Stupeur à Tunis après le meurtre de Chokri Belaïd
Par Le Monde.fr avec AFP et Reuters
Jamais
une foule aussi nombreuse ne s'était rassemblée pour des obsèques en
Tunisie depuis celles, en 2000, d'Habib Bourguiba, le "père" de
l'indépendance et premier président du pays. Scandant des slogans
hostiles aux islamistes, au moins 50 000 personnes – 40 000 selon la
police – ont gagné les rues de la capitale, vendredi 8 février, pour
participer aux funérailles de Chokri Belaïd, dont l'assassinat a
accentué la crise profonde que traverse le pays, berceau du "printemps
arabe".
Le
corps de l'opposant tunisien a été mis en terre vers 16 heures à Tunis.
Au moment de l'inhumation, des milliers de voix ont crié "Allah Akbar"
("Dieu est le plus grand") avant d'entamer l'hymne national et de
réciter la fatiha, premier verset du Coran.
Hamma Hammami, dirigeant du Front populaire, la coalition de partis de
gauche et d'extrême gauche à laquelle appartenait l'opposant, a
prononcé une oraison funèbre, avant que la foule n'observe une minute
de silence solennelle.
La foule s'était d'abord massée vendredi matin devant la maison de la
culture de Djebel Jelloud, dans la banlieue sud de la capitale, où
reposait le corps de cet avocat, figure médiatique de l'opposition de
gauche laïque, tué de quatre balles mercredi devant chez lui. "Le
peuple veut une nouvelle révolution", scandaient les participants,
parmi d'autres slogans hostiles au parti islamiste Ennahda au pouvoir.
Ils ont aussi entonné l'hymne national.
Recouvert du drapeau tunisien, le cercueil de
l'avocat, baigné par une véritable marée humaine, a ensuite été placé
sur une camionnette de l'armée, pour gagner le cimetière du Djallez.
C'est
là que des heurts ont éclaté, pendant l'inhumation, entre des
manifestants et des forces de l'ordre. La police a tiré des grenades
lacrymogènes et des coups de feu en l'air pour disperser des jeunes qui
saccageaient des voitures dans les rues alentour, provoquant un bref
mouvement de panique comme en ont témoigné sur Twitter des journalistes
sur place.
La police a aussi pourchassé à coups de
matraque et de lacrymogènes des jeunes manifestants scandant "dégage,
dégage" sur l'avenue Habib-Bourguiba. Sur cette avenue – où siège
notamment le ministère de l'intérieur – épicentre des heurts entre
policiers et manifestants qui ont éclaté après la mort de M. Belaïd,
des camions de l'armée ont été déployés pour renforcer un dispositif
policier, déjà très important. Le ministère de l'intérieur a fait état
de 132 arrestations à Tunis et jugé que le calme régnait "grosso modo"
en Tunisie.
TOUS LES VOLS ANNULÉS
Le pays tournait au ralenti après l'appel à la grève générale par des
partis et la centrale syndicale historique, l'Union générale tunisienne
du travail (UGTT, 500 000 membres), la première de cette ampleur depuis
2011. Tous les vols depuis et vers la Tunisie ont été annulés à
l'aéroport de Tunis-Carthage, le principal du pays, selon des sources
aéroportuaires. En ville, les rues étaient largement vides et seuls de
rares bus étaient visibles. Le tramway de Tunis semblait fonctionner,
mais les rames étaient désertes.
Les soldats ont été également déployés dans les villes de Zarzis (sud),
autre point chaud près de la frontière libyenne, à Gafsa (centre), et à
Sidi Bouzid, berceau de la révolution de 2011 qui a renversé le régime
de Zine El Abidine Ben Ali. Des centaines de personnes y défilaient
également en scandant "Assassins" et "Chokri, repose-toi, on continuera
ton combat".
CRISE POLITIQUE AGGRAVÉE
Sans précédent dans les annales contemporaines, l'assassinat de Chokri
Belaïd, mercredi, a déclenché deux jours de violences opposant
policiers et manifestants à travers le pays lors desquel un policier a
été tué. "Mon fils est un homme qui a vécu avec courage et dans la
dignité. Il n'a jamais eu peur, il est parti en martyr pour son pays",
répétait Salah Belaïd vendredi matin aux visiteurs venus s'incliner
devant la dépouille couverte de fleurs dans le domicile familial orné
du drapeau national. Sa veuve, Besma, n'a cessé de répéter ces trois
derniers jours que la mort de son mari avait été commanditée par les
islamistes au pouvoir du parti Ennahda.
Depuis mercredi, les chaînes de télévision multiplient les chansons
engagées et talk-shows enflammés donnant la parole à des politiques et
de simples citoyens qui laissent libre cours à leur tristesse, leur
colère et leur peur que le pays ne bascule dans l'instabilité.
Signe de la profondeur de la crise politique, le premier ministre
islamiste, Hamadi Jebali, a appelé dès mercredi soir à la création d'un
gouvernement restreint de technocrates, ce que son propre parti,
Ennahda, a rejeté fermement. La présidence a indiqué jeudi ne pas avoir
"reçu de démission du premier ministre, ni les détails d'un cabinet
restreint de technocrates" et M. Jebali n'est pas apparu en public
depuis trente-six heures.
L'ambassade de France a appelé ses quelque 25 000 ressortissants à la
prudence et annoncé la fermeture des écoles françaises (plus de 7 000
élèves) vendredi et samedi. Le ministère de l'enseignement supérieur a
annoncé la fermeture des universités jusqu'à lundi.
Un policier dans le coma à Gafsa
Un policier était dans le coma vendredi, après avoir été tabassé dans
la nuit par des manifestants dans la ville de Gafsa, dans l'instable
bassin minier tunisien, a appris l'AFP auprès de sources médicales et
de la police. Le policier a été violemment sorti de sa voiture et
tabassé par une foule de jeunes. Les manifestants, qui dénonçaient le
meurtre de l'opposant Chokri Belaïd, ont aussi incendié un poste de
police de la ville après que les forces de l'ordre se sont retirées à
l'issue d'affrontements. – (avec AFP)
8 Février
2013
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