisée. La preuve ? Ses partenaires ont profité des assises de l'UA
pour faire du lobbying. La Française Hélène Le Gall, conseillère
Afrique du président Hollande, l'Américaine Linda
Thomas-Greenfield, sous-secrétaire d'État aux Affaires africaines, ou
le vice-ministre japonais des Affaires étrangères ont multiplié les
entrevues bilatérales. Très actifs eux aussi, les Turcs ont fait la
promotion de leur candidature à un siège de membre non permanent au
Conseil de sécurité de l'ONU pour 2015-2016. À noter enfin la présence
plus "exotique" de Murray McCully, le ministre néo-zélandais des
Affaires étrangères.
Nkosazana draguée par l'ANC
Nkosazana Dlamini-Zuma, la
présidente de la Commission de l'UA, a décliné la proposition de l'ANC
de conduire une liste aux élections législatives sud-africaines qui
doivent se tenir entre avril et juillet. La rumeur selon laquelle elle
ne souhaitait pas achever son mandat à Addis a été démentie par un
membre de son cabinet.
À Abuja, d'argent on parlera
Le 27 mars se tiendra à
Abuja (Nigeria) une conférence sur l'industrialisation et le
développement durable en Afrique. Elle sera décisive sur la question
des nouveaux modes de financement de l'UA, auxquels réfléchit une
commission dirigée par Olusegun Obasanjo, l'ancien président nigérian.
L'UA hésite entre une taxe sur les billets d'avion et les hôtels ou une
taxe sur les transactions minières et pétrolières.
OIF : Buyoya pas candidat
Présenté comme un potentiel
successeur d'Abdou Diouf au secrétariat général de la Francophonie,
Pierre Buyoya dément. L'ex-président du Burundi et actuel chef de la
Misahel (Mission de l'UA pour la Mali et le Sahel) dit se consacrer
pleinement à sa mission et n'être "candidat à rien".
Une femme après Kaberuka ?
Le second et dernier mandat du
président de la Banque africaine de développement (BAD) s'achève dans
quinze mois. Déjà, des noms de candidats commencent à circuler.
Cristina Duarte, la ministre cap-verdienne des Finances (ci-contre),
serait, dit-on, soutenue par l'Argentine, le Brésil et des pays de
l'Europe du Nord présents dans l'actionnariat de la BAD. Ngozi
Okonjo-Iweala, la ministre nigériane des Finances, est elle aussi
citée, mais Lamido Sanusi, le gouverneur de la Banque centrale du
Nigeria, serait lui aussi intéressé.
IBK en colère
Empêché par un policier
éthiopien fort peu courtois - et qui ne l'a pas reconnu -
d'accéder à la salle des conférences par l'accès réservé aux chefs
d'État, Ibrahim Boubacar Keïta, le président malien, s'est fâché tout
rouge. IBK a même menacé de reprendre son avion, un appareil prêté par
le roi du Maroc, Mohammed VI. Le malentendu, qui a failli virer à
l'incident diplomatique, s'est déroulé le 30 janvier.
5 Février 2014
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