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Climat: ainsi fond, fond, fond l’Arctique
Par Par Aude Massiot — 9 janvier 2017 à 19:16
Première
victime du réchauffement climatique et indicateur des transformations
que subit la planète, cette région polaire est devenue
une zone stratégique, notamment pour ses possibilités en termes de
transport maritime, que se disputent six pays.
«L’avenir
de l’Arctique se décide à l’échelle mondiale. L’avenir de la planète se
décide dans l’Arctique.» Pour Marcus Carson, chercheur à l’Institut de
l’environnement de Stockholm, l’extrême Nord est rapidement devenu le
centre de l’attention mondiale. Le 20 décembre déjà, Barack Obama
annonçait, conjointement avec le Premier ministre canadien, Justin
Trudeau, la sanctuarisation de la très grande majorité des eaux
arctiques américaines, les protégeant des forages d’hydrocarbures. En
plus d’être la région où le changement climatique est le plus rapide,
l’Arctique est devenu une zone politico-économique stratégique. Six
pays - le Canada, les Etats-Unis, la Russie, la Norvège, l’Islande et
le Groenland (Danemark) - revendiquent une part de souveraineté sur la
région. La Russie a remilitarisé sa frontière nord et y multiplie les
exercices militaires, effrayant ses voisins. Tour d’horizon des
bouleversements à grande échelle que connaît cette région méconnue.
Un cercle vicieux climatique
L’image d’un ours polaire dérivant sur un morceau de glace n’est plus
une métaphore. L’Arctique vient de connaître ses douze mois les plus
chauds depuis le début des relevés de températures dans cette
région en 1900, selon un récent rapport de l’Agence américaine
océanique et atmosphérique (Noaa). Une vague d’air chaud a
entraîné une importante fonte des glaces cet été, et elles peinent à se
reformer alors que l’hiver polaire s’installe. Le Centre américain de
données sur la glace et la neige a alerté sur un recul sans précédent
de la banquise. «Cet automne, comme il y avait moins de couverture de
glace, l’océan a pu transmettre de la chaleur à l’air extérieur qui a
atteint une température de - 5 °C, au lieu de l’habituel - 25 °C,
explique Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue et coprésidente
d’un groupe de travail du Groupe d’experts intergouvernemental sur
l’évolution du climat (Giec). C’est un événement ponctuel mais il
s’inscrit dans une plus longue tendance. La banquise a ainsi perdu plus
de la moitié de sa surface à la fin de l’été, en une soixantaine
d’années.» Ces hausses de températures ont aussi pour conséquence de
faire fondre la calotte glaciaire, c’est-à-dire la couche de glace
accumulée sur de la terre. Et de faire monter le niveau des océans. Ces
bouleversements thermiques affectent aussi la circulation de l’eau dans
l’océan Atlantique et, par conduction, dans les océans Pacifique
et Indien. Selon un rapport publié fin novembre par l’Institut de
l’environnement de Stockholm sur la résilience dans l’Arctique, «ce
changement de régime modifierait les températures océaniques à
l’échelle mondiale et le cli mat d’une manière considérable et brutale».
Une mine de glace et d’or
Le dégel, dans l’Arctique, ne vaut pas pour les relations
diplomatiques, bien au contraire, il ne concerne que le sol et
la mer. Les conséquences du changement climatique créent, pour
certains, de juteuses opportunités économiques. La région pourrait
receler 13 % des réserves de pétrole et 30 % des réserves de gaz
naturel non découvertes de la planète. Bien que leur exploitation
s’avérerait coûteuse, plusieurs missions d’exploration sont en cours.
La Russie est l’Etat le plus actif de la région. Et pour cause :
43 des 61 champs de pétrole d’importance en Arctique sont sur le
territoire russe.
Autre raison de cet intérêt, les nouvelles routes maritimes libérées
par la fonte des glaces : le «passage du Nord-Ouest» longe les côtes
nord-américaines de l’Alaska au Canada vers l’océan Atlantique ; de
l’autre côté du pôle, la «route maritime du Nord-Est» suit la ligne
côtière de la Sibérie et de la Scandinavie pour atteindre l’Atlantique.
Ces deux routes constituent des alternatives beaucoup plus courtes pour
relier l’Asie à l’Europe, ou à la côte Est des Etats-Unis, que de
passer par le canal de Suez ou celui de Panama. Elles restent
pour l’instant impraticables la grande majorité de l’année.
Conscient du potentiel d’une telle voie, le Canada réclame la
souveraineté de la route du Nord-Ouest, pour instaurer des droits
de passage. Les Etats-Unis maintiennent, eux, qu’il s’agit d’eaux
internationales. Seulement, difficile pour eux d’avoir voix au chapitre
: ils n’ont toujours pas ratifié la Convention des Nations unies sur le
droit de la mer, pourtant créée en 1982. Celle-ci définit les
limites entre les zones économiques exclusives (ZEE) des pays et les
eaux internationales.
La Russie, qui revendique la souveraineté sur le passage du Nord-Est,
a fait une demande auprès des Nations unies en août 2015 pour
étendre sa ZEE bien plus au nord. En quelques années,
le Kremlin a renforcé ses infrastructures militaires et multiplie
les exercices dans l’Arctique. De quoi inquiéter les pays scandinaves
qui ont, eux aussi, renforcé leur arsenal militaire aux frontières
septentrionales. En juin, l’Islande a signé un accord avec les
Etats-Unis pour leur donner accès à ses bases militaires, après
plusieurs incursions d’avions russes dans leur espace aérien. «Il
existe un risque accru de tensions entre la Russie et les autres Etats
du Conseil de l’Arctique», concluait un rapport du département d’Etat
américain, en septembre. Le Conseil de l’Arctique, organisme de
collaboration entre les Etats ayant des territoires dans l’Arctique, a
vu doubler le nombre de pays observateurs, en 2013, avec
l’entrée de pays aussi éloignés que la Chine, l’Inde ou Singapour.
Des habitants en mode survie
Parmi les 4 millions d’habitants de l’Arctique, environ 500
000 sont autochtones. Que ce soient les Inuits au Groenland ou les
Samis en Scandinavie, les autochtones subissent de plein fouet les
conséquences du changement climatique sur leur mode de vie. «La fonte
du permafrost [sol dont la température est continuellement inférieure à
0 °C, ndlr] fait perdre aux routes leurs fondations, illustre Marcus
Carson, de l’Institut de l’environnement de Stockholm.
La diminution des surfaces gelées va compliquer le transport et la
chasse pour les autochtones qui se déplacent sur les plateformes de
glace. En Alaska, ils vivent sur les côtes pour être proches des
sources de nourriture. Les littoraux s’érodent sous la pression de
phénomènes météorologiques de plus en plus violents. Certaines
communautés ont dû déménager.» Dans l’Arctique, la pêche est la
principale source d’alimentation et de revenus. Sous l’effet du
changement climatique, cette activité est bouleversée. «Certaines
espèces, surtout les gros mammifères qui se vendent le plus cher,
changent leurs routes de migration», explique Marcus Carson.
L’acidification des océans est deux fois plus importante dans
l’Arctique. A cela s’ajoutent le réchauffement des eaux et les
changements de courants. En Islande, plusieurs zones de pêche
ont disparu à cause de la surpêche et de la disparition des
ressources halieutiques.
Les communautés autochtones voient tout de même l’intérêt international
pour l’Arctique d’un bon œil. La recherche d’hydrocarbures
créerait, à court terme, des emplois locaux. Le tourisme est aussi
une nouvelle source de revenus. En septembre 2015, un premier
bateau de croisière a emprunté le passage du Nord-Ouest pour relier le
Groenland à la Sibérie. La même année, 30 croisières ont été
organisées dans toute la région, pour plusieurs milliers d’euros le
ticket.
Plus de conifères et moins de saumons
Sous l’action du changement climatique, les paysages de l’Arctique
commencent à changer. La toundra, paysage polaire avec une végétation
rase, recule pour laisser la place aux forêts boréales ou aux steppes.
«Ces bouleversements s’accélèrent avec les dégagements de CO2 et de
méthane dus à la fonte du permafrost, décrit le rapport de l’Institut
de l’environnement de Stockholm. Ces changements de grande ampleur
compromettent l’approvisionnement en eau douce et en nourriture des
autochtones, et diminuent la capacité de ces territoires à stocker du
carbone.» La multiplication des conifères et des épicéas compliquera
les déplacements, mais pourrait attirer une nouvelle faune, possible
alimentation pour ces populations, et permettre un développement de
l’industrie du bois. «Généralement plus sombre, cette nouvelle
végétation absorbe plus d’énergie solaire et réduit l’effet
réfléchissant de la glace, note Marcus Carson. L’écosystème arctique en
est bouleversé.»
Les saumons et les ours polaires sont deux espèces particulièrement
touchées par ces changements. En Alaska, ces derniers sont de plus en
plus contraints d’aller chercher de la nourriture dans les habitations.
Ils souffrent de la fonte des banquises, qui leur permettent
normalement de chasser le phoque. Sans cet apport en graisse, les ours
polaires perdent du poids, et peinent à survivre aux dures conditions
de l’Arctique. Les saumons sont aussi menacés. Actuellement, ils se
trouvent en abondance dans les eaux arctiques, particulièrement dans
l’Alaska, mais pourraient «décliner vers un régime permanent de faible
quantité», assure le rapport de l’Institut de l’environnement de
Stockholm. Un tel scénario serait aussi dommageable pour les
populations locales qui s’en nourrissent et en tirent leurs revenus,
que pour les écosystèmes côtiers de l’Arctique qui perdraient les
nutriments apportés par les saumons lors de leurs migrations.
14 Janvier 2017
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