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Mourir de chaud, un risque pour 30 % de la population mondiale
Par Pierre Le Hir — LE MONDE | 19.06.2017 à 17h05 • Mis à jour le 19.06.2017 à 19h21 |
Sans
une réduction drastique des gaz à effet de serre, les trois quarts des
habitants de la planète seraient exposés à des vagues de chaleur
potentiellement mortelles à la fin du siècle.
Alors
qu’une partie de la France est placée en vigilance orange pour la
canicule, une étude se penche sur le risque de « mourir de
chaud », au sens propre. Publiée en ligne lundi 19 juin dans
la revue Nature Climate Change, elle conclut que ce danger guette
aujourd’hui près d’un individu sur trois dans le monde. Une proportion
qui pourrait grimper à trois sur quatre à la fin du siècle, si les
émissions de gaz à effet de serre se poursuivent à leur rythme actuel.
Pour poser ce diagnostic, une équipe américano-britannique de dix-huit
chercheurs, dont la plupart travaillent à l’université de Hawaï, a
compilé la littérature scientifique documentant les cas de mortalité
supplémentaire associée à des vagues de chaleur, entre 1980 et 2014.
Elle en a identifié 783, observés dans 164 villes de 36 pays. Parmi eux
figurent la canicule de l’été 2003, à l’origine de
70 000 morts excédentaires en Europe, dont environ
20 000 en France, et près de 5 000 à Paris, celle de 2010, à
laquelle sont imputés 55 000 décès supplémentaires en Russie, dont
près de 11 000 à Moscou, ou celle qui avait frappé Chicago en
juillet 1995, responsable de plus de 700 morts.
Les auteurs ont ensuite croisé ces données avec les paramètres
climatiques enregistrés lors de ces épisodes : température de
l’air, taux d’humidité relative, ensoleillement, vitesse du vent… Ils
en ont déduit que le facteur déterminant, pouvant altérer la capacité
de thermorégulation de l’organisme humain et provoquer un état
d’hyperthermie, était le couple température-humidité, cette dernière
renforçant la chaleur ressentie. Ils ont alors calculé un seuil à
partir duquel l’association de ces conditions ambiantes peut devenir
fatale.
Les chercheurs n’affirment évidemment pas que le dépassement de ce
seuil conduit à un trépas inéluctable, mais simplement qu’il expose à
un « coup de chaud » potentiellement mortel. Différentes
parades peuvent en effet être mises en œuvre pour éviter une telle
extrémité, allant de l’équipement individuel en système de
climatisation jusqu’à la politique publique de prévention.
Les tropiques en surchauffe
A l’aune de ce critère, l’équipe a établi qu’en 2000, le seuil
fatidique de température et d’humidité a été franchi, pendant au moins
vingt jours, sur environ 13 % de la surface continentale de la
planète, abritant 30 % de la population mondiale.
Qu’en sera-t-il demain ? La menace ne va faire que s’amplifier,
répondent les auteurs. Son niveau dépendra toutefois de celui des
émissions futures de gaz à effet de serre. Dans le scénario le plus
optimiste du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du
climat (GIEC), qui suppose une réduction rapide et drastique de ces
émissions et limite ainsi à 1 °C le réchauffement en 2100, la
zone de danger concernerait 27 % de la surface du globe et
48 % de la population à la fin de ce siècle. Dans le scénario le
plus pessimiste, avec lequel les rejets carbonés conservent une courbe
ascendante entraînant un réchauffement moyen de 3,7 °C
en 2100, ce sont 47 % du territoire et 74 % des
individus qui seraient mis en péril.
Face au risque de surchauffe, tous ne sont cependant pas égaux. Bien
que les modèles des climatologues prévoient des hausses de température
plus marquées aux latitudes élevées, les régions tropicales seront
« exposées de façon disproportionnée à davantage de jours avec des
conditions climatiques potentiellement mortelles », prédisent les
chercheurs. La raison en est l’humidité importante qui y prévaut toute
l’année, ce qui fera dépasser la cote d’alerte même avec une moindre
montée du thermomètre. Partout, en revanche, la menace sera aggravée
par le vieillissement de la population et sa concentration croissante
dans les zones urbaines, sujettes au phénomène des îlots de chaleur.
« Prix ultime »
« Le grand intérêt de cette publication est sa dimension globale,
estime Robert Vautard, directeur de recherche au CNRS (Laboratoire des
sciences du climat et de l’environnement, Institut
Pierre-Simon-Laplace), qui n’a pas participé à ce travail. On sait que
les vagues de chaleur tuent, mais c’est la première fois qu’une étude
dépasse les analyses locales, en s’appuyant sur une bibliographie très
large et une méthode statistique à la fois précise et innovante. »
Sans doute ces résultats reposent-ils sur des modélisations. Les
auteurs en pointent eux-mêmes certaines limites : les données ont
été collectées sur une période relativement courte (trois décennies) et
ne sont peut-être pas exhaustives, les incertitudes sont plus grandes
pour les hautes latitudes et, surtout, de multiples facteurs
(démographique, socioéconomique, urbanistique…) peuvent influencer la
vulnérabilité future des populations.
C’est précisément sur l’importance des politiques d’atténuation du
changement climatique et d’adaptation à ses conséquences que les
chercheurs mettent l’accent. « Concernant les vagues de chaleur,
nos options sont maintenant le mauvais ou le terrible, commente Camilo
Mora, professeur associé au département de géographie de l’université
de Hawaï et premier signataire de l’étude. Beaucoup de personnes dans
le monde paient déjà le prix ultime des canicules et cela pourrait être
bien pire si les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas
considérablement réduites. »
20 Juin 2017
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