L’Afrique a aussi son mot à dire sur le changement climatique
Par Makhtar Diop, Vice-président de la BM pour la région Afrique

Plus de 120 dirigeants internationaux se réunissent cette semaine à New York à l’occasion du Sommet sur le climat des Nations Unies.

Il est grand temps qu’à cet évènement sans précèdent, la voix de l’Afrique soit entendue.

L’Afrique doit être au centre de la stratégie mondiale sur le climat. Elle doit participer activement aux débats internationaux sur la montée du niveau des mers, la destruction des forêts tropicales, le recul de la biodiversité et l’extinction d’espèces menacées, la création d’obligations vertes ou la tarification des émissions de carbone.

Le continent africain doit être entendu, car ses populations  seront les premières victimes du changement climatique en cours, alors même qu’elles ont le moins contribué au réchauffement de la planète.

L’Afrique n’est responsable que de 3,8 % des émissions totales de gaz à effet de serre dans le monde. Et pourtant, du Sahel à la corne de l’Afrique, et jusqu’au sud du continent, les pays africains subissent de plein fouet les effets dévastateurs de sècheresses et d’inondations de plus en plus sévères. Ils souffrent de conditions climatiques de plus en plus extrêmes qui tarissent ou submergent leurs champs. Les dirigeants et chefs d’entreprise africains sont déjà engagés sur un modèle de croissance capable de faire face au réchauffement climatique, mais cette voie s’annonce difficile.

Une étude récente de la Banque mondiale sur le changement climatique révèle un scénario inquiétant pour l’Afrique. Un réchauffement de 2°C aurait des conséquences dramatiques sur l’agriculture et la production de nourriture en Afrique subsaharienne. Or l’agriculture est le moyen de subsistance de 80 % de la population du continent. Par conséquent, on ne peut ignorer le lien évident entre l’agriculture et la sécurité alimentaire lorsqu’on évoque le changement climatique.

En Afrique, l’agriculture représente entre 30 et 40 % du PIB. Une hausse des températures de 1,5°C à 2°C d’ici les années 2030 et 2040 entraînerait une réduction de 40 à 80 % de la surface cultivable pour le maïs, le millet et le sorgho. Ces céréales sont la base de l’alimentation africaine et constituent le principal apport calorique journalier, en particulier dans les zones arides du Sahel et de la Corne de l’Afrique.

Il convient  également d’insister sur la corrélation entre changement climatique et conflits. En 2013, dans un article retentissant paru dans la revue Science, les économistes Solomon Hsiang, Marshall Burke et Edward Miguel ont mis en évidence une corrélation entre les phénomènes climatiques et les conflits humains en Afrique et dans le  reste du monde. Selon eux, l’amplitude des changements climatiques est telle qu’une seule unité d’écart-type vers des températures plus chaudes ou des précipitations plus extrêmes augmenterait de 4% la fréquence des violences personnelles et entraînerait une hausse de 14% des conflits intercommunautaires.

Un climat inhospitalier aura également des conséquences sur les modes de vie traditionnels en Afrique. Au fur et à mesure que les températures augmentent, l’emblématique savane africaine deviendra plus aride, un fait qui constitue une menace pour les populations pastorales. La tradition ancestrale du pastoralisme se trouvera en danger du fait de la vulnérabilité du bétail (les chèvres, les bœufs et autres animaux) aux chaleurs extrêmes, au manque d’eau et de nourriture ainsi qu’aux maladies.

Le changement climatique affectera aussi violemment le cycle des précipitations avec plus de sècheresses et d’inondations. En conséquence, la surface totale de zones arides en Afrique augmentera de 3 %. Les populations côtières de Guinée-Bissau, de Gambie et du Mozambique seront confrontées à un plus grand risque d’inondations et de tempêtes. L’érosion des côtes constitue également une sérieuse menace pour les activités liées à la pêche, au tourisme et au commerce qui contribuent fortement au PIB du continent. Avec la montée du niveau des mers, des villes et villages du littoral (mais aussi des capitales et des ports en eau profonde) pourraient être engloutis. Selon des estimations récentes, des pays tels que le Togo, le Ghana et le Mozambique pourraient perdre plus de 50 % du PIB de leurs régions côtières.

Mais une gestion durable des innombrables ressources naturelles de la région (l’eau, les forêts et les terres) peut permettre la capture et le stockage du CO2. Cela permettra de préserver les moyens de subsistance et aura des retombées économiques positives. Madagascar, un des pays les plus pauvres du monde, abrite 5 % de la biodiversité mondiale. Avant la crise politique qui a agité le pays, l’industrie de l’écotourisme pesait 500 millions de dollars, et enregistrait une croissance de 10 % par an. Mais cette île figure aussi sur la liste des pays les plus vulnérables au changement climatique, ce qui aura un impact colossal sur sa biodiversité.

L’Afrique connaît l’un des taux d’urbanisation les plus rapides au monde. L’aridité des zones rurales entraînera progressivement un afflux de personnes dans des villes déjà bondées. Cette surpopulation pèsera sur l’approvisionnement en eau potable et sur l’assainissement.



En juin dernier, lors du Sommet de l’Union africaine, le Président tanzanien Jakaya Kikwete rappelait que “ tout le continent sera frappé par les effets du changement climatique” tout en notant que le coût de l’adaptation au changement climatique se chiffrait déjà à 15 milliards de dollars par an, un chiffre en augmentation constante.

La bonne nouvelle, c’est que l’Afrique a déjà choisi la voie du développement durable, et qu’elle est particulièrement bien placée pour renforcer sa résilience au changement climatique, surtout dans les domaines de l’énergie et de l’agriculture. Car la croissance verte représente une opportunité économique pour le continent. Au Kenya, des petits exploitants obtiennent des crédits carbone grâce à la pratique d’une agriculture durable. En Afrique du Sud, la ville de Johannesburg a récemment émis sa première obligation verte pour financer des infrastructures à faibles émissions de gaz à effet de serre. En Mauritanie, l’énergie solaire couvre 30 % de la consommation électrique de Nouakchott. En Afrique, l’énergie solaire et l’énergie éolienne représentent un potentiel de plus de 1000 GW qui devra être exploité pleinement.

Le continent a amorcé la révolution de l’énergie verte, qui fournira plus d’électricité aux foyers, aux entreprises, aux dispensaires, aux hôpitaux et aux écoles. Il s’agit d’une tâche urgente, puisqu’aujourd’hui seul un Africain sur 3 a accès à l’électricité.  L’Afrique a un énorme potentiel hydraulique, géothermal et solaire qui reste inexploité. Il faut le développer pour fournir l’électricité nécessaire à une croissance verte, durable qui puisse bénéficier à tous.
La Banque mondiale relève ce défi. Nous finançons des projets structurants qui s’attaquent à la pauvreté sous différents aspects. Nous aidons les gouvernements à promouvoir « une agriculture climato-intelligente » afin que les fermiers africains obtiennent de meilleurs rendements et puissent mieux résister aux effets du changement climatique. En République démocratique du Congo un projet d’assistance technique de 73, 1 millions de dollars ouvre la voie à la fourniture d’électricité hydraulique au profit de 9 millions de personnes.

Ces réalisations ne sont qu’un début et restent insuffisantes pour répondre à l’énorme besoin en énergie du continent.  Bien que le coût des énergies renouvelables ait baissé significativement au cours des dix dernières années, ces dernières demeurent toujours bien trop onéreuses. La révolution énergétique verte en Afrique ne pourra donc se faire sans l’appui financier de la communauté internationale, qui permettra de faire baisser les coûts liés au déploiement de ces technologies propres. 

  
Les signes d’alerte sont sans équivoque: un changement climatique, même en dessous du scénario de 2°C, constitue une menace sérieuse au développement durable de l’Afrique. Ses effets pourraient nuire aux efforts de développement déjà réalisés. Ignorer ces signes nous mettrait collectivement en danger. Mais, si nous agissons ensemble, nous pourrons bâtir un avenir résistant au changement climatique au bénéfice des Africains et de la planète entière.

Makhtar Diop est le vice-président de la Banque mondiale pour la région Afrique.

23 Septembre 2014

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