Eradiquer les causes des conflits
Par Kingsley
Ighobor avec Afrique Renouveau
Nouvelles
dynamiques de paix dans les pays africains post-conflit.
Le 11 juillet 2011, lorsque le Président Salva Kiir du Soudan du Sud et
ses 8,3 millions de compatriotes ont célébré le premier anniversaire de
l’indépendance de leur jeune pays, il a pris soin de rappeler à tous
les dures réalités qui les attendaient. « Tous les indices de
développement humain nous placent derrière le reste de l’humanité
entière », a-t-il déclaré. « Tous les citoyens de cette nation doivent
par conséquent consacrer toutes leurs énergies et ressources à la
construction d’une économie dynamique », a-t-il ajouté. L’appel à la
prudence du Président Kiir est passé inaperçu face aux grandes
espérances de voir se développer une nation pacifique, démocratique et
prospère.
Pas
de solution miracle
Deux ans plus tard, les Sud-Soudanais se rendent compte qu’il n’existe
pas de raccourcis pour construire une nation La paix est encore
fragile en raison des combats qui se poursuivent sur de nombreux
fronts, la corruption s’infiltre dans le secteur public et le taux de
chômage reste élevé. En dépit de l’abondance de pétrole et de la
fertilité des terres, le rythme de développement demeure lent. Un mois
à peine après l’indépendance, les ethnies de Lou Nuer et Murle des
États de Jonglei et de Warrap, dans la partie orientale du Soudan du
Sud, se sont affrontées suite à une querelle sur le bétail, entraînant
la mort de 600 personnes. Human Rights Watch, organisation de défense
des droits de l’homme basée à New York, estime que 2,5 millions de
personnes ont déjà perdu la vie au cours des deux décennies de guerre
entre le Soudan et le Soudan du Sud.
Les deux pays continuent à se disputer les recettes pétrolières. Le
Soudan du Sud a arrêté la production de pétrole en janvier 2012,
accusant le Soudan de confisquer le pétrole qui passe par ses oléoducs
et de surtaxer la manutention. Le pétrole représentant 80 % du produit
intérieur brut (PIB) du Soudan du Sud, cette décision a littéralement
asphyxié l’économie du pays. Selon le Fonds monétaire international
(FMI), l’activité économique du Soudan du Sud a reculé de 11 % en
2012 suite à l’arrêt de la production de pétrole.
Le Gouvernement sud-soudanais devra entièrement restructurer ses
institutions financières, sociales et sécuritaires tout en
veillant à la réconciliation entre les ethnies ennemies et en
luttant contre la corruption. En mai 2012, irrité par la disparition
présumée de 4 milliards de dollars des caisses de l’Etat, le président
Kiir a mis en garde les responsables gouvernementaux : « Nous nous
sommes battus pour la liberté, la justice et l’égalité, mais une fois
arrivés au pouvoir, nous avons oublié l’objectif de notre combat pour
nous enrichir au détriment du peuple ».
Néanmoins, les conditions socioéconomiques et sécuritaires au Soudan du
Sud sont meilleures aujourd’hui qu’elles ne l’étaient à l’indépendance.
Le Fonds d’affectation spéciale multidonateurs doté de 718 millions de
dollars a permis, notamment, de construire 87 hôpitaux et cliniques et
336 salles de classe dans le primaire. « Plus de 108 associations de
femmes ont reçu des fonds pour mener des activités économiques »,
indique Mary Jervas Yak, Vice-Ministre sud-soudanais des finances.
Du
maintien à la consolidation de la paix
Selon un rapport de 1992 du Secrétaire général de l’ONU intitulé Agenda
pour la paix : diplomatie préventive, rétablissement de la paix,
maintien de la paix, la consolidation de la paix est la dernière étape
du processus de résolution de conflit. Ce processus commence lorsque la
diplomatie préventive échoue et que le rétablissement de la paix est
nécessaire pour permettre aux factions belligérantes de parvenir à un
accord. La dernière étape concerne les activités de consolidation de la
paix, qui consistent à créer et soutenir les institutions destinées à
consolider la paix, note le rapport de l’ONU.
Compte tenu des nombreux défis que doivent relever les pays sortant
d’un conflit, le passage du maintien à la consolidation de la paix peut
s’avérer difficile. C’est ce qu’affirme Michael von der Schulenburg,
l’un des chefs de mission de l’ONU dont la bonne gestion des opérations
de consolidation de la paix en Sierra Leone après le conflit meurtrier
de 2002 est considérée comme une réussite exemplaire. Dans ce pays, le
programme d’assistance à la consolidation de la paix des Nations Unies
a permis la réinsertion sociale d’environ 45 000 ex-combattants, la
collecte des armes légères et le renforcement des capacités du
Gouvernement et de la société civile. Le programme a également appuyé
l’organisation des élections en 2007 et en 2012.
Bref, « la consolidation de la paix se traduit par l’accès à l’eau, à
l’éducation et aux soins de santé de base », ajoute M. von der
Schulenburg (voir Afrique Renouveau, août 2011). Bien que la Sierra
Leone soit encore confrontée au chômage des jeunes, à la corruption et
à d’autres problèmes de gouvernance, la croissance économique est
actuellement de 17 %, selon le FMI, et la production agricole est en
pleine reprise, indique la Banque mondiale.
Le
modèle sierra-léonais
Dans une large mesure, le Libéria voisin a suivi le modèle de
consolidation de la paix de la Sierra Leone. Mais la Sierra Leone
n’avait que 45 000 ex-combattants, alors que le Libéria en
comptait plus de 100 000. La création d’emplois durables pour les
ex-combattants a été plus difficile au Libéria qu’elle ne l’a été en
Sierra Leone et en 2010, la mission des Nations Unies au Libéria a
annoncé qu’environ 2 000 combattants libériens, sans emploi pour la
plupart, étaient partis pour l’ouest de la Côte d’Ivoire afin de
combattre aux côtés des forces antigouvernementales de ce pays.
L’ONU est convaincue que la réconciliation est une étape importante de
la consolidation de la paix. Les efforts de réconciliation de la Sierra
Leone s’appuyaient sur « la paix par la justice » et ont encouragé la
création d’une Commission Vérité et réconciliation qui offrait aux gens
la possibilité d’avouer librement les exactions commises pendant la
guerre. La Commission bénéficiait de l’appui d’un tribunal
spécial mis en place pour juger les auteurs de crimes graves. Foday
Sankoh, le chef du Revolutionary United Front (RUF), et Hinga Norman,
qui avait dirigé une milice pro-gouvernementale, ont été inculpés, mais
sont morts en détention.
Le Libéria a adopté une approche différente et ses efforts de
réconciliation ont connu quelques difficultés. Le pays n’a pas jugé
nécessaire de créer un tribunal spécial mais en 2005, il a mis en place
une Commission Vérité et réconciliation qui a soumis en 2009 un
rapport mettant en cause l’actuelle présidente Ellen Johnson-Sirleaf et
49 autres personnes en recommandant qu’il leur soit « interdit
d’occuper une charge publique, un poste électif ou nominatif pour une
période de 30 ans ». La Cour suprême a jugé cette recommandation
anticonstitutionnelle.
Le
défi de la réconciliation au Libéria
Après des élections très tendues en octobre 2011, la présidente
Johnson-Sirleaf a chargé Leymah Gbowee, lauréate comme elle du
prix Nobel de la paix, de diriger les efforts de réconciliation. Moins
d’un an après sa nomination, Mme Gbowee a démissionné en affirmant que
la présidente ne prenait pas suffisamment au sérieux la question de la
réconciliation. Depuis, George Opong Weah, ancienne gloire du football,
double perdant de l’élection présidentielle face à Mme Johnson-Sirleaf,
a remplacé Mme Gbowee.
Malgré ces défis, l’économie libérienne dont le taux de croissance est
de 7,5 %, affiche des gains impressionnants. L’opération de
maintien de la paix de l’ONU est considérable : elle assure la
formation de 4 000 policiers et aide le système judiciaire. Récemment,
pour la première fois depuis des décennies, un contingent de soldats
libériens a rejoint la mission de maintien de la paix des Nations Unies
au Mali, pays voisin d’Afrique de l’Ouest plongé actuellement dans un
conflit. La consolidation de la paix est nécessaire pour « réduire le
risque pour un pays de tomber ou de retomber dans un conflit »,
explique Charles Dambach, l’ancien directeur général de Alliance for
Peacebuilding, organisation basée à Washington qui oeuvre en faveur
de la consolidation de la paix. Il reconnaît que « l’objectif
final de la consolidation de la paix est de réduire la fréquence et la
gravité des conflits violents, voire de les éliminer complètement ».
Difficultés
en matière d’emplois en Côte d’Ivoire
Des projets de consolidation de la paix semblables sont en cours dans
de nombreux autres pays africains, tels que le Burundi, la Côte
d’Ivoire, la République démocratique du Congo (RDC) et la Guinée
Bissau, et visent tous à éradiquer les causes profondes des conflits.
Adama Bamba, coordinateur pour la Côte d’Ivoire du Projet de création
d’emplois jeunes et de développement des compétences explique que lors
du conflit les jeunes sans emploi ont constitué le groupe le plus
actif. Selon l’Institut national de la statistique de Côte d’Ivoire,
jusqu’à 60 % des jeunes âgés de 14 à 35 ans sont sans emploi. Malgré
cela, le pays demeure le premier producteur mondial de cacao.
Aidée par la Banque mondiale, la Côte d’Ivoire s’emploie activement à
créer des emplois. C’est ainsi qu’elle a fait appel au secteur privé
pour qu’il assure la formation de plus de 3 000 jeunes.
En 2008, le Secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon a annoncé que la
Côte d’Ivoire pourrait bénéficier du financement du Fonds des Nations
Unies pour la consolidation de la paix créé en 2006 pour aider les pays
sortant d’un conflit. Le fonds a débloqué 18 millions de dollars pour
aider la Côte d’Ivoire à poursuivre des réformes agraires et à
renforcer sa sécurité.
L’épreuve
décisive
En mai dernier, M. Ban et Jim Yong Kim, Président de la Banque
mondiale, ont visité ensemble la région des Grands Lacs,
constituée du Burundi, de la RDC, du Kenya, du Rwanda, de la Tanzanie
et de l’Ouganda. M. Ban s’était auparavant rendu au Mozambique où il
avait vanté les efforts de développement du pays. « Le Mozambique, le
Rwanda et l’Ouganda ont montré qu’il est possible de se relever
après un conflit et d’avancer vers la réalisation des objectifs du
Millénaire pour le développement », a-t-il déclaré au Mozambique. « Il
est temps pour la RDC de suivre leur exemple. »
Les indicateurs de développement de la RDC n’étant pas
satisfaisants, M. Ban et M. Kim veulent des changements
immédiats. Jusqu’à 70 % de la population du pays vit avec moins de 1,25
dollar par jour. Les infrastructures du pays sont en ruines et 2,4
millions d’enfants y souffrent de malnutrition sévère.
Les
efforts du Burundi
Depuis que l’ONU a intensifié sa mission de maintien de la paix au
Burundi en 2003, les armes se sont presque tues. Cependant, 10 ans plus
tard, le Burundi demeure l’un des pays les plus pauvres du monde. Les
efforts de consolidation de la paix n’y ont pas été comparables à ceux
du Libéria et de la Sierra Leone. Mais ce pays enclavé qui connaît à
présent la stabilité politique investit davantage dans l’agriculture,
en particulier le café, sa principale culture.
Déjà, de gigantesques projets routiers ont créé des milliers d’emplois
et l’espérance de vie est passée de 43 ans en 2000 à 50 ans en 2011,
estime la Banque mondiale. Il est peu probable que le Burundi atteigne
les objectifs du Millénaire pour le développement mais le pays a évolué
dans la bonne direction en réformant les institutions publiques et en
offrant des services sociaux à sa population.
Globalement, les pays africains sortant d’un conflit s’efforcent
d’engranger les dividendes de la paix, à savoir la création d’emplois,
la liberté, la démocratie et l’état de droit. L’évaluation de M. Ban
est optimiste: « Dans toute l’Afrique, nous voyons la croissance. Les
économies progressent. La liberté et la bonne gouvernance progressent.
La confiance est en hausse. » Grâce à la consolidation de la paix,
l’Afrique a peut-être trouvé la bonne formule pour éradiquer les
conflits. La difficulté sera de la pérenniser.
29
Septembre 2013
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