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Quel avenir pour l’Afrique après 2015 ?
Par Tim Wall
Les
yeux fixés sur l’après-2015, date butoir des Objectifs du millénaire
pour le développement (OMD), Amina Mohammed a indiqué que la décision
de l’ONU d’adopter le développement durable comme nouvelle priorité
pour les pays pauvres et pour le reste du monde soulevait de nombreuses
questions pour le continent.
Mme Mohammed point de
contact auprès du Secrétaire général de l’ONU en matière de
développement, s’est entretenue avec Afrique Renouveau dans ses bureaux
au Secrétariat de l’ONU, alors que le sommet de l’Union Africaine
débutait à Addis Abeba en Ethiopie.
« En premier lieu, il y a les soupçons qui entourent le ‘’développement
durable’’, notion qui permettrait à certains d’échapper à leurs
engagement vis-à-vis de l’Afrique, explique-t-elle. Il y aussi la
question de savoir si la pauvreté restera au centre des préoccupations,
» comme c’était le cas avec les OMD.
La pauvreté reste une question centrale pour l’Afrique, plus que pour
toute autre région du monde, même si l’Afrique sort de l’ère des OMD
dans une meilleure position qu’au début. Les économies africaines ont
bénéficié d’une croissance régulière depuis l’an 2000 et les
économistes de l’ONU estiment que la croissance moyenne en Afrique en
2014 et 2015 sera supérieure à celle du reste du monde, Chine exceptée.
Le continent a sans doute mieux traversé les crises financières du
nouveau siècle que d’autres et les investisseurs attachent de
l’importance aux consommateurs africains autant qu’aux ressources
naturelles de la région. Les forts taux de croissance de la population
dans ces pays posent de réels problèmes, mais l’une des conséquences
est que l’Afrique, récemment devenue la deuxième région la plus peuplée
au monde, y a gagné en influence.
La plupart des questions clés auxquelles l’Afrique doit répondre
aujourd’hui trouvent leurs réponses au niveau mondial : le changement
climatique, l’immigration, la stabilité du système financier et les
modèles de développement.
Quand l’UA a adopté cette année, une « position commune » pour son
programme de développement pour l’après-2015, « elle est intervenue
juste au bon moment », explique Ibrahim Mayaki, le secrétaire exécutif
du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD),
l’agence de développement de l’UA.
Cette position commune, poursuit-il, incarne le changement de direction
pris par le modèle de développement, d’une planification à caractère
social à une autre, recentrée sur l’apport de valeur ajoutée et
l’utilisation rationnelle des ressources. Du côté de l’ONU, le
continent est déjà bien représenté dans les discussions sur
l’après-2015.
La société civile, le milieu des affaires, les représentants des
milieux politiques et académiques siègent au sein du groupe de haut
niveau mis en place par le Secrétaire général, et la présidente
libérienne Johnson Sirleaf est l’une des trois chefs d’État à le
co-présider avec le Premier ministre britannique David Cameron et le
Président indonésien Susilo Bambang Yudyohono. Le Représentant
permanent du Kenya auprès des Nations Unies, Macharia Kamau, co-préside
un groupe de travail ouvert chargé de recommander une série d’objectifs
de développement durable (ODD) d’ici la fin de l’année.
Le changement climatique a un impact global. Avec ses régions qui vont
d’un climat chaud à un climat tropical, il est probable que l’Afrique
sera la plus touchée par ce changement. L’agriculture est
particulièrement menacée : sur 54 pays africains, 30 sont classés parmi
les pays les moins avancés et dans ces pays, 70 % de la population vit
dans des régions rurales et agricoles qui ne contribuent à la
croissance économique qu’à hauteur de 30 %.
Les produits alimentaires doivent y être importés, ce qui rend les
habitants vulnérables à la volatilité des prix, aux secousses des
marchés financiers et aux conditions climatiques extrêmes.
Du fait de la forte natalité, l’âge moyen des Africains est inférieur
de deux tiers à l’âge moyen en Amérique latine, et moitié moindre par
rapport au reste du monde. Si elle n’est pas utilisée de manière
productive, cette masse d’adolescents et de jeunes de moins de trente
ans peut aisément se transformer en bombe à retardement du fait de la
persistance d’un chômage élevé qui attise le mécontentement social.
Pour Ibrahim Mayaki, « le principal défi reste la création d’emplois
pour les jeunes. Si nous échouons, ces pays seront déstabilisés. »
Ce mécontentement de la jeunesse est déjà un facteur sous-jacent des
nouveaux conflits qui se propagent au Sahel et entravent les efforts de
pacification et de stabilisation de l’Afrique au XXIe siècle. Longtemps
réputé pour sa stabilité, le nord du continent a été secoué par les
conséquences du Printemps arabe. Ibrahim Mayaki cite ainsi l’exemple de
la Tunisie et le rôle joué par une jeunesse désabusée, privée de ses
droits dans un pays miné par les problèmes de gouvernance. À l’extrême
sud du continent, l’Afrique du Sud traverse une période d’instabilité
comme elle n’en a pas vu depuis des années.
Dans les discussions au niveau global, la jeune génération affirme que
son rôle dans l’avenir de ces sociétés n’est pas reconnu et cette
préoccupation prend désormais un caractère transversal. Le chômage des
jeunes se fait ressentir de manière pressante, quel que soit le pays
concerné
Protéger la nature pour protéger les économies
La « position commune », qui insiste sur la transformation économique,
une croissance sans laissés pour compte et la mise en place de
capacités productives et d’infrastructures dont l’Afrique a grandement
besoin, peut faire oublier la caractéristique principale du
développement durable qui est d’allier l’environnement, l’économie et
les questions sociales.
La notion selon laquelle la préservation de l’environnement s’envisage
en parallèle, plutôt que de concert avec le développement économique a
été exposée par l’ex-Premier ministre indien Indira Gandhi dès la
première conférence des Nations Unies sur l’environnement et le
développement. Les personnes qui vivent dans l’extrême pauvreté,
a-t-elle souligné, ne se soucient pas outre mesure des perspectives
environnementales à long terme, pas plus qu’elles n’offrent une base
politique pour les mesures environnementales à prendre.
L’agriculture et la sécurité alimentaire font partie des thèmes qui
peuvent fédérer les progrès économiques, la justice sociale et la
protection de l’environnement sous la notion de développement durable
Comme on peut le constater, les moyens d’existence de la grande
majorité des populations pauvres en Afrique et dans le reste du monde
dépendent du milieu naturel, qu’il s’agisse d’exploitations agricoles
ou forestières, de pêche, ou d’agro-pastoralisme. Mais pour Elliot
Harris, Directeur du Programme des Nations Unies pour l’environnement à
New York, cet accès au capital naturel n’est pas adéquatement
transformé en capital financier. Souvent, les populations concernées ne
bénéficient pas de droits de propriété ni de services bancaires ou
coopératifs d’intermédiation financière correspondants. Alors même que
l’avenir de leurs familles est menacé par le changement climatique et
la dégradation des ressources foncières et aquifères, les pauvres sont
généralement isolés géographiquement et travaillent sur des petites
exploitations, ou des terres communales dont le statut est vague. Ils
ne peuvent pas non plus tirer profit des terrains et de l’eau qu’ils
exploitent sans intrants agricoles technologiquement développés, de
meilleures conditions de stockage alimentaire et des infrastructures de
transport appropriées.
Un manifeste des Nations Unies sur le développement durable susceptible
de soulever l’enthousiasme devrait inciter à comprendre qu’un
environnement sain, particulièrement dans le cadre d’une tendance
haussière des prix alimentaires au niveau mondial, est la condition
sine qua non, économiquement parlant, pour les pays, comme pour les
habitants , les plus pauvres.
Ressources financières
Alors que les Nations Unies évoluent vers les objectifs de
l’après-2015, l’élément central de leur mise en œuvre est traité avec
une certaine légèreté. Les désaccords sur l’assistance financière des
pays du nord ont freiné nombre de débats au sein de l’organisation
jusqu’à récemment encore. L’Afrique et les Nations Unies insistent sur
le fait que l’existence d’un programme pour l’après-2015 ne doit pas
servir d’argument pour se désengager des OMD. Un autre argument est
aussi évoqué, selon lequel l’aide n’est plus la seule ressource
financière disponible, ce qui implique qu’elle ne doit pas non plus
être un motif de rupture de partenariats.
« Sans l’APD [aide publique au développement], il n’y aura pas de
programme de développement, affirme Amina Mohammed. C’est une part
importante qui ne saurait être dissociée du reste même si cela ne
représente au final qu’une petite part. Nous savons que les ressources
financières existent. S’il y a accord sur la nécessité de solutions
planétaires, l’étape suivante consiste à trouver un cadre qui permette
de débloquer ces ressources. Nous devons renforcer les capacités des
systèmes fiscaux et créer des environnements adaptés pour accéder aux
capitaux privés. Nous devons faire un meilleur usage de l’aide dont
nous disposons déjà. »
Ibrahim Mayaki encourage pour sa part les donateurs à se conformer à
l’objectif fixé par les Nations Unies, qui est de consacrer 0,7 % du
revenu à l’APD, mais il note que les revenus tirés des ressources
intérieures en Afrique ont été multipliés par quatre ces vingt
dernières années. Il cite aussi une étude de l’Organisation de
coopération et de développement économiques (OCDE) selon laquelle moins
de 60 millions d’Africains, sur un milliard, vivent dans des pays où
l’aide est plus importante que les ressources nationales.
Ibrahim Mayaki souhaite une utilisation intelligente des partenariats
public-privé associant les entreprises au niveau aussi bien interne
qu’international. Pour lui, l’industrialisation de l’Afrique passe par
une coopération Sud-Sud désormais plus orientée vers les questions
économiques que politiques. Il ne s’agit plus seulement d’échanges de
ressources contre des infrastructures comme avec la Chine, mais aussi,
explique-t-il, d’un pays comme le Brésil recherchant des partenariats
public-privé en Angola ou au Mozambique, d’entrepreneurs indiens qui
viennent en Afrique de l’Est, ou de société minières sud-africaines qui
souhaitent commercer avec la Guinée ou la Mauritanie.
Les dirigeants de la société civile s’inquiètent de la privatisation
accrue du développement, tandis que les chefs d’entreprise en Afrique
sont, selon le Pacte mondial des Nations Unies, partagés quant à
l’impact sur le développement de l’aide d’une part, et de la croissance
économique d’autre part.
L’aide demeure, à quelques exceptions près, l’une des préoccupations
principales des négociateurs car c’est une question susceptible de
mettre le feu aux poudres et le simple fait que la mise en avant d’un
sujet par un groupe d’intérêt peut être perçue comme une manière d’en
dévaloriser un autre. Ainsi l’accès aux marchés et les mesures de lutte
contre la pollution peuvent être interprétées comme des freins à la
production ou à la consommation, idem quant aux droits des femmes et
des minorités. La valeur ajoutée d’un programme de développement
durable – sa capacité à relier pratiquement tous les problèmes – pose
un défi au niveau de la mise en œuvre. Pour l’heure, la sensibilité de
ces questions fait d’elles des obstacles de taille sur la route qui
doit mener à un accord global. « Il y aura encore beaucoup de moments
difficiles, » prévient Amina Mohammed.
21 Mai 2014
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