Egypte : le jour où Mohamed Morsi a été destitué
Par Le Monde.fr
Klaxons,
feux d'artifice, tambours, pétards, sifflets et cris de joie. La bande
son de la deuxième révolution égyptienne, c'est tout ça à la fois. Une
cacophonie hilare, une sarabande jubilatoire, qui ont commencé dès les
premiers mots, à la télévision, du général Abdel Fatah Al-Sissi, le
ministre de la défense. Quelques minutes plus tard, il mettait un point
final à la présidence Morsi.
Mais
Esra Ahmed, une comptable de 35 ans, n'a même pas attendu la fin de son
discours pour filer sur le pont Kasr El-Nil, en direction de la place
Tahrir, une main dans celle de son mari, l'autre dans celle de sa
meilleure amie. "C'est un nouveau début, un recommencement, on va
corriger tout ce qui a été raté après la chute de Moubarak, a-t-elle
confié à l'envoyé spécial du Monde, Benjamin Barthe, en zig-zagant
entre les roulottes de patates douce et les vendeurs de fanions
rouge-blanc-noir, aux couleurs de l'Egypte.
Le peuple a repris le pouvoir. On va reconstruire le pays tous ensemble
et on fera une place aux Frères musulmans, qui sont une composante de
la société [...] Ce que l'on a fait en trois jours, c'est un modèle
pour le monde arabe et un modèle aussi pour l'occident. La BBC n'a
-t-elle pas dit qu'il s'agissait des plus grosses manifestations de
l'histoire de l'humanité ?"
Depuis
dimanche, ils étaient des centaines de milliers à demander le départ du
président Mohamed Morsi, un an après son arrivée au pouvoir. La journée
de mercredi s'annonçait sous tension : l'ultimatum de 48 heures
qu'avait fixé l'armée à ce dernier pour "satisfaire les revendications
du peuple", sous peine de se voir imposer une "feuille de route"
expirait à 16 h 30.
Morsi destitué, la Constitution suspendue
A 19 heures, l'armée égyptienne a signifié au président islamiste qu'il
n'était plus président. Vers 21 heures, dans une allocution télévisée,
le chef d'état major Abdel Fattah Al-Sissi, béret vissé sur la tête,
entouré des principaux chefs religieux du pays et du représentant de
l'opposition Mohammed El-Baradei, annonçait que la Constitution était
suspendue et que M. Morsi était remplacé par le président du
Conseil constitutionnel, Adly Mansour. Ce dernier prêtera serment jeudi.
La revanche du chef d'état-major Abdel Fattah Al-Sissi
L'armée annonçait peu après la tenue d'une élection présidentielle
anticipée et la mise à l'écart de fait de Mohamed Morsi, une annonce
accueillie par une explosion de joie par ses opposants qui
manifestaient en masse à travers le pays. "Un comité chargé
d'examiner les propositions d'amendements constitutionnels sera formé",
a précisé le général. Un gouvernement regroupant "toutes les forces
nationales" et "doté des pleins pouvoirs" sera chargé de "gérer la
période actuelle". Ce plan a été discuté durant la journée entre
l'armée, les responsables de l'opposition et les chefs religieux.
Morsi appelle à résister au "coup d'Etat" : "Je suis le président élu d'Egypte"
Après avoir rejeté l'ultimatum mardi et mis en avant la "légitimité"
que lui confèrait son élection démocratique, M. Morsi a jusqu'au
dernier moment tenté de régler la crise mercredi en proposant "un
gouvernement de coalition et de consensus afin d'organiser des
législatives à venir". Mais comme depuis de la crise, le président
avait encore un temps de retard sur les événements.
Réagissant à son éviction, Mohamed Morsi a appellé les Egyptiens à
résister "pacifiquement" à ce qu'il a qualifié de "coup d'Etat", a
déclaré un de ses proches collaborateurs sous couvert de l'anonymat.
"Ce qu'ils ont fait est illégal, ils n'ont pas autorité pour le faire",
a-t-il ajouté.
Dans un enregistrement vidéo diffusé en fin de soirée, il rappelait :
"Je suis le président élu d'Egypte". Il a également "demandé au peuple
de défendre [sa] légitimité" faisant planer le risque de la poursuite
du bras de fer.
Interdiction de quitter le pays
En fin de journée mercredi, le président Mohamed Morsi et plusieurs
dirigeants des Frères musulmans s'étaient vu signifier une interdiction
de quitter l'Egypte, l'armée justifiant cette décision dans le cadre
d'une enquête sur une évasion de prison en 2011, ont indiqué des
sources de sécurité.
"Tous les suspects impliqués dans l'affaire des évasions de la prison
de Wadi Natroun en 2011, dont le président Mohamed Morsi et plusieurs
dirigeants des Frères musulmans, sont sous le coup d'une interdiction
de quitter le territoire conformément à une décision de hauts
responsables de la sécurité", a déclaré une source au sein des services
de sécurité.
A la fin de janvier 2011, en plein soulèvement contre Hosni Moubarak,
les gardiens des principales prisons du pays avaient pris la fuite en
raison de mutineries, laissant les prisonniers s'échapper. C'est
notamment comme cela que Khaïrat Al-Chater, le cerveau de la confrérie,
qui dirigeait l'organisation de sa cellule, avait recouvré la liberté
alors qu'il purgeait une peine de sept ans de réclusion, prononcée en
2008 par un tribunal militaire, pour blanchiment d'argent et
financement des Frères musulmans, alors interdits.
L'armée se déploie
Des barrières ont été dressées et des fils de fer barbelés installés
autour de la caserne où est censé se trouver le président Mohamed Morsi
au Caire. Des blindés et des véhicules de transport de troupes ont par
ailleurs été déployés autour du site où se tenait mercredi soir le
principal rassemblement des partisans du chef de l'Etat pour les
empêcher de marcher sur le palais présidentiel. Dans un communiqué, les
militaires affirmaient ne pas avoir l'intention de s'en prendre aux
manifestants et expliquent que leur but est seulement de sécuriser la
zone. "L'armée égyptienne appartient à tous les Egyptiens", indiquait
le communiqué.
L'armée, colonne vertébrale de la nation égyptienne
Un journaliste de Reuters a vu des soldats prendre position aux abords
de la mosquée Babaa Adaoueya où plusieurs dizaines de milliers de
militants des Frères musulmans se sont rassemblés pour demander le
respect de l'ordre constitutionnel. La soirée se termine par des
explosions de joie Place Tahrir. Morsi est destitué. De nouvelles
élections sont annoncées après une période de transition.
3 Juillet 2013
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