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INTERVIEW LORS DU SOMMET EUROPE-AFRIQUE
Andris Piebalgs : «L’Afrique a encore besoin d’une aide importante»
Propos recueillis par Anne Bauer, correspondante à Bruxelles des Echos
A
l'occasion du sommet Europe-Afrique, le Commissaire européen en charge
du Développement explique aux Echos pourquoi il faut maintenir une aide
au développement conséquente en Afrique.
Plus de 80
dirigeants africains et européens, ainsi que le secrétaire général de
l’ONU Ban ki-Moon se retrouvent mercredi et jeudi à Bruxelles pour
tenter de relancer leur partenariat, plombé par l’instabilité en
Afrique et en perte de vitesse face à la concurrence chinoise. Ce
sommet , le quatrième du genre entre les deux continents, est placé
sous trois mots d’ordre : « investir dans les personnes, pour la
prospérité et la paix ».
L’Afrique est-elle toujours en demande d’une forte aide au développement ?
La plupart des dirigeants africains vous répondront que non, et qu’ils
souhaitent surtout des aides au commerce, des partenariats et de
l’investissement privé. Néanmoins l’aide au développement est encore
dans beaucoup de pays un indispensable moteur de croissance. Par
exemple, en Guinée-Conakry, en Ethiopie, au Rwanda ou au Burundi, elle
joue un rôle très important pour assurer des services de base. L’Europe
reste le premier partenaire au développement de l’Afrique avec 45% de
l’aide publique au continent en 2012. Chaque année, la Commission
européenne y consacre environ 4 milliards d’euros. Une aide d’autant
plus cruciale qu’il s’agit de dons et non de prêts. Or ces dons sont
souvent une composante essentielle des budgets des Etats les plus
pauvres qui n’ont pratiquement pas de ressources fiscales. Pour les
années 2014-2020, il a été décidé de concentrer notre aide sur les pays
les moins avancés. 70% de l’aide européenne est destiné aux pays les
pauvres, dont ceux touchés par les conflits ou les catastrophes
naturelles comme le Mali, la Somalie, la République centrafricaine ou
Haïti. Globalement, si beaucoup d’Etat africains affichent désormais
des taux de croissance de 6 à 8%, c’est aussi souvent grâce à l’aide
obtenue qui à moyen terme permet le décollage.
L’Union Européenne consacre-t-elle assez de moyens pour l’Afrique ?
Evidemment, si on compare ces 4 milliards d’aides au soutien à la
Grèce, c’est évidemment très peu. Environ 7% du budget européen est
destiné à l’action extérieure. Ce n’est pas beaucoup, mais néanmoins,
l’Union européenne reste le premier donateur dans le monde. Avec un
budget annuel de 55 milliards d’euros, dont 10 milliards sont gérés par
Bruxelles et le reste par les 28 Etats membres. Bien entendu, les Etats
européens doivent tenir compte de leurs contraintes budgétaires, mais
si on veut un monde plus juste, il faut maintenir la solidarité.
D’ailleurs l’Union européenne, qui avait promis de porter son aide au
développement à 0,7% de son PIB, n’a atteint que 0,43%. Or la
coopération au développement est non seulement un acte de solidarité
mais aussi un outil de promotion envers le contient qui a le taux de
croissance le plus rapide et la population la plus jeune.
Les Objectifs du
Millénaire pour le Développement (ODM) des Nations Unies viennent à
échéance en 2015. Ont-ils été utiles ? Faut-il les maintenir, les
transformer ?
Ils ont été très utiles et l’Afrique a beaucoup progressé avec ces
objectifs de lutte contre la pauvreté. Plusieurs pays dépassent les
buts à atteindre. Certains, comme le Rwanda, ont rempli tous les
objectifs fixés, en matière d’éducation, d’accès à l’eau…On peut parler
de réussite. Alors que chaque gouvernement a de multiples priorités et
a des difficultés à les hiérarchiser, les « ODM » ont permis d’orienter
leurs choix, de mieux cibler les efforts et d’obtenir des résultats.
Par exemple un pays comme le Burkina Faso a construit tout son budget
autour du respect de ces objectifs. Les ODM ont donné un cadre
international à la solidarité et ont permis aussi aux donateurs de
mesurer son action. Grâce à l’aide européenne, près de 14 millions
d’enfants ont pu suivre un enseignement primaire, plus de 70 millions
de personnes ont bénéficié d’un accès à l’eau potable, 7,5 millions
d’accouchements se sont déroulés en présence de personnel de santé
qualifié, ce qui a fait reculer la mortalité infantile…
Après 2015, je souhaite qu’on soit encore plus ambitieux, en ajoutant à
la lutte contre la pauvreté, toujours aussi urgente face au milliard
d’hommes qui vivent avec moins de 1,25 dollars par jour, des objectifs
de gouvernance et de paix : droit de l’homme, développement durable,
lutte contre la fraude fiscale, accès à la justice, etc…A New-York, au
siège des Nations-Unies, on discute ainsi d’objectifs qui finalement
seront valables pour tous, pays développés ou en développement.
Les conflits au Mali ou en
République centrafricaine ne sont-ils pas un signe qu’il faut
réorienter l’aide vers le renforcement de la sécurité ?
Cette année, nous allons consacrer 325 millions d’euros en 2014 pour
les opérations pour la paix sur le continent africain. En Somalie, au
Mali et en République centrafricaine. Et depuis 2004, l’Union
européenne a fourni plus de 1,2 milliard d’euros au titre de la
Facilité de paix pour l’Afrique dédié au renforcement institutionnel et
au soutien aux opérations de maintien de la paix menées par les forces
interafricaines. Ce soutien est crucila car il n’y a pas de
développement sans sécurité et pas non plus de sécurité sans
développement, car le point de départ des conflits se niche le plus
souvent dans la misère. Aussi nos priorités de développement pour les
années à venir se concentreront sur trois objectifs : le secteur
agricole et la sécurité alimentaire, car les populations rurales sont
les plus démunies ; l’accès à l’énergie, sans laquelle il n’y a pas de
croissance économique possible ; et enfin les secteurs sociaux comme la
santé et l’éducation, pas seulement dans le primaire mais aussi au
niveau supérieur, professionnel et technique, afin de donner aux
peuples une chance d’améliorer leur sort eux-même. Mais comme il
n’existe pas de développement sans sécurité, il faudra maintenir
évidemment le financement des opérations de maintien de la paix.
La France a-t-elle eu raison d’intervenir au Mali et en République Centrafricaine ?
Oui et la France est intervenue à des moments cruciaux. Au Mali,
l’intervention française, décisive, a permis un rétablissement rapide
de l’Etat et des conditions de la reprise de notre aide au
développement qui avait été suspendue de fait depuis le coup d’Etat de
2012. Le Mali est en voie de stabilisation, ce qui est ne bonne
nouvelle pour toute la région du Sahel. En République centrafricaine,
la situation reste très préoccupante, car les pays voisins ont attendu
trop longtemps avant d’intervenir, afin d’éviter les combats
fratricides entre chrétiens et musulmans. Toutefois, sans
l’intervention de la France, cela aurait été pire.
Pourquoi est-il si long et compliqué pour que l’Europe vienne aider la France en Centrafrique ?
Il y avait très longtemps que l’Union européenne n’avait pas envoyé de
force de combat, hormis les forces navales pour lutter contre la
piraterie en Somalie. Donc faute d’expérience et comme le processus de
décision à 28 est lourd et long, cela a pris plus de temps que prévu.
Mais la mission Eufor RCA est prête et va se déployer rapidement. Et je
crois que cette « première » permettra par la suite de réagir plus
vite. L’expérience jouera positivement. Evidemment, comme beaucoup
d’observateurs, j’ai été déçu par les atermoiements, et surtout pour
une opération qui n’est pas si compliquée.
Pour notre part, notre aide humanitaire et au développement en soutien
direct aux populations s’est toujours poursuivie de même que notre
soutien financier à la Mission internationale de soutien à la
Centrafrique sous conduite africaine (MISCA). Nous avons d’ores et déjà
budgété 20 millions d’euros en appui à la réorganisation d’élections et
nous sommes à Bangui pour recenser les besoins dans l’éducation, la
santé et surtout sur la manière de reconstruire un Etat : justice,
police, budget, etc... La présidente intérimaire est de bonne volonté
mais tout manque et la reconstruction d’un Etat va prendre du temps.
Pour l’instant, nous avons dégagé 80 millions euros de financement pour
un soutien ciblé qui passe par les Nations Unies et les ONG. Les bases
ne sont pas encore là pour pouvoir travailler directement avec l’Etat
comme on le fait au Mali.
Qu’attendez-vous du Sommet ?
L’Europe a changé, beaucoup de pays notamment à l’Est connaisse peu
l’Afrique. Le but de ce sommet est avant tout de renforcer la
compréhension politque entre les deux continents sur des problèmes
globaux. Et par ailleurs, l’Afrique ne peut se contenter d’aide au
développement, il faut que les investissements privés prennent le
relais.
5 Avril 2014
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