Sénégal : la victoire de Macky Sall est une délivrance
Par Mody Niang Observateur de la vie politique sénégalaise
Il
va finir par partir. A la tête du Sénégal depuis douze ans, Abdoulaye
Wade s'apprête à quitter le pouvoir, battu par Macky Sall dimanche au
second tour de l'élection présidentielle. Le Sénégalais Mody Niang voit
dans cette alternance politique un signe que la démocratie est en train
de s'enraciner durablement dans le pays.
Quelques
rares dysfonctionnements exceptés, le scrutin du 25 mars 2012 s’est
déroulé dans le calme et la transparence. Les risques de troubles qui
étaient agités ça et là la veille ne se sont pas vérifiés, et la
population s'est rendue tôt aux bureaux de vote pour accomplir son
devoir électoral.
Les premiers résultats venus de quelques pays d’Europe, le décalage
horaire aidant, étaient très largement favorables au candidat Macky
Sall. Ceux sortis des urnes au Sénégal ont confirmé au fur et à mesure
qu’ils tombaient cette avance confortable. Aux environs de 21 heures,
les carottes étaient presque cuites et la victoire de M. Sall ne
faisait plus l’ombre d‘aucun doute. Ses partisans envahissaient déjà
les rues et criaient victoire. Moins d’une heure après, le vieux
candidat Abdoulaye Wade, contraint et forcé, appela le vainqueur pour
le féliciter.
«Comme l’écrasante majorité de la population sénégalaise, je me
suis réveillé le 26 mars avec fierté et soulagement. J’ai perçu la
victoire de Macky Sall, qui est en réalité davantage celle du peuple et
de la démocratie, comme une délivrance. Une délivrance de la longue
gouvernance des Wade et de leur clan qui nous ont fait si mal.
Le scrutin du 25 mars, exemplaire, a été salué par l’Afrique et par
toute la communauté internationale. Cette seconde alternance, la
première étant intervenue le 19 mars 2000, est le signe que la
démocratie est en train de s’enraciner durablement dans notre pays. La
maturité politique et citoyenne du peuple sénégalais ne fait plus
l’ombre d’aucun doute. Nous en avons déjà eu un avant-goût avec
l’ampleur de la manifestation du 23 juin 2011, devant l’Assemblée
nationale. Ce jour-là, de façon spontanée et dans toutes ses
composantes, le peuple sénégalais s’était vigoureusement et massivement
opposé au vote d’une loi scélérate, qui devait permettre à un candidat
arrivé premier à l’élection présidentielle avec seulement 25% des
suffrages exprimés, de se faire élire dès le premier tour.
La chute d'un "pouvoiriste"
Le scrutin du 25 mars a également sonné le glas des "ndigël" (consignes
de vote données par les chefs religieux). Ils ne sont plus de mode et
la population s’en est affranchie et ne vote plus que conformément à
leur conscience et à leur intérêt. Le mythe de l’argent comme moyen
infaillible d’achat des consciences s’est aussi effondré.
Le vieux candidat et son clan ont distribué des milliards de francs CFA
(je n’exagère rien) et des véhicules rutilants sur toute l’étendue du
territoire national. Sans compter des centaines de passeports
diplomatiques offerts gracieusement aux prétendus porteurs de voix par
le ministre des Affaires étrangères. Malgré toutes ces largesses, le
vieux candidat et son clan ont mordu la poussière dans les quatorze
régions que compte le pays.
L’alternance du 19 mars 2000 fut un événement historique. Celle
intervenue le 25 mars 2012 l’est encore plus. Le président Wade est
présenté comme un animal politique, un "pouvoiriste" qui n’est
préoccupé que par ses objectifs politiciens et électoralistes. Il use
et abuse de toutes les stratégies pour arriver à leur réalisation :
ruse, manipulation, défiguration de la constitution par des
modifications fantaisistes, utilisation sans état d’âme des moyens de
l’État, de la fibre ethnique, confrérique,...
Un pas de géant pour le Sénégal
Certains compatriotes avaient fini de croire que ce vieux baobab était
indéracinable. Par sa détermination, sa mobilisation, sa vigilance, le
peuple a administré la preuve qu’il était le seul détenteur du pouvoir,
et qu’il n’était plus prêt à se laisser gouverner comme il l’a été
pendant douze longues années par les Wade et leur clan. Macky Sall est
donc averti. En cela, le 25 mars a été un pas de géant, un moment
majeur de la démocratie et de la conscience citoyenne.
La victoire de Macky Sall a certainement donné lieu à des
manifestations de joie, de fierté, de sentiment du devoir accompli. Les
observateurs ont retenu, cependant, qu’il n’ya pas eu les mêmes
épanchements, le même enthousiasme, les mêmes délires que le 19 mars
2000. Nos compatriotes ont fait montre de retenue dans l’expression de
leur joie et de leur optimisme. La grosse déception née de la gestion
de la première alternance est certainement passée par là. Chat échaudé
ne craint-il pas l’eau froide ?
Le président Macky Sall ne bénéficiera donc sûrement pas du long état
de grâce dont a joui son prédécesseur après sa première élection. Il
est attendu sur ses premiers actes de gouvernance et, principalement,
sur le respect de ses engagements. Les Sénégalaises et les Sénégalais
surveilleront étroitement ce qu’il fera de leurs suffrages.
Mars 2012
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