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« Kofi Annan a contribué à placer l’Afrique au centre de la scène mondiale »
Par Carlos Lopes - LE MONDE Le 20.08.2018 à 14h38 • Mis à jour le 21.08.2018 à 10h45
Carlos Lopes, ancien secrétaire exécutif de la Commission économique de l’ONU pour l’Afrique, rend hommage à son ami et mentor.
Tribune.
Les hommages déferlent pour un homme qui a marqué tant d’esprits. C’est
bien mérité. Néanmoins, par souci d’équilibre, certains journalistes et
analystes évoquent des épisodes moins glorieux pour Kofi Annan.
On peut citer l’incapacité des Nations unies à éviter le génocide des
Tutsi au Rwanda en 1994. Un déroutant mandat de maintien de la
paix de l’ONU avait alors déboussolé la structure de commandement. Il
est injuste d’en attribuer à Kofi Annan la responsabilité. Non
seulement il avait fait ce que son travail de l’époque exigeait –
secrétaire général adjoint chargé des opérations de paix –, mais en
plus il s’était engagé à réviser complètement l’approche du maintien de
la paix une fois élu au poste de secrétaire général, en 1997. Il
avait aussi pris l’initiative, inédite, de publier le rapport spécial
sur la question rwandaise qu’il avait lui-même commandé.
Il est encore plus absurde de dire que le programme « Pétrole
contre nourriture », en Irak, a entaché sa réputation, alors que
toute la corruption liée à ce système défini par les membres du Conseil
de sécurité a empêché sa mise en œuvre. Etablir le lien avec son fils,
Kojo, sur des affaires douteuses conclues dans le cadre de ce
programme, mais dont Kofi Annan ignorait tout, est encore plus déplacé.
D’ailleurs, une commission d’enquête a innocenté le secrétaire général
des Nations unies.
Voix douce, fermeté d’acier
Si je ressens si fortement ces commentaires et comptes-rendus erronés,
ce n’est pas parce que, comme je l’admets, Kofi Annan était mon ami et
que je le considérais comme un mentor. C’est parce que j’ai été en
première ligne avec lui tellement de fois que je peux témoigner, plus
que beaucoup d’autres, de son intégrité et de sons sens de l’équité
irréprochables. Il était un gentleman diplomate, avec des principes
solides.
En tant que jeune professionnel rejoignant l’ONU à la fin des années
1980, j’ai découvert ce frère aîné qui était alors sous-secrétaire
général des Nations unies pour les ressources humaines. Un homme droit,
critiqué par certains parce qu’il n’accordait pas de
« faveurs ». J’ai tout de suite aimé la franchise de ses
réponses et les conseils constants qu’il donnait. J’étais fasciné,
comme beaucoup d’autres. Il était sans doute la référence dans mon
milieu.
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Quand
j’ai représenté l’ONU au Zimbabwe, pendant la difficile transition des
années 1990, j’ai découvert la perspicacité politique de ce secrétaire
général africain. Son écoute, ses manières et sa voix douces, tout en
exprimant une fermeté d’acier. C’est cette expérience qui a façonné
notre relation. Plus tard, je deviendrai son directeur politique, puis,
après qu’il eût quitté l’ONU, je l’aiderai à créer sa fondation visant
à promouvoir la bonne gouvernance, dont j’ai rejoint le conseil
d’administration.
Avec Kofi Annan, j’ai rencontré environ 80 chefs d’Etat et de
gouvernement. J’étais parfois la seule autre personne présente à ses
côtés. J’ai toujours été fasciné par la manière dont il repoussait les
limites. Il « travaillait les téléphones » – une expression
qu’il aimait utiliser – pour être en avance sur les briefings que la
machine onusienne produisait. Les informations qu’il obtenait de ses
propres sources lui permettaient d’interpréter tout élément
supplémentaire. Ce style était unique. Cela faisait souvent la
différence pour améliorer les processus de décision.
« Rock star » de la diplomatie
Lorsque Kofi Annan affirmait que tel accord ne fonctionnerait pas, que
telle négociation n’était pas adéquate ou que telle position n’était
pas définitive, j’avais l’habitude de l’interroger sur les raisons de
sa certitude. Sa réponse ne variait pas : « Je le dis parce
que dans quelque temps, ils seront là où je suis actuellement. »
Il le disait sans montrer une confiance en lui excessive. C’était une
certitude ancrée dans sa connaissance des processus politiques. Inutile
de le dire, cette capacité à anticiper était un atout que toute grande
puissance respectait.
Son humilité était authentique. Je me suis imaginé qu’un tel
comportement provenait naturellement de ses racines royales ghanéennes.
Mais il était différent des « hommes forts » d’Afrique. Lui
et eux le savaient. Ses relations avec les dirigeants africains
n’étaient pas faciles. De nombreux épisodes attestent de leur
irritation face à ce qu’ils percevaient comme l’attitude condescendante
de Kofi Annan à leur égard. Mais à la moindre occasion, ils se
précipitaient pour lui serrer la main.
Tout le monde peut attester que cette « rock star » de la
diplomatie a rehaussé le nom de l’Afrique. Il a contribué à placer ce
continent au centre de la scène mondiale en mettant en place des
mécanismes qui ont permis aux institutions africaines de jouer un rôle
majeur. Il a permis que leurs voix soient davantage entendues.
Travailler avec Kofi Annan était un énorme privilège, être son ami une
responsabilité. Privilège d’apprendre de sa vaste expérience, de ses
engagements forts en faveur de l’universalité des droits humains,
vis-à-vis des victimes du sida ou contre les souffrances humanitaires,
quelles qu’elles fussent. C’était aussi une responsabilité d’être l’ami
d’un tel homme de principes. Cela impliquait d’imiter autant que
possible son comportement. Etre un ami sincère de Kofi, c’était avoir
une colonne vertébrale, s’engager fortement pour une noble cause. Ma
cause était l’Afrique. Et cela faisait toujours sourire Kofi.
Carlos Lopes,
ancien secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations
unies pour l’Afrique, est professeur à la Mandela School of Public
Governance de l’Université du Cap, en Afrique du Sud, et professeur
invité de Sciences Po à Paris.
21 Août 2018
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