Guerre d'Algérie: quand la France fait son travail de mémoire
par Akram Belkaïd
Production
éditoriale impressionnante, documentaires et reportages dans la presse
écrite et les télévisions, colloques, salons du livre, débats aux
quatre coins de l’Hexagone en attendant les commémorations et autres
cérémonies officielles.
Le
moins que l’on puisse dire c’est que la France n’ignore pas le
cinquantième anniversaire de la fin de la Guerre d’Algérie ou, si l’on
se place du côté algérien, le cinquantième anniversaire de
l’indépendance. Chaque jour ou presque, le passé algérien de la France
est présent à travers l’actualité culturelle, littéraire, universitaire
ou même artistique. Pour l’heure, la classe politique française reste
un peu en retrait de ce mouvement mais gageons que l’Algérie va bientôt
faire son entrée dans la campagne électorale.
La classe politique française rattrapée par l'Algérie
Il suffira d’une phrase, d’une déclaration outrancière de l’une des
candidates à l’élection présidentielle (suivez mon regard…), d’une
référence appuyée à un camp ou à l’autre et l’on se retrouvera avec
l’une de ces polémiques mémorielles dont la France a le secret.
Souvenons-nous de 2005 et de cette tristement célèbre loi sur les
aspects positifs de la colonisation (abrogée depuis). A l’époque ce ne
fut que diatribes et prises de positions tranchées comme si les
blessures du passé n’attendaient qu’une occasion pour se rouvrir.
On peut donc s’attendre à ce que des dérapages interviennent le 19 mars
prochain, date anniversaire de l’entrée en vigueur des Accords d’Evian
et du cessez-le-feu entre le gouvernement français et le gouvernement
provisoire de la république algérienne (GPRA). Ce sera peut-être le
moment pour les uns de vanter feu l’Algérie française, de dénoncer les
«crimes du FLN», de verser des larmes de crocodiles sur les harkis, de
pleurer les populations européennes «massacrées après l’indépendance»
notamment à Oran et d’en rajouter une couche sur l’immigration
algérienne en France. Ce sera aussi l’occasion, pour d’autres, de
rappeler la monstruosité de l’ordre colonial, la torture, les corvées
de bois, les zones interdites et, bien sûr, les violences suicidaires
de l’OAS.
Un transfert mémoriel
Mais, pour l’heure, nous en sommes peut-être au meilleur moment des
commémorations du cinquantième anniversaire. Les politiques se tenant
encore à distance de ce sujet, c’est toute la richesse d’une production
intellectuelle diverse qui nous est offerte. Que de livres, que de
sujets d’interrogations, que d’écrits destinés à revisiter une période
charnière, celle de la fin du processus de décolonisation et de la
naissance d’une nation. Cette profusion de manifestations démontre
l’importance de la mémoire algérienne en France. Une importance souvent
minimisée par la classe politique française qui tend à vouloir
banaliser ses rapports avec l’Algérie. Une banalisation qui,
finalement, ne tient guère compte de la réalité. Même si elle n’est
guère citée, l’Algérie est un fantôme qui hante les couloirs du Palais
de l’Elysée ou du Palais-Bourbon où siègent les députés français.
Ainsi, quand ces derniers décident que la loi punira désormais les
insultes à l’encontre des harkis et autres supplétifs de l’armée
française durant la Guerre d’Algérie, ils ne font que faire resurgir un
passé qui refuse de disparaître
Et il ne faut pas croire que les jeunes générations sont moins
concernées par cette période. Comme l’explique souvent l’historien
Benjamin Stora, il y a bel et bien eu un transfert mémoriel. Des jeunes
originaires de familles pieds-noirs veulent comprendre, décoder, saisir
une réalité coloniale que leurs parents leur ont parfois décrite de
manière sommaire ou fantasmée.
Cela ne signifie pas que les jeunes générations reprennent à leur
compte les engagements passés de leurs aînés. Ce n’est pas parce que le
père était «Algérie française» que le fils ou la fille adoptent
aujourd’hui une position hostile à l’Algérie indépendante ou à l’égard
des Algériens qui résident en France.
Ils veulent tout simplement comprendre, analyser et, souvent, être au
plus près de leurs racines. Cela vaut aussi pour d’autres acteurs de ce
que fut la Guerre d’Algérie. Enfants et petits-enfants respectifs de
harkis, de militants du Mouvement national algérien (MNA), de porteurs
de valises, de déserteurs de l’armée française, d’objecteurs de
conscience: Nombreuses et nombreux sont celles et ceux qui veulent
comprendre et en savoir plus.
Désintérêt des Algériens
L’omniprésence du cinquantième anniversaire de la fin de la Guerre
d’Algérie tranche de manière paradoxale avec le relatif désintérêt des
Algériens pour la commémoration du cinquantième anniversaire de
l’indépendance de leur pays. Certes, quelques manifestations sont bien
prévues ça et là. Bien sûr, le sujet est abordé par la presse,
notamment par le biais d’articles mémoriels ou de biographies de
militants disparus. Mais l’on ne sent pas la même frénésie, le même
appétit à la fois culturel et artistique pour ce moment clé de
l’histoire des Algériens.
A cela, on peut trouver plusieurs explications. Il y a d’abord le fait
que les Algériens ont d’autres chats à fouetter dans une conjoncture
marquée par d’importantes tensions sociales et des difficultés
économiques qui assaillent la majorité de la population. Il y a aussi
le fait que cette Guerre d’indépendance ne parle guère aux jeunes
générations même si le pouvoir en place, émanation comme il le dit
lui-même de la «famille révolutionnaire», dira toujours le contraire.
Il serait d’ailleurs intéressant de pouvoir procéder à un sondage-test
en interrogeant les moins de trente ans en Algérie. Les questions
posées pourraient être les suivantes: combien de temps a duré la guerre
d’indépendance? Quelle est la date exacte de l’indépendance? Dans
quelles circonstances est né le FLN? Qui a signé les accords d’Evian?
Les résultats risqueraient d’être très surprenants…
Le spectre de la décennie noire et la perspective des élections
La tiédeur des Algériens vis-à-vis de la célébration du cinquantième
anniversaire de l’indépendance vient aussi du poids de la décennie
noire (1992-2002). C’est cette dernière qui est encore dans tous les
esprits puisque l’Algérie n’en finit pas de panser les plaies de ce qui
fut une guerre civile qui n’a jamais voulu dire son nom. Et le fait que
le pays soit encore confronté aux mêmes problèmes politiques qu’au
début des années 1990 n’arrange pas les choses.
La perspective d’élections législatives controversées (une partie de
l’opposition a décidé d’opter pour le boycottage) le 10 mai prochain,
les interrogations à propos de la succession du président Abdelaziz
Bouteflika, tout cela fait passer le souvenir de l’indépendance au
second plan. Reste enfin une autre explication majeure qui relève du
non-dit. En effet, fêter l’indépendance, c’est être obligé de faire le
bilan de ces cinquante dernières années. «Qu’avons-nous fait de notre
indépendance?» est une question que les dirigeants algériens n’ont
guère envie de voir posée par leur peuple et, surtout, à laquelle ils
n’ont guère envie de répondre…
Mars 2012
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