Rajendra Pachauri, président du Groupe intergouvernemental d'experts sur le climat "Il nous reste sept ans pour inverser la courbe des émissions de CO2"
Propos recueillis par Laurence Caramel et Stéphane Foucart
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Rajendra
Pachauri préside depuis 2002 le Groupe intergouvernemental d'experts
sur l'évolution du climat (GIEC) dont les rapports ont posé
scientifiquement la réalité du changement climatique. A ce titre, cet
ingénieur et économiste indien de 67 ans a reçu le prix Nobel de la
paix 2007, conjointement avec l'ancien vice-président américain Al
Gore. Invité à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) au Conseil informel des
ministres de l'environnement et de l'énergie de l'Union européenne, il
a appelé les Vingt-Sept, vendredi 4 juillet, à tenir l'engagement de
réduire d'au moins 20 % leurs émissions de gaz à effet de serre d'ici à
2020. Citant Gandhi, il a exhorté les Européens à être en pointe dans
la lutte contre le réchauffement : "Si vous voulez que le monde change,
a-t-il lancé aux ministres, vous devez incarner ce changement."
Six
mois se sont écoulés depuis la conférence de Bali. Les négociations en
vue d'aboutir à un accord international sur l'après-Kyoto
avancent-elles ? |
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Le
Prix Nobel de la paix 2007, Rajendra Pachauri, président du Groupe
intergouvernemental d'experts sur le climat, à Saint-Cloud
(Hauts-de-Seine), le 4 juillet 2008. |
Il
ne s'est pas passé grand-chose et c'est inquiétant. Il reste peu de
temps avant le sommet de Copenhague en décembre 2009 même si, dans ce
genre de négociations, c'est toujours un peu pareil : chacun observe
l'autre et attend le dernier moment. Cela conduit à s'entendre dans le
meilleur des cas sur des compromis alors que, cette fois-ci, nous avons
besoin d'un accord solide et ambitieux. Pour contenir la hausse des
températures en deçà de 2 °C-2,4 °C, qui est selon nos travaux la ligne
à ne pas franchir pour ne pas se mettre gravement en danger, il ne nous
reste que sept ans pour inverser la courbe mondiale des émissions de
gaz à effet de serre. C'est très peu.
Quel rôle peut jouer l'Europe ?
L'Europe
a un rôle essentiel à jouer, elle doit continuer à montrer le chemin
comme elle a commencé de le faire. Si elle ne prend pas la décision
d'être la première grande région à réduire volontairement ses rejets de
dioxyde de carbone, il est vain d'espérer un accord international.
Jamais les Etats-Unis ou la Chine ne monteront dans le train.
Peut-on voir dans la crise alimentaire qui frappe les pays pauvres une manifestation du dérèglement climatique ?
La
crise actuelle a de multiples causes, en particulier l'augmentation de
la population, le changement d'habitudes alimentaires dans certains
pays - comme l'augmentation de la consommation de viande - ou encore le
fait que les stocks de certaines denrées n'ont pas été entretenus. Mais
il est sûr que si les températures continuent d'augmenter, les pénuries
alimentaires s'aggraveront. Nous avons calculé que les rendements
agricoles pourraient chuter de moitié dans certains pays d'Afrique
d'ici à 2020. Que pensez-vous des doutes exprimés par certains sur la réalité du changement climatique ?
Ils
sont marginaux et reflètent le plus souvent des intérêts particuliers
qui redoutent d'être pénalisés par la transition à une économie
"décarbonée". Mais, objectivement, il n'y a plus de place pour le
doute. La science a apporté tellement de preuves. Nous n'avons plus
besoin d'aucune démonstration pour savoir sur une base scientifique que
le réchauffement climatique est en cours et que l'essentiel de ce
réchauffement est le fait des activités humaines. Mais il restera
toujours des gens pour le contester. Il existe encore une Société de la
Terre plate, dont les membres continuent et continueront encore pendant
des siècles de nier la rotondité de la Terre...
Les
objectifs généralement affichés sont de conserver le niveau de dioxyde
de carbone (CO2) en deçà de 450 à 550 parties par million (ppm). Mais
de récents travaux indiquent qu'il faudrait demeurer en deçà de 350
ppm, un niveau qui est déjà dépassé...
Le GIEC ne donne
pas de conseils, il se contente de donner une évaluation des différents
scénarios. Ensuite, c'est à la communauté internationale de décider. La
considération principale est que nous devons stabiliser le niveau de
gaz à effet de serre à un niveau qui soit en deçà du niveau
d'interférence humaine dangereuse avec le climat. Comment définir ce
qui est dangereux ? Et plus important : dangereux pour qui ? Pour
certains petits Etats insulaires, le niveau actuel est sans doute déjà
dangereux. J'étais récemment en Nouvelle-Zélande où j'ai rencontré le
président des îles Kiribati (Anote Tong), dont le pays sera submergé
avant la fin du siècle. Il est bien conscient du fait que, pour les
habitants de son pays, qui devront partir, le niveau de danger est déjà
dépassé. La communauté internationale ne peut pas décider de ce qui est
dangereux sur la foi d'une moyenne : il n'y a pas de moyenne dans le
danger représenté par le changement climatique.
Avec
un rapport tous les quatre à cinq ans, le GIEC est parfois critiqué
pour sa lenteur. Pourquoi ne rend-il pas ses travaux tous les ans ou
tous les deux ans, pour être le plus à jour possible ?
Produire
un rapport tous les ans ou tous les deux ans serait impossible. Le GIEC
n'emploie aucun chercheur : les auteurs du rapport ne lui consacrent au
maximum que 20 % à 25 % de leur temps de travail. Mais c'est la seule
manière de s'assurer la collaboration des meilleurs scientifiques. Les
données de l'an passé suggèrent peut-être que l'Arctique fond plus vite
que ne l'a dit le GIEC dans son dernier rapport. Mais il est possible
que les mesures de l'an prochain nous disent autre chose... Nous devons
prendre le temps nécessaire pour tenir compte de suffisamment de
données : c'est aussi ce qui fait notre crédibilité scientifique.
Juillet 2008
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