L’Afrique et le changement climatique
Par Richard Munang et Jesica Andrews
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Le
changement climatique s’accompagnera d’effets sans précédent. On
assistera par exemple à une baisse des rendements agricoles, des
saisons de végétation brèves et les modifications du régime des
précipitations rendront l’accès à l’eau difficile. La population en
Afrique devrait atteindre deux milliards dans moins de 37 ans et,
dans 86 ans, trois naissances sur quatre se produiront sur le
continent.
La baisse des rendements agricoles et l’accroissement démographique
exerceront une pression supplémentaire sur un système de production
alimentaire déjà fragile. Dans un tel contexte, les experts signalent
que, si la situation actuelle perdure, l’Afrique ne pourra subvenir
qu’à 13% de ses besoins alimentaires d’ici à 2050. Cela fera également
peser une nouvelle menace sur les quelque 65% de travailleurs africains
dont la subsistance dépend de l’agriculture, y compris sur les enfants
et les personnes âgées – premières victimes de l’insécurité
alimentaire.
À l’heure actuelle, quelques 240 millions d’Africains souffrent
déjà de la faim. D’ici 2050, il suffira d’une augmentation de 1,2 à
1,9 degré Celsius environ pour accroître d’entre 25 et 95% le
nombre d’Africains sous-alimentés (+ 25% en Afrique centrale, + 50% en
Afrique de l’Est, + 85% en Afrique australe et + 95% en Afrique de
l’Ouest). La situation sera catastrophique pour les enfants, dont la
réussite scolaire dépend d’une alimentation appropriée. La Commission
économique pour l’Afrique (CEA) estime que le retard de croissance
infantile provoqué chez les enfants par la malnutrition pourrait priver
les pays africains de 2 à 16% de leur produit intérieur brut.
Une agriculture africaine sous pression climatique
Des changements climatiques tels que la hausse des températures et la
réduction des réserves en eau, ainsi que la perte de biodiversité et la
dégradation des écosystèmes, ont un impact sur l’agriculture. Selon la
célèbre revue scientifique internationale Science, l’Afrique australe
et l’Asie du Sud seront les deux régions du monde dont les productions
agricoles seront les plus affectées par le changement climatique d’ici
à 2030. À titre d’exemple, les variétés de blé se développent bien à
des températures comprises entre 15 et 20 ºC, mais la température
moyenne annuelle en Afrique subsaharienne dépasse aujourd’hui cette
plage pendant la saison de végétation. Si ces tendances climatiques se
poursuivent, la production de blé pourrait donc enregistrer une baisse
de 10 à 20% d’ici à 2030 comparé aux rendements des années 1998-2002.
L’insécurité alimentaire pourrait également être source d’instabilité
sociale, comme cela a déjà été le cas par le passé. Entre 2007 et 2008,
plusieurs pays avaient connu des émeutes en réaction à une flambée des
prix des produits alimentaires de première nécessité. En 2010, des
centaines de manifestants étaient descendus dans les rues au Mozambique
pour protester contre une hausse de 25% du prix du blé, provoquée par
une pénurie mondiale, en partie imputable aux feux de forêts ayant
ravagé les cultures en Russie, suite à une période de températures
extrêmes. L’augmentation du prix du pain avait provoqué des violences,
des pillages, des incendies, et même des morts.
Le rapport Africa’s Adaptation Gap (L’écart de l’adaptation en Afrique)
du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), signale
qu’un réchauffement d’environ deux degrés Celsius entraînerait une
réduction de 10% du rendement agricole total en Afrique subsaharienne
d’ici 2050; un réchauffement supérieur (plus probable) pourrait porter
ce chiffre à 15 ou 20%.
Les mauvaises nouvelles ne s’arrêtent pas là pour l’agriculture
africaine : d’ici le milieu du siècle, la production de blé
pourrait enregistrer une baisse de 17%, 5% pour le maïs, 15% pour le
sorgho, et 10% pour le mil. Si le réchauffement dépassait les trois
degrés Celsius, toutes les régions actuellement productrices de maïs,
de mil et de sorgho deviendraient inadaptées à ce type de cultures. La
question est donc de savoir si le système agricole africain est prêt à
relever le défi.
Protéger les ressources hydriques
Des précédents montrent qu’il est possible d’accroître la production
agricole dans un contexte de changement climatique. Les analystes
considèrent donc que les pays africains devront intégrer ces
connaissances à leur planification, et qu’il leur faudra protéger et
consolider leurs ressources hydriques, cruciales pour la sécurité
alimentaire.
Dans les années à venir, l’eau nécessaire à l’agriculture se fera de
plus en plus rare. Selon le PNUE, 95% de la culture africaine est
pluviale. Pour la Banque mondiale, la disponibilité totale des eaux
«bleues et vertes» (issues des précipitations et des rivières)
diminuera très probablement de plus de 10% dans toute l’Afrique d’ici à
2020. Le changement climatique menace aussi la biodiversité et les
écosystèmes, qui constituent le pilier de l’agriculture. Ces pertes
affecteront la qualité des sols et de la végétation dont dépend le
bétail pour son alimentation. Toujours selon la Banque mondiale, la
réduction potentielle de la biodiversité, des cultures et des
ressources en eau devrait obliger l’Afrique à réexaminer son système
alimentaire actuel, obligeant le continent à travailler avec la nature
et non contre elle.
De nouvelles approches plus efficaces
La capacité de la révolution agricole industrielle à résoudre tout ou
une partie des problèmes climatiques en Afrique reste sujette à débat.
Les experts soutiennent que l’agriculture industrielle est actuellement
responsable du tiers de toutes les émissions de gaz à effet de serre,
principale cause du changement climatique. Ils considèrent également
que les ressources et les infrastructures nécessaires à l’exploitation
d’un système agricole industriel ne sont pas à la portée des petits
exploitants africains.
De nouvelles machines seraient synonymes de réduction de la
main-d’œuvre, ce qui pourrait entraîner une hausse du taux de chômage
et une baisse des salaires pour les nombreux Africains vivant de
l’agriculture. Les pratiques actuelles seront insuffisantes pour
satisfaire la future demande alimentaire, l’Afrique se doit donc
d’adopter de nouvelles approches plus efficaces.
En juillet 2013, les dirigeants africains ont pris l’ambitieux
engagement d’éradiquer la faim d’ici 2025. Ils comptent encourager les
exploitants à abandonner progressivement l’agriculture de rendement,
les systèmes agricoles fragiles et les cultures exigeant de grandes
quantités d’engrais et de pesticides, au profit de pratiques durables
et résilientes au changement climatique. L’épuisement des nutriments
représente, à lui seul, une perte de capital naturel comprise entre un
et trois milliards de dollars par an, selon les résultats publiés par
le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD).
Une adaptation fondée sur les écosystèmes
Pour que l’Afrique puisse libérer son potentiel, les décideurs
politiques du secteur agricole et de l’environnement doivent joindre
leurs forces à celles de la société civile et des organisations non
gouvernementales afin d’évaluer les options permettant aux
agriculteurs, et à l’environnement, de s’adapter au changement
climatique. L’une des options à l’étude est l’adaptation fondée sur les
écosystèmes, dont l’objectif est d’atténuer les effets du changement
climatique en utilisant des systèmes naturels, comme par exemple des
variétés résistantes à la sécheresse, des méthodes de stockage d’eau
plus efficaces et des systèmes de rotation culturale variés, indique le
PNUE.
En Zambie, 61% des agriculteurs ayant appliqué ces méthodes fondée sur
les écosystèmes, telles que des pratiques de préservation des
ressources naturelles ou d’agriculture biologique durable, ont rapporté
des excédents de production. Dans certains cas, les rendements ont
enregistré une croissance allant jusqu’à 60%, tandis que les ventes
d’excédents sont passées de 25,9 à 69%. Au Burkina Faso, les
agriculteurs utilisent des méthodes traditionnelles pour restaurer les
sols : en creusant des micro-bassins (connus localement sous le
nom de zaï) dans une terre dévitalisée, puis en les remplissant de
matières organiques, certains fermiers burkinabés sont capables de
revitaliser les sols et d’améliorer le stockage des eaux souterraines
afin d’accroître leur productivité. Ces exploitants ont ainsi récupéré
200 000 à 300 000 hectares de terres dégradées et
produit 80 000 à 120 000 tonnes de céréales
supplémentaires, selon les estimations.
D’autres options consistent à protéger les bassins versants et à
améliorer leur capacité à retenir l’eau et à la transporter là où elle
est la plus nécessaire; mettre en œuvre des programmes de lutte
intégrée contre les nuisibles pour protéger les cultures de manière
rentable et naturelle; pratiquer l’agroforesterie, la culture
intercalaire et la rotation culturale pour diversifier les apports en
nutriments et accroître les rendements de manière durable et naturelle;
entretenir les forêts et utiliser les aliments forestiers; utiliser des
engrais naturels tels que le fumier; et recourir à des pollinisateurs
naturels tels que les abeilles qui, selon une récente étude, pourraient
permettre d’accroître de 5% le rendement des arbres fruitiers. Toutes
ces alternatives sont rentables : le projet entrepris en Zambie ne
coûte que 207 dollars par personne, et des projets similaires
développés en Ouganda et au Mozambique reviennent respectivement à 14
et 120 dollars par personne.
Une lueur d’espoir
Les prévisions les plus pessimistes concernant les effets du changement
climatique suggèrent que l’Afrique pourrait perdre 47% de ses revenus
agricoles d’ici à l’an 2100, tandis que les plus optimistes prédisent
une perte de 6% seulement. Ce second scénario part du principe que des
pratiques et des infrastructures d’adaptation au changement climatique
sont déjà en place. Néanmoins, l’écart entre ces deux estimations est
suffisamment important pour justifier des investissements dans des
stratégies d’adaptation qui permettront à l’Afrique de mettre à profit
ses vastes ressources naturelles. Pour parvenir à consolider son
agriculture et à enrayer la faim, les analystes considèrent que le
continent devra composer avec son environnement naturel afin de le
rendre plus productif et résilient au changement climatique.
À travers le continent, de nombreuses communautés ont déjà commencé à
développer une résilience en stimulant les écosystèmes existants et les
ressources naturelles disponibles. C’est en mettant en œuvre ces bonnes
pratiques et en gérant les effets inévitables du changement climatique
de manière appropriée que le continent pourra subvenir à ses besoins
alimentaires. L’Afrique n’est pas inéluctablement vouée à l’indigence.
Richard Munang est le Coordonnateur régional pour les changements climatiques du Bureau régional pour l’Afrique du PNUE.
Pour le suivre sur Twitter : @MTingem.
Jesica Andrews est spécialiste de l’adaptation des écosystèmes au Bureau régional pour l’Afrique du PNUE.
24 Novembre 2013
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