Jiemel : Que conseillez-vous aux générations futures ? Vivre dans une mégapole ? Ou à la campagne ?
R. V. : Quel que soit l’endroit où l’on vit, des adaptations
majeures seront à apporter pour faire face aux impacts qui sont à
venir. Dans les villes, il faut bien sûr craindre les effets de
température qui vont être exacerbés par les îlots de chaleur ; à
la campagne, on pourra craindre des problèmes de sécheresse sur
l’agriculture et sur les sols, qui induisent des phénomènes de risque
sur les habitations. Il y aura des adaptations à apporter dans un cas
comme dans l’autre.
lilou : Le
cumul des impacts du changement climatique et des inégalités
socio-économiques pose des questions en termes d’injustice climatique.
On en a parlé lors de l’ouragan Katrina, mais depuis, où en
est-on ?
R. V. : Les grands émetteurs de gaz à effet de serre sont les pays
les plus développés, et ils auront certainement plus de facilités à
s’adapter que les pays en développement qui, eux, n’ont quasi pas
contribué au changement climatique. C’est un phénomène très injuste.
C’est bien l’enjeu de l’accord sur le climat : mettre en place un
mécanisme qui soit perçu comme juste par tous les pays. Un effort
majeur reste à faire par les pays en développement, comme l’Inde, ou en
Afrique, qui doivent sauter une étape pour ne pas utiliser le carbone
comme vecteur de développement, ce qui est très complexe. Cela signifie
des investissements « décarbonés », qui nécessitent des
financements et des garanties.
Lord Brit :
Quelles solutions existent si on veut éviter la guerre et le
chaos ? J’en vois deux : soit un bond technologique, une
découverte majeure qui bouleverse nos connaissances ; soit une
décroissance organisée, une baisse de la démographie, un rééquilibrage
global. Aucune de ces deux solutions ne paraît crédible. Avez-vous une
autre vision ?
R. V. : La vision actuelle est quand même de dire qu’il faudra
faire feu de tout bois. Chaque effort compte. Mais ces efforts ne
pourront pas être menés s’ils sont perçus comme injustes, trop
difficiles ou mal présentés. La question ne peut qu’être abordée de
manière interdisciplinaire, entre la physique, la sociologie ou
l’économie. Ce ne sont pas seulement les technologies qui permettront
de réaliser ces efforts. Il y a aussi une nécessité de conviction de la
population.
Il faut diminuer les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi
s’adapter au changement climatique. Le rapport du GIEC sur comment
limiter le réchauffement à 1,5 °C donne une liste des grandes
catégories d’efforts et de solutions à déployer : la
décarbonisation dans certains secteurs (agriculture, énergie), des
pratiques agricoles modifiées, une forte atténuation des émissions dans
les transports. Il faut aussi développer de nouvelles technologies pour
capturer du carbone de l’atmosphère.
John :
Qu’en est-il de la géo-ingénierie, lorsque l’on parle par exemple de
refroidir la Terre en diffusant de la craie dans la haute atmosphère,
en renvoyant une partie du rayonnement solaire dans l’espace ou en
séquestrant massivement du CO2 par des procédés industriels ?
R. V. : Il y a de nombreuses études sur ces technologies, et il
faut prendre cette recherche au sérieux. Une partie des scientifiques
pensent qu’il vaut mieux se préparer à l’utilisation de ces
technologies dans le futur. On n’a pas la certitude qu’elles
fonctionnent aujourd’hui.
Il faut aussi étudier les risques que ces technologies génèrent :
par exemple, on ne connaît pas la stabilité à très long terme du CO2
séquestré dans certaines poches de gaz. Est-ce qu’il ne va pas
ressortir. La géo-ingénierie du rayonnement solaire (le fait de le
masquer par des particules comme des sulfates) induirait un
refroidissement global car les grandes éruptions volcaniques nous le
montrent. Mais on ne résout pas le problème de l’acidification des
océans, et il y aurait des impacts sur l’hydrologie. Les risques sont
aussi de nature géopolitique : celui qui contrôlerait le
rayonnement solaire aurait un pouvoir terrible. Cela supposerait une
gouvernance acceptée par tous avant que ce type de technologie puisse
être imaginé.
Bleech :
Fait-on des recherches sur des gaz qui pourraient avoir un effet
« contraire » aux gaz à effets de serre ?
R. V. : Ajouter des gaz supplémentaires ne retirerait pas les gaz
à effet de serre et leurs effets au niveau du rayonnement. Ce n’est pas
possible d’un point de vue physique.
De l’eau de
là : La récolte des icebergs est-elle enfin sérieusement
envisagée, comme le proposait Georges Mougin, ou plus récemment Thierry
Chapin dans son Ice Water Project Just Ice For All ?
R. V. : Cette idée ne semble pas physiquement réalisable, et cela
ne résoudrait pas les problèmes majeurs du changement climatique :
refroidir les eaux à certains endroits pourrait résoudre quelques
problèmes, mais pas celui du changement climatique global et tous les
aléas qui sont associés (sécheresses, inondations, tempêtes, etc). Cela
paraît un effort titanesque pour des effets très mineurs – sans compter
la consommation d’énergie pour transporter des centaines d’icebergs.
EsBa : Y a-t-il
un intérêt à se former à l’adaptation en tant que citoyen, ou bien
est-ce fondamentalement quelque chose qui relève de l’action
collective ?
R. V. : Il est indispensable de comprendre les changements majeurs
qui nous attendent et comment s’y adapter à toutes les échelles :
des Etats, des collectivités, des citoyens. En France, cela reviendrait
par exemple à ne pas investir dans une maison trop exposée au
débordement d’un cours d’eau. Il s’agirait également de bien se
protéger, surtout pour les personnes âgées, aux vagues de chaleur qui
vont augmenter en fréquence grâce à une meilleure isolation et aussi
climatisation. Se prémunir contre des événements extrêmes comme les
inondations dans l’Aude. Sur les régions côtières, il faut se
préoccuper de façon très importante de la montée du niveau des mers.
Pour les régions de montagne en basse ou moyenne altitude, cela revient
à penser à une évolution des activités touristiques hivernales, qui
sont un gros secteur économique..
20 Novembre 2018
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