Hervé Le Treut, climatologue : "Il ne faut pas perdre dix ans de plus" Propos recueillis par Laurence Caramel et Hervé Kempf
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Hervé
Le Treut, directeur de l'Institut Pierre-Simon-Laplace, déplore un
manque de "compréhension en profondeur des enjeux" et redoute un
"effilochage" de l'opinion.
Que vous inspire l'échec de la conférence de Copenhague ? Il
risque d'y avoir une déception très grande dans la population, à la
hauteur des attentes que la conférence avait suscitées. Un mouvement de
compréhension du changement climatique est apparu depuis quelques
années, et le fait de rassembler autant de chefs d'Etat avait donné un
caractère unique à ce sommet. On ne sait pas si on pourra renouveler un
tel événement, et si la dynamique qui s'est créée dans les mois qui
l'ont précédé pourra se rééditer facilement. Depuis très longtemps, je
redoute cet "après"-Copenhague. Il ne nous reste pas tant de temps que
ça pour agir. On a déjà perdu dix ans avec le gouvernement Bush et il
ne faut pas en perdre dix de plus.
Quelle conséquence aurait le fait de perdre à nouveau dix ans ? Dix
ans d'augmentation des émissions au rythme actuel signifieraient aller
droit vers un changement climatique important. Si on ne fait rien, le
seuil critique d'une hausse de 2ºC des températures sera franchi en
2050. Les engagements aujourd'hui existants sont loin de permettre à
l'humanité de rester en-deçà des 2ºC, qui est d'ailleurs l'un des rares
chiffres inscrits dans la déclaration des chefs d'Etat. Si l'on perd
dix ans, compte tenu de l'inertie de la machine climatique, cela
signifie qu'il faudra envisager une élévation moyenne des températures
bien plus forte.
Les chefs d'Etat
ont choisi de ne pas acter une division par deux des émissions
mondiales d'ici à 2050, qui est la condition fixée par les
scientifiques. Cela n'affaiblit-il pas leur déclaration ? Cela
aurait été en effet beaucoup plus fort d'avoir cet engagement. Mais cet
objectif signifie une réelle contrainte pour les pays. Il implique un
processus extrêmement complexe de transformation qui ne peut se
décréter. Par exemple, en France, cela suppose de ratifier le Grenelle
2 de l'environnement, mais dans une version très dure, sur les
transports, la vitesse sur autoroute, la quantité même de ce que chacun
peut dépenser comme essence. Il n'est pas possible d'imaginer que d'un
coup, les Etats-Unis cessent d'avoir des villes grandes et étendues.
Si
la possibilité de modifier les politiques et les comportements est
aussi faible, pourquoi avoir suscité autant d'attente autour de ce
rendez-vous ? On ne s'attendait quand même pas à ce que les
chefs d'Etat viennent pour redire ce qu'ils avaient déjà dit. Mais cela
montre que les dirigeants sont imperméables à la pression
internationale lorsqu'ils ne sont pas soumis à la pression de leur
propre opinion publique.
Je n'ai donc jamais pensé qu'il serait
facile de faire bouger les Etats-Unis et la Chine, qui sont les deux
premiers pollueurs de la planète. Les Américains restent encore très
indifférents au changement climatique. Et le gouvernement chinois n'est
pas élu démocratiquement. La pression qui pèse sur leurs dirigeants est
donc très faible et c'est un vrai problème pour la planète.
Quelle conclusion tirez-vous sur la capacité de pression de la communauté scientifique ? Si
je la compare à ce qu'elle était il y a vingt ans, elle est immense.
Mais elle reste très fragile. Le discours des climato-sceptiques a, qui
plus est, jeté le trouble dans l'opinion publique. Or, si prise de
conscience il y a aujourd'hui, elle reste quand même assez légère.
Il
n'y a pas une compréhension en profondeur des enjeux, des mécanismes,
de ce que ça implique vraiment, des priorités entre le climat, la
biodiversité, la faim dans le monde. C'est un ensemble de choses assez
complexe, qui est vécu par beaucoup de gens comme une série de slogans.
Mais ils ne parviennent pas à argumenter sur tous ces sujets et restent
donc très influençables. Il peut y avoir des retournements d'opinion
extrêmement rapides, et ce que je crains dans les mois qui viennent,
c'est cette espèce d'effritement, d'effilochage. Il faudra rester
vigilant.
Peut-on dire que l'échec de la conférence renvoie chaque pays à sa responsabilité individuelle ? Le
fait que les Nations unies ne soient pas une organisation forte, on le
sait depuis longtemps. Au niveau des guerres, du partage des
ressources, on voit bien qu'on est dans un domaine où il n'y a pas de
possibilité de régulation. Les Etats sont souverains, et le sont d'une
manière forte. On est ramené à ce constat dès qu'on envisage des
problèmes globaux qui engagent profondément l'économie, le social des
pays concernés.
Les biens communs mondiaux, ça n'existe pas, en réalité ? C'est une notion qui mettra encore du temps à s'imposer.
Décembre 2009
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