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Paul Kagame impose sa méthode à l’Union africaine Par Michael Pauron - Envoyé spécial à Addis Abeba - Publié le 29 janvier 2018 à 17h32 — Mis à jour le 30 janvier 2018 à 14h46
Les enjeux du 30e sommet de l'UA : corruption, financement, gouvernance.
Il
suscite l’admiration autant qu’il agace. À Addis-Abeba, dans les
coulisses du 30e sommet de l’Union africaine (28-29 janvier), l’arrivée
du président rwandais à la tête de l’institution suscitait nombre de
commentaires avant même qu’il ne prenne officiellement ses fonctions.
La « méthode Kagame » est au cœur de l’UA depuis ce mois de
juillet 2016 où ses pairs l’ont désigné pour mener à bien les
réformes que chacun appelle de ses vœux. Il aurait suffi, dit-on,
qu’Idriss Déby Itno, à l’époque président en exercice, prononce son nom
lors d’une réunion à Kigali, en marge du 27e sommet, pour qu’il
fasse aussitôt l’unanimité.
Il est vrai qu’en un peu moins de vingt-cinq ans l’ancien chef
militaire a hissé son pays au rang des bons élèves en matière de
gestion et de gouvernance. Le bilan est moins flatteur en ce qui
concerne les libertés, l’ouverture démocratique et l’alternance
politique, mais il n’a cure des critiques et, à l’UA, ces questions ne
sont pas au centre des préoccupations.
Kagame ? « Un grand homme » qu’on ne peut connaître qu’en
allant « se balader dans les rues toutes propres de Kigali »,
s’enthousiasme un diplomate d’Afrique du Nord. « Chez nous, les
résultats sont visibles. Logiquement, les membres de l’UA se sont dit
que ce qu’il avait fait au Rwanda, il pouvait le faire sur le
continent », affirme sans surprise Olivier Nduhungirehe,
secrétaire d’État au ministère rwandais des Affaires étrangères.
Un comité de pilotage au travail
Le dépoussiérage de l’UA a déjà commencé. Kagame a immédiatement mis
sur pied un comité de pilotage. On y trouve son compatriote Donald
Kaberuka, ancien ministre et ex-patron de la BAD, l’économiste
camerounais Acha Leke et Carlos Lopes, qui fut secrétaire général de la
commission économique pour l’Afrique des Nations unies.
Aucune des neuf personnalités de ce groupe d’experts n’est issue de
l’Afrique du Nord, alors que l’organisation panafricaine a coutume de
respecter un certain équilibre régional.« Le président Kagame n’a
pas voulu ostraciser qui que ce soit, mais cette notion n’a pas été sa
préoccupation première. L’essentiel, pour lui, c’est que le comité soit
efficace », explique son entourage.
[Paul Kagame] ne supporte pas l’idée qu’un dossier s’enlise
Pour s’en assurer, il réunit ses troupes chaque mois : parfois à
l’occasion d’une réunion internationale (comme à la dernière Assemblée
générale des Nations unies), à chaque sommet de l’UA (comme le
27 janvier à Addis), ou à Kigali, comme il y a trois semaines. Ces
« débriefings » se déroulent toujours sur
« convocation » du chef et durent six à huit heures, durant
lesquelles tous les points de sa réforme sont abordés.
Les blocages sont évoqués, des solutions proposées. Lorsqu’il l’estime
nécessaire, Paul Kagame n’hésite pas à intervenir lui-même auprès de
ses homologues. À chaque sommet, Moussa Faki Mahamat, le président de
la commission, se joint à la réunion.
Paul Kagame est donc fidèle à sa réputation. S’il n’a pas fait signer
au personnel un « contrat de performance », comme il l’a fait
au Rwanda avec tous les fonctionnaires, il ne supporte pas l’idée qu’un
dossier s’enlise. On le dit pourtant « flexible » tant qu’une
proposition qui « tient la route » est avancée.
Court-circuités
Afin d’accélérer l’adoption de certains points spécifiques, il a aussi
instauré une nouvelle méthode. Plutôt que d’attendre les sommets, où
sont d’abord consultés les représentants permanents, puis le conseil
exécutif et enfin les chefs d’État, le président rwandais organise des
séminaires avec ses pairs, au cours desquels des mesures sont
symboliquement adoptées.
Le 7 janvier, il leur a fait parvenir une mise à jour du dossier,
en leur demandant de le soutenir lors du sommet d’Addis. Il lui arrive
aussi de dépêcher dans les capitales Louise Mushikiwabo, sa ministre
des Affaires étrangères.
Les lourdeurs administratives de l’UA lui déplaisent. Résultat :
certains représentants permanents ne cachent plus leur irritation
d’être ainsi court-circuités. Mais c’est aussi, pour lui, une manière
de maîtriser la communication. En limitant le nombre de documents en
circulation, il évite les fuites et se met à l’abri des pressions.
Il ne veut pas d’une présidence de routine, il veut être performant
Sa présidence de l’UA sera-t-elle du même acabit ? Dans l’entourage de
Moussa Faki Mahamat, on minimise : « Cette élection est
cérémonielle. Comme tous ses prédécesseurs, il n’aura pas de bureau à
l’UA. Il n’y a eu aucune préparation particulière. »
Côté rwandais, le son de cloche est forcément différent : « Il ne
veut pas d’une présidence de routine, il veut être performant. »
Et du côté des diplomates : « Nous avons confiance en lui, l’UA a
besoin d’être dynamisée. »
Loin d’être isolé
Au sein de l’hémicycle, Kagame pourra compter sur le soutien de
plusieurs de ses homologues : Hailemariam Desalegn, le Premier ministre
éthiopien (les liens avec l’Éthiopie remontent à l’époque où le Front
patriotique rwandais était dans le maquis), Ali Bongo Ondimba et Faure
Gnassingbé.
Ses relations sont bonnes avec Macky Sall et Alpha Condé, pragmatiques
avec Joseph Kabila. Quant à l’arrivée de João Lourenço à la tête de
l’Angola, elle a visiblement réchauffé les relations entre Kigali et
Luanda.
15 Février 2017
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