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« Beaucoup de dirigeants africains n’adhèrent pas au principe de l’égalité entre les sexes »
Par Sarah-Jane Fouda (chroniqueuse Le Monde Afrique) LE MONDE Le 26.06.2018 à 17h51 • Mis à jour le 27.06.2018 à 09h48
Malgré
de réels efforts, le personnel féminin de l’Union africaine ne
représente que 35 % des 1 700 cadres et fonctionnaires de
l’organisation, relève notre chroniqueuse.
Chronique.
Les Africains sont-ils prêts à vivre entre égaux ? Le soupçon de
discriminations de genre qui pèse sur l’Union africaine (UA) rappelle
le décalage entre la profusion de paroles sur l’autonomisation ou
l’émancipation des femmes et le peu de concrétisation. Si étudier les
élites permet de comprendre et de mieux prévoir les transformations à
venir, alors reconnaissons que, parmi les élites dirigeantes
africaines, beaucoup n’adhèrent pas au principe de l’égalité entre les
sexes. Et de là, jouent d’équivoques autant que de ruses sur une
question que nous croyions tranchée.
On ne pouvait imaginer meilleure mise en scène de ce conflit s’agissant
des élites politiques et administratives. Lors du 30e sommet de l’UA,
en janvier, Paul Kagame, président du Rwanda, clôturait son discours
avec une injonction sur les droits des femmes. « Nous devons,
prônait le nouveau président en exercice de l’UA, leur accorder sans
réserve tous leurs droits et leurs rôles ».
« Apartheid professionnel »
Le
président de la Commission, Moussa Faki Mahamat, ne dit pas autrement
quand, s’exprimant sur l’égalité d’accès aux fonctions de haut niveau à
l’UA et dans le système des Nations unies, il proclama : « La
question de la promotion des femmes et de leur accès aux hautes
fonctions de prise de décision au sein de la Commission de l’Union
africaine n’est plus une question que l’on se pose dans notre
institution. »
Mais voila, début mai, le quotidien sud-africain Mail
& Guardian révélait que 37 femmes dénonçaient, dans une note
interne adressée, le 25 janvier, à Moussa Faki Mahamat, un
« apartheid professionnel » au sein de l’UA. Des accusations
de discriminations que corroborait, le 14 février, un second mémo,
signé par cinq hauts fonctionnaires.
Se fondant sur ces documents et des témoignages anonymes, le journal
décrivait une situation « empoisonnée », notamment au sein du
département Paix et sécurité (DPS), caractérisée par le refus constant
de laisser des postes importants au personnel féminin expérimenté et
par « la sortie systématique des femmes de haut calibre de la
Commission ». On se débarrasse des plus âgées ! En plus de
faire apparaître le « plafond de verre », l’affaire aura eu
pour mérite de mettre en lumière cet autre frein à l’évolution
professionnelle.
Au plus fort du scandale, Moussa Faki Mahamat informa que son bureau
prenait les allégations « très au sérieux ». Le 19 mai,
en effet, se tint une réunion extraordinaire de la Commission puis, le
1er juin, son président annonça « à titre exceptionnel »
la mise en place d’une « équipe d’enquête » indépendante. Les
enquêtrices conduites par Bineta Diop – militante des droits des
femmes, actuelle envoyée spéciale de l’UA pour les femmes, la paix et
la sécurité – disposaient de vingt et un jours pour investiguer et
remettre leurs conclusions. De quoi gâcher la fête de Nouakchott.
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« Parité à marche forcée »
Assurément, pour MM. Kagame et Faki, le temps presse. « Si nous
continuons à intégrer des femmes au rythme actuel, cela va nous prendre
quatre-vingts ans pour atteindre la parité », alertait
en 2015 Nkosazana Dlamini-Zuma, la précédente présidente de la
Commission. Or le tandem de la réforme de l’Union, fort du soutien
obtenu lors du sommet des chefs d’Etat de janvier, entend réaliser
l’objectif de parité à tous les niveaux d’ici à 2025. Qui connaît les
difficultés, les réticences, voire les résistances, auxquelles se
heurte l’institution pour l’accomplir en son sein, entrevoit les freins
multiples et actifs à la marche de l’égalité dans les pays membres.
« La parité à marche forcée » imposée par la politique de
recrutement sous Mme Dlamini-Zuma a concouru aux flatteuses
statistiques dont se prévaut aujourd’hui l’UA. Entre 2013 et 2018, le
pourcentage des directrices est passé de 29 % à 45 %, celui
des directrices de bureaux de liaison de 8 % à 30 %. On
compte désormais 30 % de femmes dans les bureaux de représentation
contre 15 % en 2013.
Le personnel féminin ne représente toutefois que 35 % des
1 700 cadres et fonctionnaires de l’UA. Pourtant, s’y est
installée la petite musique du « il n’y en a que pour les
femmes ». Il va sans dire que l’objectif des 50 % relève du
défi dans des économies où l’emploi des diplômés pose problème, a
fortiori, en présence de constructions sociales inégalitaires.
Comme souvent les statistiques, elles montrent tout sauf l’essentiel.
Qu’en est-il de l’environnement de travail ? D’un milieu
professionnel défavorable, qui contrarie les carrières ? Du
harcèlement sexuel et moral ? Des conduites abusives ? Des
stéréotypes ? Autant d’indices d’une culture d’entreprise hostile
que s’emploie à changer la direction des ressources humaines de l’UA.
Survivre dans un environnement masculin
Parcourir son catalogue de formation permet de s’en rendre compte.
Derrière l’intitulé « Programme femmes et leadership » se
cache une formation réservée aux managers féminins dont la visée
inavouée pourrait se résumer ainsi : assumer pleinement le rôle de
chef et survivre dans un environnement masculin. Loin de pallier à une
quelconque incompétence, ce programme déconstruit avant tout les
fausses représentations sur les femmes, les interactions avec les
hommes. Dans le descriptif d’une autre formation obligatoire et ouverte
à tous, on cherche à « minimiser les préjugés inconscients lors de
l’évaluation des candidats ». Les mentalités influent donc sur les
trajectoires professionnelles.
Evoquons enfin le programme « Code d’éthique et de
conduite », dévolu à la promotion « d’un environnement de
travail propice », au bien-être de chacun à travers le rappel du
nouvel l’arsenal réglementaire de l’UA. Dernier texte en date : la
politique contre les différentes formes de harcèlement instaurée par
Moussa Faki Mahamat, non sans mal. Il faut dire qu’elle s’applique aux
membres du personnel – hors des heures et du lieu de travail, missions
comprises – également aux officiels. Nul n’est donc désormais censé
ignorer la loi et s’oublier.
En interne, l’organisation panafricaine ne verse ni dans le déni de
réalité ni dans cette pensée magique, postulant que l’accès des femmes
à des postes de décision suffit au changement social. Mais les
décideurs activeront-ils les leviers de l’évolution sociétale ?
La parité ne peut faire l’économie de la société, de la transformation
active de ce qui précisément cause l’effet à corriger. A défaut, chaque
nouvelle arrivante sera comme un poisson jeté sur le sable. Encore
faut-il vouloir le mettre à l’eau…
Sarah-Jane Fouda est consultante en communication, spécialiste du
discours et de l’argumentation. Elle enseigne la logique informelle à
l’Université Paris-III Sorbonne-Nouvelle..
2 Juillet 2018
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