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Refonder la relation Afrique-Europe autour de l'économie: pour un nouveau « Consensus de Bruxelles »
Par Bruno Alomar et Thierno Seydou Diop
En
1957, dans sa célèbre déclaration, Robert Schuman préconisait à
l'Europe, après son intégration, de s'atteler au développement de
l'Afrique en ces mots : « L'Europe pourra, avec des
moyens accrus, poursuivre la réalisation de l'une de ses tâches
essentielles: le développement du continent africain ».
Malheureusement, plus de 50 ans après, l'Afrique a changé, l'Europe également, mais leur entente reste insuffisante.
La raison est simple : l'Europe n'a pas, contrairement aux BRICS
(Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), Chine en tête, pris
acte de la montée en puissance de l'Afrique, trait essentiel du siècle
qui commence. Il y a pourtant urgence. Avec des besoins en
infrastructures évalués (en dollars) à 100 milliards (75,78 milliards
d'euros) par an et à moitié couverts, un marché de la consommation de
600 milliards en 2013 (estimé à 1000 milliards en 2020), des
investissements directs étrangers en forte croissance et atteignant 43
milliards en 2013 (144 milliards en 2020), une population d'un milliard
d'habitants (2 milliards prévus en 2050), l'Afrique est le marché du
futur pour l'Europe.
Le moment est propice. Ni le « consensus de Washington »,
marqué par un agenda de réformes néolibérales aux conséquences sociales
désastreuses, ni la stratégie chinoise, fondée sur des investissements
ciblés, massifs et rapides, ne peuvent satisfaire l'Afrique ou
l'Europe. Il y a donc place pour un nouveau « consensus de
Bruxelles », plus ambitieux que les politiques de développement
actuelles ou le « consensus européen sur le développement »
de 2005 (focalisé sur la pauvreté, la démocratie, les stratégies
nationales de développement).
DE VÉRITABLES PARTENARIATS INDUSTRIELS
Ce consensus serait axé sur une action plus volontaire de l'Europe vers
le soutien aux investissements et au commerce avec l'Afrique. Il
s'appuirait essentiellement sur le secteur privé tant il est vrai que
la politique et la diplomatie sont insuffisants sans progrès
économiques.
L'action de l'Europe pourrait ainsi accompagner le secteur privé dans
la conquête des marchés en Afrique, en mettant à sa disposition des
moyens financiers conséquents, et se focaliser sur les capacités de
mobilisation des ressources africaines avec des projets à impact
immédiat sur l'environnement des affaires, la mobilisation et la
transformation de l'épargne nationale, le développement des marchés
financiers locaux, la gestion des finances publiques, la transparence
dans la gestion des ressources naturelles notamment minières et
énergétiques et la lutte contre la corruption et son versant financier
à savoir une lutte effective contre les flux de capitaux quittant le
continent de façon illicite (évalués à 840 milliards de dollars de flux
en 40 ans).
Cette coopération, pendant des Accords de partenariat économique en
cours de négociation, serait ainsi basée sur de véritables partenariats
industriels mobilisant les entreprises, les Etats et la recherche &
développement (R&D) dans les secteurs clés. Elle aura pour cadre le
financement de grand projet d'infrastructures régionales (énergie,
transports) mais aussi le financement des PME (innovation,
capital-risque).
UN PUISSANT PARTENAIRE
L'instrument de cette coopération serait la création d'une banque de
développement et d'investissement dédiée qui comblerait les limites
actuelles de l'action de la Banque européenne d'investissement (BEI) en
Afrique (qui intervient actuellement via la facilité d'investissement
de 1,34 milliard d'euros, des ressources propres d'environ 2 milliards
d'euros, et des financements ne dépassant pas 600 millions d'euros par
an).
En parallèle, les 20 milliards d'euros prévus pour les pays africains
dans le cadre du Fonds européen de développement pour la période
2014-2020 et les 10 milliards d'euros que les Etats membres octroient
annuellement à l‘Afrique sur une base bilatérale seraient réorientés
vers des investissements avec effet de levier (on peut à ce titre
penser au Fonds fiduciaire UE-Afrique pour les infrastructures créé en
2008 et qui a mobilisé 6,5 milliards d'euros d'investissement avec un
apport initial de 650 millions d'euros).
Au-delà des stéréotypes et des crispations politiques, il n'est que
temps pour l'Europe de regarder l'Afrique comme elle doit l'être :
un puissant partenaire économique, et, en ce sens, une partie de son
futur.
Les auteurs
Bruno Alomar est professeur à l'Institut d'études politiques de Paris.
Thierno Seydou Diop, conseiller Senior pour l’Afrique à Bruxelles, est spécialiste des relations Union européenne-Afrique.
29 Août 2014
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