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Save Mother Earth Le cri d’alarme de quinze mille scientifiques sur l’état de la planète
LE MONDE | 13.11.2017 à 16h00 • Mis à jour le 13.11.2017 à 21h23 |
Par William J. Ripple, Christopher Wolf, Thomas M. Newsome, Mauro
Galetti, Mohammed Alamgir, Eileen Crist, Mahmoud I. Mahmoud et William
F. Laurance7
« Le
Monde » publie le manifeste signé par
15 364 scientifiques de 184 pays, à paraître lundi dans la
revue « BioScience ».
Tribune.
Il y a vingt-cinq ans, en 1992, l’Union of Concerned Scientists et
plus de 1 700 scientifiques indépendants, dont la majorité
des lauréats de prix Nobel de sciences alors en vie, signaient le
« World Scientists’Warning to Humanity ». Ces scientifiques
exhortaient l’humanité à freiner la destruction de l’environnement et
avertissaient : « Si nous voulons éviter de grandes misères
humaines, il est indispensable d’opérer un changement profond dans
notre gestion de la Terre et de la vie qu’elle recèle. » Dans leur
manifeste, les signataires montraient que les êtres humains se
trouvaient sur une trajectoire de collision avec le monde naturel. Ils
faisaient part de leur inquiétude sur les dégâts actuels, imminents ou
potentiels, causés à la planète Terre, parmi lesquels la diminution de
la couche d’ozone, la raréfaction de l’eau douce, le dépérissement de
la vie marine, les zones mortes des océans, la déforestation, la
destruction de la biodiversité, le changement climatique et la
croissance continue de la population humaine. Ils affirmaient qu’il
fallait procéder d’urgence à des changements fondamentaux afin d’éviter
les conséquences qu’aurait fatalement la poursuite de notre
comportement actuel.
Les auteurs de la déclaration de 1992 craignaient que l’humanité ne
pousse les écosystèmes au-delà de leurs capacités à entretenir le tissu
de la vie. Ils soulignaient que nous nous rapprochions rapidement des
limites de ce que la biosphère est capable de tolérer sans dommages
graves et irréversibles. Les scientifiques signataires plaidaient pour
une stabilisation de la population humaine, et expliquaient que le
vaste nombre d’êtres humains – grossi de 2 milliards de personnes
supplémentaires depuis 1992, soit une augmentation de 35 % –
exerce sur la Terre des pressions susceptibles de réduire à néant les
efforts déployés par ailleurs pour lui assurer un avenir durable. Ils
plaidaient pour une diminution de nos émissions de gaz à effet de serre
(GES), pour l’abandon progressif des combustibles fossiles, pour la
réduction de la déforestation et pour l’inversion de la tendance à
l’effondrement de la biodiversité.
En ce vingt-cinquième anniversaire de leur appel, il est temps de se
remémorer leur mise en garde et d’évaluer les réponses que l’humanité
lui a apportées en examinant les données de séries chronologiques
disponibles. Depuis 1992, hormis la stabilisation de l’amenuisement de
la couche d’ozone stratosphérique, non seulement l’humanité a échoué à
accomplir des progrès suffisants pour résoudre ces défis
environnementaux annoncés, mais il est très inquiétant de constater que
la plupart d’entre eux se sont considérablement aggravés.
Particulièrement troublante est la trajectoire actuelle d’un changement
climatique potentiellement catastrophique, dû à l’augmentation du
volume de GES dégagés par le brûlage de combustibles fossiles, la
déforestation et la production agricole – notamment les émissions
dégagées par l’élevage des ruminants de boucherie. Nous avons en outre
déclenché un phénomène d’extinction de masse, le sixième en
540 millions d’années environ, au terme duquel de nombreuses
formes de vie pourraient disparaître totalement, ou en tout cas se
trouver au bord de l’extinction d’ici à la fin du siècle.
L’humanité se voit aujourd’hui adresser une seconde mise en garde
motivée par ces inquiétantes tendances. Nous mettons en péril notre
avenir en refusant de modérer notre consommation matérielle intense
mais géographiquement et démographiquement inégale, et de prendre
conscience que la croissance démographique rapide et continue est l’un
des principaux facteurs des menaces environnementales et même
sociétales. En échouant à limiter adéquatement la croissance de la
population, à réévaluer le rôle d’une économie fondée sur la
croissance, à réduire les émissions de GES, à encourager le recours aux
énergies renouvelables, à protéger les habitats naturels, à restaurer
les écosystèmes, à enrayer la pollution, à stopper la
« défaunation » et à limiter la propagation des espèces
exotiques envahissantes, l’humanité omet de prendre les mesures
urgentes indispensables pour préserver notre biosphère en danger.
Les responsables politiques étant sensibles aux pressions, les
scientifiques, les personnalités médiatiques et les citoyens ordinaires
doivent exiger de leurs gouvernements qu’ils prennent des mesures
immédiates car il s’agit là d’un impératif moral vis-à-vis des
générations actuelles et futures des êtres humains et des autres formes
de vie. Grâce à un raz-de-marée d’initiatives organisées à la base, il
est possible de vaincre n’importe quelle opposition, aussi acharnée
soit-elle, et d’obliger les dirigeants politiques à agir. Il est
également temps de réexaminer nos comportements individuels, y compris
en limitant notre propre reproduction (l’idéal étant de s’en tenir au
maximum au niveau de renouvellement de la population) et en diminuant
drastiquement notre consommation par tête de combustibles fossiles, de
viande et d’autres ressources.
La baisse rapide des substances destructrices de la couche d’ozone dans
le monde montre que nous sommes capables d’opérer des changements
positifs quand nous agissons avec détermination. Nous avons également
accompli des progrès dans la lutte contre la famine et l’extrême
pauvreté. Parmi d’autres avancées notables, il faut relever, grâce aux
investissements consentis pour l’éducation des femmes et des jeunes
filles, la baisse rapide du taux de fécondité dans de nombreuses zones,
le déclin prometteur du rythme de la déforestation dans certaines
régions, et la croissance rapide du secteur des énergies renouvelables.
Nous avons beaucoup appris depuis 1992, mais les avancées sur le plan
des modifications qu’il faudrait réaliser de manière urgente en matière
de politiques environnementales, de comportement humain et d’inégalités
mondiales sont encore loin d’être suffisantes.
Les transitions vers la durabilité peuvent s’effectuer sous différentes
formes, mais toutes exigent une pression de la société civile, des
campagnes d’explications fondées sur des preuves, un leadership
politique et une solide compréhension des instruments politiques, des
marchés et d’autres facteurs. Voici – sans ordre d’urgence ni
d’importance – quelques exemples de mesures efficaces et diversifiées
que l’humanité pourrait prendre pour opérer sa transition vers la
durabilité :
1 privilégier la mise en place de réserves connectées
entre elles, correctement financées et correctement gérées, destinées à
protéger une proportion significative des divers habitats terrestres,
aériens et aquatiques – eau de mer et eau douce ;
2 préserver les services rendus par la nature au
travers des écosystèmes en stoppant la conversion des forêts, prairies
et autres habitats originels ;
3 restaurer sur une grande échelle les communautés de
plantes endémiques, et notamment les paysages de forêt ;
4 ré-ensauvager des régions abritant des espèces
endémiques, en particulier des superprédateurs, afin de rétablir les
dynamiques et processus écologiques ;
5 développer et adopter des instruments politiques
adéquats pour lutter contre la défaunation, le braconnage,
l’exploitation et le trafic des espèces menacées ;
6 réduire le gaspillage alimentaire par l’éducation
et l’amélioration des infrastructures ;
7 promouvoir une réorientation du régime alimentaire
vers une nourriture d’origine essentiellement végétale ;
8 réduire encore le taux de fécondité en faisant en
sorte qu’hommes et femmes aient accès à l’éducation et à des services
de planning familial, particulièrement dans les régions où ces services
manquent encore ;
9 multiplier les sorties en extérieur pour les
enfants afin de développer leur sensibilité à la nature, et d’une
manière générale améliorer l’appréciation de la nature dans toute la
société ;
10 désinvestir dans certains secteurs et cesser
certains achats afin d’encourager un changement environnemental
positif ;
11 concevoir et promouvoir de nouvelles technologies
vertes et se tourner massivement vers les sources d’énergie vertes tout
en réduisant progressivement les aides aux productions d’énergie
utilisant des combustibles fossiles ;
12 revoir notre économie afin de réduire les
inégalités de richesse et faire en sorte que les prix, les taxes et les
dispositifs incitatifs prennent en compte le coût réel de nos schémas
de consommation pour notre environnement ;
13 déterminer à long terme une taille de population
humaine soutenable et scientifiquement défendable tout en s’assurant le
soutien des pays et des responsables mondiaux pour atteindre cet
objectif vital.
Pour éviter une misère généralisée et une perte catastrophique de
biodiversité, l’humanité doit adopter une alternative plus durable
écologiquement que la pratique qui est la sienne aujourd’hui. Bien que
cette recommandation ait été déjà clairement formulée il y a vingt-cinq
ans par les plus grands scientifiques du monde, nous n’avons, dans la
plupart des domaines, pas entendu leur mise en garde. Il sera bientôt
trop tard pour dévier de notre trajectoire vouée à l’échec, car le
temps presse. Nous devons prendre conscience, aussi bien dans nos vies
quotidiennes que dans nos institutions gouvernementales, que la Terre,
avec toute la vie qu’elle recèle, est notre seul foyer.
Traduit par Gilles Berton.
14 Novembre 2017
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