Les Femmes dans les Conflits armés
Par Laure Borgomano



La mise en œuvre de la Résolution 1325 du Conseil de sécurité a-t-elle fait progresser la sécurité internationale et/ou le rôle des femmes dans la société ? Lorsqu’il s’agit de penser la relation entre le droit et la société, se pose la question de l’œuf et de la poule : le droit est-il la résultante d’une évolution de la société ou bien est-il à l’origine du changement? Une résolution demandant le respect des droits fondamentaux des femmes et la promotion de leur rôle dans la gestion des conflits indique-t-elle un changement de société ou est-elle un moyen de provoquer ce dernier ? Sa mise en œuvre a-t-elle changé les choses ?

Assurer la paix internationale par une meilleure prise en compte de la position des femmes dans les conflits  
    
En 2000, la résolution 1325 du Conseil de sécurité de l’ONU sur « Les femmes, la paix et la sécurité », entreprend de renforcer la protection des femmes dans les conflits armés tout en promouvant leur rôle dans la prévention et la sortie de crises. Elle repose sur deux idées: les femmes sont les premières victimes des conflits ; les femmes peuvent être des acteurs importants dans le règlement des conflits. L’idée de base est qu’il y a là deux conditions fondamentales pour assurer la paix internationale.



Il faut donc protéger les femmes des violences et exactions : par le droit, par l’éducation et la formation (des forces armées mais aussi de la société en général), par la mise en œuvre de sanctions et de possibilités de recours. Il faut aussi promouvoir la participation des femmes dans les processus de paix, sur un pied d’égalité avec les hommes. La résolution demande donc aux États membres de mieux représenter les femmes à tous les niveaux de la prise de décision dans le règlement des conflits –  des femmes civiles comme représentantes du Secrétaire Général  ou des  femmes militaires dans les opérations de maintien de la paix (OMP) ; de prendre des mesures au niveau national pour protéger effectivement les femmes dans les conflits ; de poursuivre en justice les criminels ; d’introduire la question de genre (relations hommes/femmes) dans la formation et l’entraînement comme dans la préparation au déploiement des troupes en opérations. Les États sont invités à définir des Plans d’action nationaux[1].

D’autres résolutions seront adoptées entre 2000 et 2010 pour renforcer la 1325, notamment la résolution 1820 de 2008 stipulant dans son paragraphe 4 que «  le viol et autres formes de violence peuvent constituer un crime de guerre contre l’humanité ou un élément constitutif du crime de génocide »[2].

Une résolution duale

Les mouvements féministes et les ONG luttant pour la protection des droits humains sont à l’origine du caractère dual de la résolution 1325.

Que les femmes aient un rôle à jouer dans la résolution des conflits, c’est à la fois un acte de foi,  une idée ancienne et l’expression d’une certaine réalité. Pensons à la comédie d’Aristophane « l’Assemblée des Femmes », comédie dans laquelle les femmes critiquent vertement la gestion de la guerre du Péloponnèse par des hommes incapables de prendre soin du bien commun.  Ou encore plus récemment  au  film de la réalisatrice  libanaise  Nadine Labaki : « Et maintenant on va où ? » dans lequel les femmes d’un village multiconfessionnel inventent mille ruses pour empêcher les luttes fratricides que les hommes sont prêts à déclencher. Derrière cette idée il y a la conviction que le rôle social traditionnel des femmes – soin de la famille et des enfants, souci du bien être domestique – les rend aptes à chercher à sortir de la crise, là où les hommes cherchent avant tout leur intérêt économique, la puissance et le prestige. Mais c’est aussi une réalité, encore fragile, surtout depuis une quinzaine d’années où on voit des groupes de femmes s’investir dans la négociation et la sortie de crise, notamment en Afrique.

Que les femmes soient les principales victimes de conflits, c’est par contre une réalité incontestable. Depuis la seconde moitié du XXème siècle, les conflits sont  essentiellement des conflits intra-étatiques, faisant des civils les principales victimes.  Dans ce contexte, les femmes sont particulièrement vulnérables, notamment parce que le viol est utilisé comme arme de guerre par les parties en conflit. En outre, en dépit des lois et règlements qui régentent l’attitude des troupes des OMP, on sait que de nombreuses violations des droits humains et notamment des violences sexuelles sont exercées par les troupes de maintien de la paix elles-mêmes, comme en témoignent plusieurs rapports de Human Rights Watch, d’Amnesty International, mais aussi de l’ONU elle-même

C’est donc dans ce contexte, où se croisent des formes de conflits particulièrement dévastateurs pour les femmes et des revendications féministes visant à promouvoir le rôle des femmes dans l’établissement de la paix, que naît la résolution 1325.

Une mise en œuvre aux effets limités

Dix ans plus tard, le rapport du département des OMP de l ‘ONU publié en 2010 dresse un tableau plutôt pessimiste du suivi de la résolution. Très peu de progrès ont été accomplis dans la participation des femmes aux processus de paix, où elles représentent moins de 10% des acteurs ; la féminisation des OMP stagne  et on est loin des 25% demandés par le Secrétaire Général de l’ONU ; les violences sexuelles et les exactions contre les femmes continuent, quand elles ne redoublent pas dans certains conflits, notamment en RDC et au sein même des forces de maintien de la paix. En revanche, des progrès plus significatifs ont été obtenus en matière de progression du droit et de la réforme de la justice dans plusieurs pays, ainsi que dans la possibilité pour les femmes de participer à la vie politique, notamment lorsque des élections sont organisées après un conflit, comme candidates ou simples électrices.

Progrès du Droit, stagnation de la société

La volonté des féministes de promouvoir la place des femmes dans tous les secteurs de la société, y compris ceux relatifs aux conflits,  rencontre un succès très variable selon les pays.  Ainsi le taux de féminisation des armées  est de 2% en Pologne, 4% en Italie, 10% au Royaume Uni, alors que la France et les États-Unis  flirtent avec des taux de 15%. Paradoxalement, les États les plus en pointe pour promouvoir l’égalité hommes/femmes ne sont pas ceux où ce taux est le mieux représenté : ainsi la Norvège, ardent défenseur de la 1325 y compris pour son aspect de promotion de l’égalité entre les sexes, n’affiche qu’un taux de 8% de femmes dans ses armées. En fait, la féminisation dépend aussi de la place de l’armée sur le marché du travail. Par ailleurs, le faible attrait de la fonction militaire chez les femmes est le résultat de la persistance de la culture machiste militaire et de l’incapacité de l’institution de défense  à adapter son mode de fonctionnement à la fonction sociale traditionnelle des femmes, laquelle de son côté ne change pas vraiment. 

Plus inquiétant encore, la sociologue Jules (sic) Falquet note que la mondialisation et le développement d’une économie de guerre (guerre civile, OMP, lutte contre le terrorisme) entretiennent de fait une division du travail entre « hommes en armes » et « femmes de service », ces dernières étant tout autant les prostituées et femmes violées que les femmes de ménage servant les armées en campagne[3]…

Pour protéger les populations vulnérables, notamment les femmes, comme pour faire progresser les droits des femmes et leurs revendications à un meilleur équilibre hommes/femmes, le Droit reste donc un instrument essentiel. Mais il ne peut pas avoir d’effet durable sans un changement plus global de société, lequel est du ressort concomitant de la société civile elle-même, de la politique de chaque État et du Droit.
 

[1] Voir le Plan national de la Belgique sur le site du Ministère des affaires étrangères :
http://diplomatie.belgium.be/fr/binaries/plan_action_belge_1325_tcm313-66266.pdf

[2] Voir aussi la résolution 1888 (2009) demandant aux parties à un conflit de prendre des mesures concrètes et efficaces pour protéger les civils, notamment les femmes ;  la 1889 (2009) insistant sur la nécessité d’adopter une stratégie incluant la question du genre dans les OMP ; la 1960 ( 2010) proposant de créer des postes de conseiller pour les questions de genre (« gender adviser ») dans les armées et les OMP.

[3] Jules Falquet, maîtresse de conférence en sociologie à l’Université Parie Diderot. « Hommes en armes, « femmes de service» tendances néolibérales dans l’évolution de la division sexuelle et internationale du travail », Cahiers du genre numéro 40, 2006

15 Août 2013

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