Tunisie : manifestations et accusations après l'assassinat de l'opposant Mohamed Brahmi
Par Le Monde.fr avec AFP et Reuters
Mohamed
Brahmi, député de gauche et opposant, a été assassiné par balle, jeudi
25 juillet, devant son domicile dans le secteur d'Ariana à Tunis.
D'après des témoins, M. Brahmi a été tué par deux hommes à moto
devant chez lui alors qu'il descendait de sa voiture.
La
chaîne de télévision Watanya a précisé qu'il avait reçu onze balles,
tirées à bout portant. Des voisins évoquent plutôt 5 coups de feu. "Son
corps a été criblé de balles devant son épouse et ses enfants", a
déclaré, en pleurs, Mohsen Nabti, membre du bureau politique du Courant
populaire, petit parti de gauche dont Brahmi était le fondateur.
La famille de Mohamed Brahmia a accusé le parti islamiste au pouvoir
Ennahda d'être responsable. "Notre famille avait le sentiment que
Mohamed allait connaître le même sort que Chokri Belaïd", a lancé
Chhiba Brahmi, la sœur du défunt.
Dans un entretien au Monde, le président tunisien Moncef Marouzki, qui
doit s'adresser à la nation dans la soirée, a jugé que ce n'était "pas
un hasard si cet assassinat a eu lieu aujourd'hui". Il a dénoncé "la
même opération de déstabilisation" que lors du meurtre de Chokri
Belaïd, autre opposant tué par balle devant son domicile en février.
"Il y a un lien politique entre ces deux affaires – déstabiliser la
Tunisie, l'empêcher de réussir sa transition – et la volonté de semer
la zizanie entre les forces politiques".
COLÈRE CONTRE ENNAHDA
Après l'annonce de sa mort, un cortège d'environ 500 personnes s'est
spontanément constitué devant le siège de l'Union générale tunisienne
du travail (UGTT) avant de rejoindre l'avenue Habib-Bourguiba, où se
trouve le ministère de l'intérieur. Parmi eux, la veuve de Chokri
Belaïd. Devant le ministère, la foule a scandé "Ministère de
l'intérieur, ministère terroriste", selon le site d'information Nawaat.
Selon
Nawaat plusieurs personnalités étaient présentes : Mohamed Jmour, du
parti Watad, Mehdhi Ben Gharbia, de la coalition démocratique, le
député Brahim Kassas, l'avocate Leila Ben Debba, l'avocate Saida
Garrach et la syndicaliste Thouraya Krichen.
En fin de journée, la police a tiré des gaz lacrymogènes vendredi pour
les disperser. Elle est intervenue lorsque les manifestants ont bloqué
l'avenue centrale Habib Bourguiba pour y observer un sit-in nocturne
devant le ministère en criant "A Bas le parti des frères, à bas les
tortionnaires du peuple", en référence aux liens étroits entre le parti
islamiste Ennahda au pouvoir et la confrérie des frères musulmans en
Egypte.
Le corps de Brahmi a été sorti de l'hôpital, juché sur les épaules
de manifestants et suivi par un long cortège jusqu'à la cité
El-Ghazala, le quartier de la banlieue nord de Tunis où il vivait, au
10 rue de la réconciliation, selon Nawaat.
Plusieurs partis d'opposition se sont réunis à 17 heures au siège du
Front populaire, qui a appelé à la désobéissance civile, à la chute du
gouvernement, à la dissolution de l'Assemblée constituante, à la
création d'un gouvernement de salut public et à la grève générale le
jour de l'enterrement de M. Brahmi. Le syndicat UGTT a appelé à la
grève générale pour la journée de vendredi 26 juillet. Suite à cet
appel, la compagnie aérienne tunisienne et sa filiale Tunisair express
ont annoncé l'annulation de tous les vols programmés vendredi depuis et
vers la Tunisie.
Des manifestations ont enquite éclaté à Sidi Bouzid, ville natale de
Brahmi, où des centaines de personnes ont laissé éclaté leur colère,
avant de mettre le feu au siège local du parti islamiste Ennahda, selon
un habitant cité par Reuters.
LES ISLAMISTES DÉNONCENT "UN MEURTRE CONTRE L'ETAT TUNISIEN"
Sous la dictature, Mohamed Brahmi militait dans le Mouvement des
étudiants arabes progressistes et unionistes. En 2005, il crée, dans la
clandestinité, le Mouvement unioniste nassériste. C'est après la chute
du président Ben Ali qu'il crée le Mouvement du peuple, dont il a été
écarté le 7 juillet en raison de son adhésion au Front populaire. Le
député avait récemment créé le Courant populaire (Attayar Echaab), dont
il était le coordinateur général.
Elu à l'Assemblée nationale constituante (ANC), Mohamed Brahmi, âgé de
58 ans, n'avait pas ménagé ses critiques envers le parti islamiste
Ennahda au pouvoir. Le président de l'ANC, Mustapha Ben Djaafar, a
déclaré que vendredi serait "un jour de deuil national".
Le président de la République tunisienne a condamné cet assassinat,
appelant les Tunisiens à "ne pas tomber dans le piège de la violence".
Il souligne le fait que ce "crime [a été] réalisé le jour de
l'anniversaire de la République", cinquante-six ans après la
proclamation de la République tunisienne, le 25 juillet 1957.
François
Hollande a condamné l'assassinat dans un communiqué "avec la plus
grande fermeté", demandant que "la lumière soit faite au plus vite sur
ce meurtre". Rached Ghannouchi, leader d'Ennahda appelé à la démission
par les manifestants, a demandé publiquement "la mise en place d'une
coalition nationale contre la violence".
"C'est un meurtre contre l'Etat tunisien et la démocratie. On cherche à
travers ça à mettre la Tunisie dans l'instabilité et pousser les
Tunisiens à s'accuser les uns et les autres. La révolution tunisienne
était pacifique, on cherche à la rendre sanguinaire alors que nous
sommes en train de finir la Constitution et de mettre en place les
institutions qui vont mener le pays vers des élections libres."
26 Juillet 2013
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