|
Malaise dans la Chinafrique
par Jeune Afrique
Lassés
de voir Pékin exploiter leurs richesses pétrolières et minières sans
que leurs pays en retirent des bénéfices substantiels, les
gouvernements africains - du Gabon au Tchad en passant par le
Niger - tentent de rééquilibrer les échanges. Au prix de quelques
frictions.
C'est arrivé coup
sur coup. En décembre 2012, les Chinois ont perdu le champ
pétrolier d'Obangue, au Gabon. En avril 2013, ils ont été conspués
par des chômeurs près des puits de Diffa, dans le sud-est du Niger. En
août, sur ordre du gouvernement, ils ont dû fermer un site d'extraction
très polluant au Tchad. "La romance entre la Chine et nous, c'est
fini", s'exclame Sanusi Lamido dans une tribune retentissante parue en
mars dans le Financial Times. Le gouverneur de la Banque centrale du
Nigeria lance même cette phrase assassine : "La Chine s'empare de nos
matières premières et nous vend des biens manufacturés. C'est l'essence
du colonialisme."
Il y a vingt ans, quand les Chinois ont découvert qu'ils devenaient
importateurs net de pétrole et qu'ils devaient se ravitailler en
Afrique, les trois grandes compagnies d'État, Sinopec, China National
Petroleum Corporation (CNPC) et Chinese National Offshore Oil
Corporation (CNOOC) ont été accueillies à bras ouverts sur le
continent. Il en a été de même dans le domaine minier. En dix ans
(2000-2010), les échanges commerciaux entre la Chine et l'Afrique sont
passés de 10 à 130 milliards de dollars (de 7,5 à
97 milliards d'euros). En Angola, en RD Congo, au Gabon, au
Nigeria, les Chinois sont arrivés avec un message simple : "Nous vous
prêtons de l'argent sans aucune condition politique, et vous nous
donnez accès à votre sous-sol." Le problème, c'est que l'échange était
déséquilibré.
Les anciens gouvernements bernés ?
Aujourd'hui, à Niamey comme à Libreville, les nouveaux gouvernants ont
le sentiment que leurs prédécesseurs ont été bernés lors de la
signature des premiers contrats. En 2008, le Nigérien Mamadou Tandja,
qui voulait s'accrocher au pouvoir, avait besoin d'argent frais pour
acheter le silence de la classe politique. La CNPC a alors accepté de
prêter de l'argent au Niger pour l'aider à mettre en exploitation un
champ pétrolier près de Diffa et à construire une raffinerie à Zinder -
où réside un gros réservoir d'électeurs. Ce montage financier pose
désormais trois problèmes majeurs. D'abord, la facture présentée par
les Chinois aurait été gonflée de plusieurs centaines de millions de
dollars - comme le révèle un audit du cabinet Ernst & Young.
Ensuite, Tandja a emprunté aux Chinois à un mauvais taux - les taux du
marché sur dix ans. Enfin, le même Tandja a demandé à ses partenaires
de lui verser très discrètement un bonus de 300 millions de
dollars, qui n'est jamais apparu dans les comptes de l'État.
Aujourd'hui, le président Mahamadou Issoufou sait que l'argent du bonus
sera très difficile à récupérer. Du moins, pour le remboursement du
prêt, a-t-il exigé et obtenu un taux de 1 % sur vingt-cinq ans...
Plus frappant encore : au Gabon, le président Ali Bongo Ondimba (ABO) a
décidé de reprendre aux Chinois le champ pétrolier d'Obangue (8 500
barils par jour). Concrètement, la société Addax Petroleum - propriété
de Sinopec depuis 2009 - s'est vu retirer son permis
d'exploitation au profit de la Gabon Oil Company, la nouvelle société
nationale. "Mauvaise gestion, cas de corruption... Addax exportait
aussi des volumes de pétrole sans nous payer d'impôt", accuse Étienne
Ngoubou, le ministre gabonais du Pétrole. Fureur des Chinois.
Aujourd'hui, Addax porte l'affaire devant la cour arbitrale de la
Chambre internationale de commerce de Paris et attaque en justice le
cabinet d'audit américain Alex Stewart International, soupçonné d'être
à l'origine de l'opération.
Le nationalisme pétrolier du Gabon irrite d'autant plus la Chine que
l'épreuve de force entre les deux pays se poursuit au sujet de la mine
de fer géante de Belinga. Chacun sait qu'ABO n'est pas satisfait des
conditions dans lesquelles, en 2008, son père a cédé ce gisement à
China Machinery Engineering Corporation (CMEC) - une société de BTP !
ABO va-t-il dénoncer le contrat et se tourner vers l'une des trois
majors du secteur, Rio Tinto, BHP Billiton ou Vale ? Tout va dépendre
de l'issue de la "bataille d'Obangue".
Les méthodes chinoises : désindustrialisation de l'Afrique
Comment tenir tête à la Chine ? Le Ghana et le Nigeria ont peut-être
trouvé la parade. À Accra, le gouvernement ne se contente pas
d'expulser quelque cent cinquante mineurs chinois clandestins. Dans le
secteur pétrolier, il impose à ses partenaires de Shanghai la création
d'un heritage fund - un fonds pour les générations futures. À Abuja,
les autorités pratiquent depuis trois ans la politique du local
content. Pour l'essentiel, l'activité liée aux hydrocarbures doit être
assurée par des entreprises à capitaux nigérians et une main-d'oeuvre
locale. "Jusqu'à présent, affirme le gouverneur de la Banque centrale
du Nigeria, la politique commerciale des Chinois contribuait à notre
désindustrialisation et à notre sous-développement. Il faut mettre fin
à ces méthodes impérialistes."
Les Chinois vont-ils partir du continent aussi vite qu'ils y sont
arrivés ? "Non, répond l'essayiste sénégalais Adama Gaye, auteur du
Dragon et l'Autruche (éd. L'Harmattan, 2006). Dans la construction
d'infrastructures, ils sont imbattables. Et ils ont des capacités
financières que n'ont plus les Occidentaux." Frank Timis, un homme
d'affaires australo-roumain très actif en Afrique de l'Ouest, ajoute :
"L'avenir du secteur minier passe par les entreprises chinoises. Je
connais leurs capacités à faire du high-tech low cost."
En Zambie, le candidat Michael Sata a fait campagne à la présidentielle
de 2011 sur la promesse d'éjecter les Chinois des mines de cuivre. Une
fois élu, il a modéré son langage et renégocié pied à pied avec eux. En
mars dernier, Zhai Jun, le vice-ministre chinois des Affaires
étrangères, a lancé : "En Afrique, nos entreprises doivent respecter
les lois locales et placer les bénéfices à long terme avant les gains à
court terme." C'était une semaine après le coup de colère du banquier
nigérian... Visiblement, le message est passé.
27 Septembre 2013
Abonnez Vous à Jeune Afrique
Retour
à l'Afrique
Retour au Sommaire
|