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L’Afrique qui gagne Par François de Labarre
Une
nouvelle génération d’entrepreneurs est en train de transformer le
«continent maudit». Jeunes, millionnaires, ils ne doivent leur réussite
qu’à eux-mêmes.
Tout le monde se les arrache. Ces icônes de la
réussite africaine incarnent l’espoir d’un monde meilleur. Quatre
femmes d’affaires pendant l’Africa CEO Forum, organisé par
l’hebdomadaire «Jeune Afrique», à Abidjan, les 21 et 22 mars 2016. De
gauche à droite: Tigui Camara (Guinée), Diane Chenal (Côte d’Ivoire),
Ghislaine Ketcha Tessa (Cameroun), Neila Benzina (Tunisie)
Les
2 et 3 juin prochain, une petite centaine d’entre eux sera présente à
Paris invitée par l’Institut Choiseul Afrique. Ce “think tank” français
indépendant sort chaque année un classement des leaders français de
moins de 40 ans. Depuis 2014, il publie aussi un classement Choiseul
100 Africa. Parmi ces businessmen, on relève des noms déjà connus dans
leurs pays comme Hassanein Hiridjee à Madagascar, Ken Etete au Nigeria,
Sébastien Kadio Morokro en Cote d’Ivoire ou Ermias Eshetu en Ethiopie.
Cette année, les responsables politiques français leur déroulent le
tapis rouge. Ils seront reçus à l’Hôtel de Ville de Paris par la maire,
Anne Hidalgo, au Conseil régional d’Ile-de-France par sa présidente,
Valérie Pécresse, à l’Hôtel Matignon par le Premier ministre, Manuel
Valls, et par le ministre de l’Economie, Emmanuel Macron, au siège de
Business France. Enfin, ils auront droit à une visite privée des
Galeries Lafayette, le grand magasin du boulevard Haussmann, par le
patron du groupe lui-même, Philippe Houzé et son fils Nicolas.
Pour rencontrer cette Afrique qui gagne, nous avons assisté à l’Africa
CEO Forum le 21 mars 2016 à Abidjan. Organisé par le groupe "Jeune
Afrique" , ce grand raout annuel accueille le gratin des
décideurs. Moyennant un ticket d’entrée plutôt élevé, une foule se
presse dans l’espoir d’arracher un mot à Aliko Dangote, l’homme le plus
riche du continent. Pour cette génération montante, abonnée à "Forbes
Afrique" l’histoire coloniale n’évoque qu’un lointain souvenir.
Ermias Eshetu, Aliko Dangote et Igho Sanomi
"Si vous me donnez 5 milliards de dollars, j'investirai tout au Nigeria", Aliko Dangote
Parmi les entrepreneurs présents, se trouvent de nombreuses femmes
d’affaires, riches et sans complexes, comme Tigui Camara,
unique patronne – au féminin – dans l’industrie minière en
Guinée. Elle a fait ses études à Conakry et au Maroc. Sa société, Tigui
Mining Group emploie 50 personnes.
Longues nattes, tenue colorée, Ghislaine Ketcha
Tessa, directrice générale de Millenium Immobilier, est quant à
elle, diplômée de l’Ecole spéciale des travaux publics (ESTP) de Paris.
Si elle n’a pas vraiment le look de la profession, elle construit
pourtant bien des routes et des immeubles et emploie 200 salariés au
Cameroun où elle investit dans la "promotion durable".
"Le plus dur, en Afrique, c’est de démarrer, de trouver les
financements, l’investissement en fonds propres. Après, il faut faire
les bonnes rencontres", confie Diane Chenal. Ancienne directrice
de la communication à la Fondation Montaigne, elle a créé Dianox en
2007, une société de distribution de matériel médical en Côte d’Ivoire.
Son entreprise, qui vend tous types de produits des seringues jusqu’aux
scanners, pourrait s’internationaliser sur le Mali et le Burkina Faso.
Igho Sanomi, fils de policier de la région pauvre du Delta du Niger devenu milliardaire à 39 ans.
Ces
décideurs et créateurs ne sont pas tous issus de bonnes familles.
Lauréat du classement Choiseul Africa, le Nigérian Igho Sanomi est
benjamin d’une famille de cinq enfants, né dans l’Etat pauvre du Delta,
au Nigeria. Il figure déjà sur la short-list des milliardaires
africains.
A l’âge de 28 ans, Sanomi a monté son entreprise, parvenant à se
tailler une place dans le business très fermé du négoce de pétrole. Sa
société, Talaveras, implantée aujourd’hui au Royaume-Uni, en Suisse et
un peu partout en Afrique, travaille aussi à la réhabilitation d’une
grande centrale électrique avec le groupe Alstom. A l’image de Bill
Gates, le fondateur de Microsoft, ce patron de 40 ans donne dans la
philanthropie avec la Dickens Sanomi Foundation, qui œuvre dans l’Etat
du Delta.
Un autre Nigérian, l’industriel Tony Elumelu, 26ème fortune
africaine a été reçu en grande pompe à Paris par le Medef en novembre
2015. Il y a dit croire "au changement de vision de la part des
entrepreneurs français à l’égard de l’Afrique". Heureux de son séjour,
le Nigerian était de retour dans l'hexagone vendredi dernier. Il a revu
son ami Pierre Gattaz puis participé au grand rendez-vous de la Banque
publique d'investissement. Le BpiFrance Inno Generation (BIG) rassemble
30000 entrepreneurs dont les Tavares, Niel, Bazin, Decaux etc. Invité
VIP de BpiFrance, Tony Elumelu a prononcé un discours devant 4000
personnes. L'occasion de dire combien il espère un jour "changer la
manière de raconter l'Afrique". "Je veux créer la prochaine
génération d'Africapitalistes, pas seulement des rois de la finance,
mais des champions du développement", a-t-il ajouté. Les photos de son
Show à l'AccorHotels Arena de Paris sont postées sur son
compte Instagram (ci-dessous).
Tony Elumelu au BIG, BPI innovation Generation à Paris Bercy
La
journée de Tony Elumelu ne s'arrête pas là. Suit une rencontre avec
Cédric de Bailliencourt, homme fort du Groupe Bolloré; puis
Pierre-André Terisse, DG Afrique chez Danone, qui a investi plus d'un
milliard d'euros en Afrique depuis 2012; Jean-Michel Guelaud, patron de
la Sogea Satom filiale de Vinci en Afrique; et Bruno Mettling directeur
général d'Orange pour l'Afrique et le Moyen-Orient. Enfin un diner avec
son ami Lionel Zinsou, artisan du nouveau look des relations
franco-africaines en termes de business. Il était temps que cela
change, soufflent de nombreux connaisseurs de l'Afrique.
"Nous, Européens, avons une vision très réductrice de la réalité de ce continent."
"On
ne se rend pas compte, explique Pascal Lorot, qu’une jeune génération
ouverte sur le monde et bien formée est en train de prendre le pouvoir
économique et sans doute bientôt en politique." Parmi les lauréats
Choiseul, certains sont déjà bien lancés dans leur conquête du pouvoir.
Ainsi, le financier Zimbabwéen Busisa Moyo (ci-dessous) 40 ans,
est une figure incontournable du monde des affaires. Il démarre dans un
petit fonds d’investissement puis il prend la direction d’une
raffinerie d’huile de colza qu’il transforme en géant industriel, la
United Refineries Ltd., premier propriétaire terrien du pays. Moyo est
aussi à la tête de la Confédération des industries du Zimbabwe.
Même talent, même flair pour le Tanzanien Mo' Dewji, 41 ans,
qui a transformé la société familiale de fabrication de clous et de
brouettes en l’un des tout premiers conglomérats d’Afrique de l’Est.
Autrefois frileux pour l'Afrique, les investisseurs occidentaux
revoient leur position. Les risques restent importants et la
rentabilité incertaine, mais les grandes tendances sont à la hausse.
Certains pays traversent des crises terribles puis
rebondissent. C’est le cas du Rwanda anéanti par un terrible
génocide en 1994 et que l’on surnomme, vingt ans plus tard, "la Suisse
de l’Afrique". "C’est le pays qui a fait le plus d’efforts pour
favoriser la création d’entreprises", explique Paul-Harry Aithnard, 42
ans, directeur des marchés de capitaux et de l’Asset management du
groupe Ecobank, la première banque panafricaine.
Autre exemple, à l’image plus démocratique que le Rwanda dirigé par
le même chef d’Etat depuis seize ans: la Tunisie. Le pays de la
révolution du jasmin a bien accru son capital sympathie auprès des
investisseurs étrangers.
"En 2011, on a senti les clients sensibles au développement des
start-up démocratiques", confie Neila Benzina. Diplômée de
l’Institut national des télécommunications à Paris, cette
entrepreneuse a créé l’implantation tunisienne de la société
Business & Decision (B&D) en 2001. Son domaine: le traitement
des données, le conseil et l’intégration de systèmes. Aujourd’hui, la
filiale dont elle est la directrice générale, emploie plus de 300
salariés pour un chiffre d’affaires d’environ 15 millions d’euros.
Selon Paul-Harry Aithnard, les secteurs clés du développement
sont la finance et les biens de consommation. Sur le terrain
financier, les initiatives se multiplient parce que, comme l’explique
l’avocat d’affaires Yves-Justice Djimi, "le taux de bancarisation en
Afrique subsaharienne est de 5 % alors que dans les pays développés il
dépasse 100 %".
Autre créneau porteur: le microcrédit. Valérie Neim a quasiment
décuplé le chiffre d’affaires du groupe familial CCPC Finance qu’elle a
repris en 2011.
Après avoir étudié à Londres et
travaillé pour la banque Abn Amro et le groupe Siemens, cette
Camerounaise de 36 ans prend les rênes de l’entreprise qui salarie
alors 30 personnes dans cinq agences. "Aujourd’hui, nous en employons
200 dans dix agences."
Une innovation a révolutionné son marché: l’Internet banking,
c’est-à-dire la possibilité de payer des factures ou de recevoir de
l’argent via son téléphone portable, une alternative au paiement en
liquide. Peu utilisée en France, cette technologie est omniprésente en
Afrique.
Dans les deux pays où le mobile banking est le plus développé, au Kenya
et en Tanzanie, 60% du PIB circule directement entre tablettes et
cellulaires.
"Même si la bancarisation progresse, il reste des couches de population
qui n’ont pas accès aux services bancaires. C’est un vrai créneau",
explique Paul-Harry Aithnard. Certains se font une spécialité d’aider
ceux que les banques refusent de financer. C’est le cas de l’Ivoirien
Jean-Luc Konan fondateur de la Cofina. Cet ancien banquier regrettait
de devoir rejeter des dizaines de dossiers et de projets faute de
garanties suffisantes. Du coup, il crée, au Sénégal, la Compagnie
financière africaine (Cofina) qui propose des crédits à ceux qui se
voient refuser des prêts par les établissements bancaires classiques.
Un pari gagnant dès son premier client. Celui-ci avait pour projet
était la construction d’un centre commercial Aujourd’hui, il emploie
300 personnes. "L’accès au crédit a augmenté de 20 % à 35 % sur les
cinq dernières années dans la zone francophone", note Paul-Harry
Aithnard.
Malgré la crise liée à la chute des cours du pétrole, le secteur des
biens de consommation continue lui aussi de progresser. L’enseigne
Carrefour vient d’inaugurer, au mois d’avril 2016 son premier magasin à
Nairobi, la capitale kényane. "Le continent traverse souvent des crises
terribles, explique Zyad Limam éditeur du mensuel Afrique Magazine,
mais cela n’empêche pas le mouvement de fond. Physiquement et dans les
têtes, l’Afrique s’urbanise, se construit, rajeunit. Et elle bouge."
30 Mai 2016
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