Pourquoi il faut sauver le Mali
Par Marcus Boni Teiga
La
Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) n’a pas
le choix. Elle va devoir intervenir militairement pour rétablir
l’intégrité territoriale du Mali.
Le
coup d’Etat du 22 mars contre le président Amadou Toumani Touré a mis
la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) devant
le fait accompli d’une crise majeure. Né de la rébellion touarègue du
Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), il a créé une
confusion sans précédent au Mali. Au-delà du Mali, cette crise concerne
tous les pays d’Afrique de l’Ouest de par ses implications. Aussi, les
chefs d’Etat de la CEDEAO ont-ils soumis la junte militaire du
capitaine Amadou Sanogo, qui avait pris le pouvoir, à un embargo
diplomatique, économique et financier, afin de la contraindre à
restaurer la légalité constitutionnelle. Dans la foulée, elle a aussi
menacé d’une intervention militaire les rebelles du MNLA dont les
alliances avec l’autre groupe touareg Ansar Dine d’Iyag Ag Ghaly à
tendance intégriste ainsi que le Mouvement pour l’unicité et le jihad
en Afrique de l’Ouest (MUJAO) —groupe dissident d’Al-Qaida au Maghreb
Islamique (AQMI)— restent ambiguës. La junte militaire qui a justifié
son coup d’Etat par sa volonté de défendre et de restaurer l’intégrité
territoriale n’a fait, en réalité, que précipiter et aggraver sa remise
en cause. Et la division qu’elle a occasionnée au sein de l’armée
mettra sans doute longtemps à se dissiper.
La crise malienne est loin d’être terminée
Après quelques jours d’atermoiements, le capitaine Amadou Sanogo et ses
hommes ont fini par se résoudre à restaurer les institutions de la
République d’avant le coup d’Etat. Sous la pression conjuguée de la
CEDEAO, de la communauté internationale et des forces vives du Mali.
Pour autant, la crise malienne est loin d’être terminée. Le coup d’Etat
ayant contribué à diviser et affaiblir davantage une armée déjà mal en
point face aux rebelles touaregs et différents groupes intégristes,
désormais en alliance avec une milice de trafiquants arabes de
Tombouctou. Toute une mosaïque d’organisations criminelles qui a mis le
nord du Mali en coupe réglée devant l’impuissance de l’armée.
Pour le MNLA qui veut se départir des groupes intégristes en question,
l’indépendance de l’Azawad est son unique objectif. En
l’autoproclamant, fort de son occupation du terrain, il a promis à mots
couverts en échange d’éradiquer les groupuscules d’AQMI dans le Sahel.
Le porte-parole du MNLA, Mossa Ag Attaher, a ainsi appelé les Touaregs
à ne pas se laisser voler leur victoire en ces termes: «Nous
avons déclaré ce matin (ndlr: le vendredi 6 avril) l’indépendance
irrévocable de l’Azawad. Certains nous demandent, à nous et pas à
d’autres, de respecter le principe de l’intangibilité des frontières
tracées durant la colonisation au mépris des réalités des peuples.»
Soit, les frontières héritées de la colonisation sont taillées au
mépris des réalités des peuples. Faut-il pour autant que tous les
peuples qui ne se reconnaissent pas les mêmes réalités avec d’autres
peuples des pays créés ipso facto par les tracés des frontières
coloniales les remettent en cause? A cette question, la réponse ne peut
être que négative. En tout cas, l’indépendance unilatérale de l’Azawad
a été unanimement rejetée par la communauté internationale qui soutient
la position de la Cédéao quant à l’intégrité territoriale du Mali.
Devant cet imbroglio sociopolitique et militaire, les chefs
d’Etat-major des pays de la Cédéao, réunis le 5 avril à Abidjan en Côte
d’Ivoire, ont requis un mandat pour activer leur force d’attente.
Laquelle, contrairement à l’urgence, ne pouvait pas être autrement
opérationnelle dans l’immédiat.
Hormis le manque d’anticipation et d’organisation dans la lutte contre
le terrorisme en Afrique de l’Ouest, la situation au Mali révèle
l’impréparation de la Cédéao à faire face à des crises majeures dans
son espace. La lourdeur institutionnelle et l’indisponibilité de moyens
aidant. Car une force permanente composée de soldats de tous les pays
membres sous un commandement militaire unique basée dans un pays tiers,
aurait pu se déployer de façon plus efficace au Mali et dans des délais
raisonnables. Pour l’heure, la force d’attente de la Cédéao attend non
seulement son mandat, mais également les hommes et les moyens. De quoi
donner suffisamment à réfléchir aux citoyens de la sous-région et
surtout à leurs dirigeants.
La France prête à fournir des moyens logistiques
Pour sa part, la France a déjà fait savoir qu’elle est prête à fournir
des moyens logistiques à la force de la Cédéao. Son ministre des
Affaires étrangères, Alain Juppé, a déclaré: «La France est engagée
parce que le Mali est un pays ami, parce que nous avons dit que nous
étions attachés à son intégrité territoriale, parce que nous l’aidons
de manière considérable avec notre coopération bilatérale. Mais la
lutte contre le terrorisme au Sahel, c’est d’abord la responsabilité
des pays de la région.»
En un mot, la France ne peut faire mieux, à juste titre d’ailleurs. En
attendant donc l’entrée en action de la force de la Cédéao, la
détérioration des conditions de vie, quant à elle, continue à peser
chaque jour un peu plus sur la vie des Maliens. Dans un premier temps,
l’intervention militaire servira sans doute à rassurer et à consolider
les institutions républicaines du Mali. A charge à ces dernières
ensuite de pouvoir réorganiser et motiver l’armée en déliquescence,
afin qu’elle puisse redorer son blason en allant à la reconquête du
grand nord abandonné, dans un ultime sursaut patriotique. Sauf si les
négociations de la médiation du président burkinabè, Blaise Compaoré,
permettaient avant cette échéance aux frères ennemis touaregs du MNLA
de revenir à de meilleurs sentiments. Car la force de la Cédéao ne
pourra en aucun cas se substituer à l’armée malienne. Même dans le plus
optimiste des cas du règlement de la question du nord, il restera
l’équation intégriste d’AQMI et son aile dissidente du MUJAO. Des
sources concordantes indiquent que dans ce dernier groupe se trouvent
des combattants de toute l’Afrique de l’ouest et du Soudan. D’où la
nécessité d’anticiper et de prévenir un jour le retour de ces
djihadistes dans leurs pays d’origine où des réseaux dormants existent
bel et bien déjà. Sauf à faire appel à une coopération régionale et
interrégionale, voire internationale, la Cédéao n’a ni les moyens
logistiques ni financiers pour venir à bout de cette hydre de Lerne
qu’est AQMI et ses démembrements. La rapidité et la facilité avec
lesquelles l’armée malienne s’est effondrée face aux groupes armés du
Sahel met en exergue ce qui pourrait arriver à n’importe quelle armée
d’Afrique de l’Ouest dans les mêmes cas de figures.
Si des groupes de terroristes deviennent plus puissants que des armées
nationales, il y a de quoi commencer à s’inquiéter vivement quant la
stabilité sociopolitique des Etats d’Afrique de l’Ouest. L’immense
majorité des jeunes sans emploi et confinés dans la précarité
permanente dans ces pays, peut en effet constituer un vivier potentiel
pour les recruteurs de la multinationale d’AQMI. Dans le Sahel, cette
fameuse multinationale offre des emplois sans distinction de race et de
sexe, à la seule condition d’être prêt pour le djihad. Et ses offres
sont illimitées, puisqu’elle ne connaît pas la crise économique. Pour
une lutte efficace de la force de la Cédéao contre les groupes
terroristes au Sahel, il faut compter avec le soutien et la coopération
de l’Algérie. Elle dispose d’une puissante armée, de la logistique, de
l’expertise du combat au Sahel et des renseignements en plus. Mais tout
dépendra des intérêts géopolitiques qui sont les siens. En principe,
elle ne devrait pas ménager son expertise, quand on sait que c’est elle
qui est à l’origine de ce nouveau phénomène au Sahel. En confisquant la
victoire aux élections locales du Front islamique du salut (FIS)
d’Abassi Madani et autres, au début des années 1990, elle a
involontairement créé les germes d’une pandémie islamiste aux souches
diverses et de plus en plus résistantes. Cette responsabilité
historique commande donc qu’elle coopère dans la lutte contre le
terrorisme dans le Sahel.
Avril 2012
Abonnez-vous à Slate Afrique
Retour aux Conflits
Retour
au Sommaire