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Jeunesse africaine : bombe à
retardement ou opportunité à saisir ?
par
Afrique Renouveau
Les dirigeants prennent conscience de la
nécessité de créer des emplois.
Lors
de l’élection présidentielle de 2012, l’opposition sénégalaise a
invoqué le taux élevé de chômage pour mobiliser les jeunes contre
l’ancien Président Abdoulaye Wade. C’est principalement le manque
d’emplois qui a incité de nombreux jeunes à investir les rues et à
voter pour un nouveau gouvernement. Les manifestations ont fait au
moins six morts et M. Wade a été vaincu par le président actuel, Macky
Sall.
Principale leçon de ces violences pré-électorales : le chômage des
jeunes, 15 % au Sénégal, risque d’attiser violence politique et
troubles civils. Une enquête réalisée en 2011 par la Banque mondiale a
montré qu’environ 40 % de ceux qui rejoignent des mouvements rebelles
se disent motivés par le manque d’emplois.
Les gouvernements africains luttent donc contre le chômage à plusieurs
niveaux. Au Sénégal, le président Sall a lancé en février 2013 un
programme visant à créer 30 000 emplois d’ici la fin de l’année et
éventuellement 300 000 d’ici 2017.
Une
croissance sans emplois
Beaucoup d’analystes estiment qu’il existe une autre raison de
s’intéresser davantage à la jeunesse africaine. Avec 200 millions
d’habitants âgés de 15 à 24 ans, l’Afrique a la population la plus
jeune au monde. Selon le rapport Perspectives économiques en Afrique,
établi en 2012 notamment par la Banque africaine de développement
(BAD), le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), la
Commission économique pour l’Afrique (CEA) et l’Organisation de
coopération et de développement économiques des pays industrialisés
(OCDE), ce chiffre devrait doubler d’ici à 2045.
Le taux de chômage inquiétant de la jeunesse africaine est souvent mis
en parallèle avec la croissance économique rapide du continent. Selon
la BAD, le taux de chômage en Afrique subsaharienne est de 6 %, alors
que 6 des 10 économies à la croissance la plus rapide du monde se
trouvent dans cette région. Ce taux peut ne pas sembler très élevé par
rapport à la moyenne mondiale d’environ 5 %. Mais dans la plupart des
pays africains, le chômage des jeunes « est au moins deux fois
supérieur à celui des adultes », souligne la BAD.
Selon la Banque mondiale, les jeunes représentent 60 % de l’ensemble
des chômeurs africains. En Afrique du Nord, le taux de chômage des
jeunes atteint 30 %. Au Botswana, en République du Congo, au Sénégal,
en Afrique du Sud et dans plusieurs autres pays, la situation est
encore plus préoccupante.
Les jeunes femmes sont plus durement touchées. La BAD a constaté que
dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne et dans tous ceux de
l’Afrique du Nord, il est plus facile pour les hommes que pour les
femmes d’obtenir un emploi, à niveau d’expérience et de compétences
égal.
Réalité
masquée
Les
statistiques du chômage en Afrique ne tiennent pas compte des emplois
précaires et du sous-emploi dans le secteur informel. Selon un rapport
de la Brookings Institution, organisme de réflexion indépendant basé à
Washington, « Les jeunes [africains] trouvent du travail, mais pas à
des rémunérations correctes et sans la possibilité de perfectionner
leurs compétences ou d’avoir une certaine sécurité de l’emploi ». Plus
de 70 % des jeunes de la « République du Congo, de la République
démocratique du Congo, de l’Éthiopie, du Ghana, du Malawi, du Mali, du
Rwanda, du Sénégal et de l’Ouganda sont à leur compte ou contribuent à
des activités familiales ».
Gabriel Benjamin, chômeur diplômé de l’université de Lagos (Nigéria),
explique qu’on rencontre souvent de jeunes Nigérians diplômés qui font
de petits boulots. « Ils nettoient les sols dans des hôtels, vendent
des cartes de recharge téléphoniques ou sont même ouvriers dans des
usines ». La Brookings Institution considère le sous-emploi comme un
grave problème, qui masque la réalité dans les pays au faible taux de
chômage.
Le sous-emploi ne constitue pas une solution à la pauvreté, reconnaît
l’Organisation internationale du Travail (OIT), qui signale que jusqu’à
82 % des travailleurs africains sont des « travailleurs pauvres ».
Selon les Perspectives économiques en Afrique, plus de 70 % des jeunes
Africains en moyenne vivent avec moins de 2 dollars par jour, le seuil
de pauvreté défini à l’échelle internationale.
Bombe
à retardement
« C’est là une réalité inacceptable pour un continent possédant une
réserve aussi impressionnante de jeunes, talentueux et créatifs »,
souligne Mthuli Ncube, économiste en chef de la BAD. Alexander
Chikwanda, Ministre zambien des finances, résume ainsi la situation : «
Le chômage des jeunes est une bombe à retardement », qui semble
maintenant dangereusement proche de l’explosion.
M. Chikwanda entend ainsi attirer l’attention sur les
conséquences d’un taux de chômage des jeunes aussi important sur un
continent où chaque année près de 10 à 12 millions de jeunes arrivent
sur le marché du travail. Ahmad Salkida, journaliste nigérian qui a été
l’un des rares à avoir pu approcher les militants du groupe Boko Haram,
a déclaré à Afrique Renouveau que, bien que la motivation de la secte
soit principalement idéologique, l’omniprésence du chômage dans le nord
du Nigéria facilite le recrutement de jeunes.
Intervention
des dirigeants africains
En 2009, les dirigeants africains se sont réunis à Addis-Abeba
(Éthiopie) pour tenter d’endiguer le chômage des jeunes. Ils ont
proclamé la « Décennie de la jeunesse africaine » (2009-2018) et décidé
de mobiliser des ressources, dont celles du secteur privé, en faveur de
la promotion des jeunes. Leur plan d’action insistait sur la nécessité
de lutter aussi bien contre le chômage que le sous-emploi. Deux ans
plus tard, en Guinée équatoriale, ils ont promis une fois de plus la «
création d’emplois sûrs, décents et compétitifs pour les jeunes ».
Les gouvernements africains se sont efforcés de joindre les actes à la
parole. Ainsi, le Ghana a mis en place un service national de la
jeunesse et des programmes d’autonomisation visant à doter les diplômés
de l’enseignement supérieur des compétences requises et à les aider à
trouver un emploi. Maurice a élaboré un plan visant à inciter les
jeunes à se tourner vers l’enseignement technique et la formation
professionnelle. La Zambie a adopté une politique nationale pour la
jeunesse et créé un fonds pour les jeunes entrepreneurs afin de
stimuler la création d’emplois. Le gouvernement nigérian a mis en place
un programme d’acquisition de compétences et d’aide à la création
d’entreprise dans le cadre du Service national de la jeunesse ; il a
également instauré un concours de plan d’affaires, Youwin, qui accorde
aux gagnants un financement de démarrage.
L’effet de ces initiatives nationales sur le taux de chômage des jeunes
reste à évaluer. Mais il n’y a « pas de solution miracle », indique M.
Ncube, qui recommande « de renforcer les mécanismes de création
d’emplois ». La Banque mondiale propose également une stratégie pour
l’emploi qui accorde plus d’attention au développement rural et à
l’investissement dans l’agriculture, tient compte de l’exode rural et
prépare les jeunes au marché du travail.
L’afflux de jeunes vers les zones urbaines d’Afrique y aggrave le
chômage. Dans les grandes villes comme Lagos, Ibadan, le Caire, Nairobi
et Johannesburg, les jeunes font le tour des bureaux à la recherche
d’un emploi, quel qu’il soit. Selon les Perspectives économiques en
Afrique, ils se heurtent à de nombreux obstacles, notamment à la
discrimination, en raison de leur manque d’expérience. Même ceux qui
ont la chance de trouver un emploi sont les premiers à être licenciés
en période de ralentissement économique.
Les
idées ne manquent pas
D’autres idées ont été proposées en vue de créer des emplois. La
Brookings Institution préconise de mettre l’accent sur la production
industrielle, « le secteur le plus étroitement associé à une forte
croissance de l’emploi ». Elle encourage aussi l’accroissement des
investissements dans l’agriculture, le tourisme, le bâtiment et dans
les projets qui emploient des jeunes. « Les programmes de travaux
publics donnent aux jeunes travailleurs, en particulier à ceux des
zones rurales et aux personnes peu qualifiées, l’occasion d’acquérir
une première expérience professionnelle. »
Le PNUD préconise également d’accroître les investissements dans
l’agriculture. Dans son premier Rapport sur le développement humain en
Afrique publié en mai 2012, il juge inacceptable que les gouvernements
africains consacrent plus d’argent à l’armée qu’à l’agriculture.
Selon la CEA, ce sont principalement les secteurs des mines et métaux
produisant peu d’emplois qui attirent actuellement les investissements
étrangers directs en Afrique. L’OCDE prévient que les économies axées
sur les ressources naturelles comme « le Nigéria et l’Algérie, qui
exportent du pétrole, les pays producteurs d’or, dont l’Afrique du Sud,
et la Zambie, exportatrice de cuivre » doivent se diversifier.
En février 2013, le président nigérian Goodluck Jonathan a déclaré sur
sa page Facebook que le pays avait déjà commencé à diversifier son
économie. Il faisait ainsi allusion à la décision de General Electric
d’investir au Nigéria un milliard de dollars dans la production
d’électricité et de pétrole. « Ceci va créer des emplois pour des
milliers de personnes et avoir un effet multiplicateur pour des
dizaines de milliers de personnes », a souligné le président. L’an
dernier, Walmart, premier distributeur mondial basé aux États-Unis, a
investi 2,4 milliards de dollars dans Massmart Holdings, une grande
chaîne de distribution d’Afrique du Sud. Beaucoup y ont vu un exemple
des investissements générateurs d’emplois dont l’Afrique a besoin.
La plupart des analystes s’accordent également sur la nécessité
d’intégrer dans les programmes scolaires de l’Afrique l’acquisition de
compétences et l’entreprenariat. Bien que les dirigeants africains
semblent s’intéresser davantage à la réalisation de l’objectif du
Millénaire pour le développement relatif à l’éducation primaire
universelle d’ici à 2015, la Brookings Institution propose de mettre de
toute urgence l’accent sur l’enseignement post-primaire. Beaucoup
estiment ainsi qu’il existe un « décalage entre les compétences
des jeunes travailleurs [africains] et celles requises par les
employeurs ».
La situation n’est pas complètement sombre : les jeunes d’Afrique, dont
le nombre ne cesse de croître, sont en effet dotés de beaucoup
d’énergie, de créativité et de talents, dont dépend « la prospérité
future », lit-on dans Perspectives économiques en Afrique. Il reste
désormais à savoir si les gouvernements africains sont prêts à
s’attaquer au chômage.
1er
Octobre 2013
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