Les quatre otages enlevés au Niger libérés
Par Jean-Philippe Remy
C'est
une libération, dans tous les sens du terme. Plus de mille jours après
leur enlèvement, Thierry Dol, Marc Féret, Daniel Larribe et Pierre
Legrand ont retrouvé la liberté, mardi 29 octobre. Cet heureux
dénouement met fin à leur détention par les hommes d'Al-Qaida au
Maghreb islamique (AQMI) et au calvaire de leurs proches qui, pendant
trois ans, ont tout imaginé, tout redouté.
L'annonce
officielle a été faite par le chef de l'Etat, François Hollande, dont
l'entourage a assuré que la santé des otages était "correcte" – le
ministre des affaires étrangères s'est lui félicité de la "très bonne
santé" des otages. Le président a tenu en particulier à remercier son
homologue nigérien Mahamadou Issoufou "qui a réussi à obtenir la
libération de nos compatriotes".
Les ministres des affaires étrangères, Laurent Fabius, et de la
défense, Jean-Yves Le Drian, se sont rendus à la capitale nigérienne,
Niamey, "pour faire en sorte que nos quatre concitoyens désormais
libres puissent revenir vers la France". Interrogé sur Europe 1 dans la
soirée, M. Fabius a insisté sur le fait que "la France ne payait pas de
rançon". "Il n'y a pas eu d'assaut, a précisé Jean-Yves Le Drian. Les
otages sont attendus en France, mercredi en fin de matinée.
COMMANDO DANS LA VILLE MINIÈRE D'ARLIT
Pour ces quatre hommes, tout avait commencé dans la nuit du 15 au 16
septembre 2010. Un commando faisait irruption à à Arlit, une ville
minière dans le nord du Niger, et enlevait sept personnes à leur
domicile, travaillant pour Areva ou Sogea-Satom, une filiale du groupe
Vinci. Dans les environs d'Arlit, on extrait l'uranium qui fait tourner
une partie des centrales nucléaires françaises. La sécurité devrait y
être particulièrement soignée.
Mais quelque chose n'a pas tourné rond, ce soir-là. Le préfet de la
région avait pourtant averti de la présence d'un groupe appartenant à
AQMI, loin de leurs bases du nord du Mali. Or, le groupe des ravisseurs
pénètre dans le périmètre théoriquement protégé par des gardes armés
nigériens, se rend aux domiciles des otages, s'en saisit, puis sort à
grand-peine de ce lotissement en se trompant plusieurs fois, sans
essuyer de tirs ou de réactions.
OPÉRATION MENÉE PAR ABOU ZEID
L'opération a été menée par Abdelhamid Abou Zeid, l'émir d'AQMI,
chef de la katiba (compagnie) Tariq Ibn Ziyad. Il est venu en personne
diriger la prise d'otages. Le petit homme originaire d'Algérie,
considéré comme l'un des responsables les plus inflexibles d'AQMI, a
fait la route depuis le nord du Mali, où ses hommes sont basés, mais il
est resté aux abords d'Arlit. Les otages le découvriront plus tard,
alors qu'ils font déjà route vers l'ouest, quittant bientôt le Niger.
A l'arrière du pick-up où on les a jetés, Françoise Larribe et son
mari, ingénieur employé d'Areva, essayent de calculer jusqu'où les
emmène le commando. Ils se dirigent vers le nord du Mali, dans la
région de l'Adrar des Ifoghas. Dans ce massif volcanique, il y a de
l'eau. Le relief permet de se dissimuler. Partout ailleurs, c'est le
désert, les espaces immenses. L'autorité de la capitale, Bamako,
n'existe plus dans la région. Un coin parfait pour y installer les
combattants et y détenir les otages le temps de négocier leur
libération.
INDUSTRIE DE LA PRISE D'OTAGES OCCIDENTAUX
Les hommes d'AQMI s'y sont installés depuis 2003, lorsqu'ils sont
parvenus à enlever leur premier groupe d'otages, trente-deux touristes
européens, un record, et déjà les premiers millions d'euros de rançon.
Dans les rangs d'AQMI, certains d'entre eux ont noué des alliances avec
des tribus touareg par des mariages. C'est de là qu'ils gèrent leur
petite industrie de la prise d'otages occidentaux.
Les responsables "historiques" d'AQMI étaient initialement des membres
du GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat) algérien.
Dirigé par Abdelmalek Droukdel depuis 2004, le mouvement s'est rallié à
Al-Qaida en 2006. L'année suivante, il change de nom et devient AQMI.
Les otages enlevés dans la région sont désormais acheminés dans le nord
du Mali, où des tractations peuvent commencer. Des rançons sont payées,
généralement par les gouvernements, qui nient ensuite avoir versé de
l'argent. L'affaire est profitable. Plusieurs estimations sur les
sommes totales versées à AQMI circulent. Elles se comptent en dizaines
de millions d'euros.
Lorsque les sept d'Arlit sont débarqués dans l'Adrar des Ifoghas, ils
entrent dans un système bien rodé, même si les conditions de vie y sont
plus que spartiates. Les otages, séparés en plusieurs groupes, sont
régulièrement obligés de changer de campement. Ils y sont parfois
traités durement. Mais sans violences physiques. Au milieu de l'Adrar,
la vie est dure, la promiscuité permanente. Abou Zeid est réputé pour
sa dureté. Il est à l'origine de l'exécution d'un de ses otages en
2009, le britannique Edwin Dyers, ainsi, sans doute, que de la mort de
Michel Germaneau, tué lors d'une tentative de libération par des forces
franco-mauritaniennes.
LIBÉRATION DE TROIS OTAGES
Trois des otages d'Arlit, pourtant, vont être libérés. C'est qu'un
homme est entré dans le cycle des négociations. Le colonel Jean-Marc
Gadoullet est un soldat d'élite, qui a fait partie du "service action"
de la DGSE et a terminé sa carrière militaire au Tchad, conseiller du
président Déby pendant les dernières attaques rebelles sur la capitale.
Il a quitté ses fonctions, créé une société de sécurité et travaille au
Niger et au Mali pour Satom. Ses contacts au sein de responsables
touareg, et son courage, vont lui permettre d'aller à la rencontre
d'Abou Zeid.
Alors que la plupart des intermédiaires occidentaux se contentent de
rendez-vous dans les présidences ou dans les halls d'hôtel, s'en
remettant à leurs contacts sur place pour aller traiter avec AQMI,
Jean-Marc Gadoullet va se rendre à plusieurs reprises dans l'Adrar. Il
aurait pu être pris en otage à son tour. Mais les négociations
avancent. Abou Zeid demande, et obtient, notamment la libération d'un
responsable d'AQMI (qu'on retrouvera comme porte-parole de l'un des
mouvements lorsque les groupes armés prendront le contrôle du nord du
Mali). On se met d'accord sur une rançon, d'un montant demeuré
confidentiel. Mais la somme est importante. Elle nourrira une
polémique, plus tard..
Pour
l'instant, Jean-Marc Gadoullet obtient la libération de trois
personnes. Jean-Claude Rakotarilala, de nationalité malgache, est
affecté par un diabète. Comme Alex Kodjo Ahonado, togolais, il
travaille pour la société Satom. Ils vont être libérés, en février
2011, en même temps que Françoise Larribe, la seule femme du groupe.
Parmi ses geôliers, l'homme qui lui annonce qu'elle va être libérée
s'exprime en espagnol. Il est originaire du Sahara occidental, où ont
été recrutés certains membres d'AQMI. On lui ordonne de rassembler ses
affaires. C'est vite fait. Les otages ne possèdent pratiquement que les
habits qu'ils portent et une couverture pour la nuit, ces nuits
glaciales du désert de la saison froide, pendant lesquelles tous ont
tant grelotté.
HOLLANDE ÉLU, LA FRANCE NE PAIE PLUS
Ce n'était que le premier "dossier". D'autres équipes de négociateurs
jouent leur carte. L'ambiance se détériore. Les accusations fusent
entre Français, qui passent par des réseaux différents. Abou Zeid
a-t-il conscience de ce petit cirque franco-français ? En tout cas, il
est prêt à traiter d'autres "dossiers".
Lorsque François Hollande est élu, tout va changer. Désormais, la
doctrine change : la France ne paiera plus. Les sommes déjà livrées
seraient presque équivalentes à l'aide publique au développement
française au Mali et par ailleurs, François Hollande se refuse à
financer des groupes avec lesquels, il le pressent, l'affrontement est
inéluctable.
Les familles des otages sont reçues à l'Elysée, où on leur annonce ces
nouvelles dispositions. Elles en sortent assommées. Parallèlement, les
services de renseignement doivent tenter de mener des négociations.
Entre-temps, AQMI et ses alliés ont pris le contrôle militaire de tout
le nord du Mali. Mais début janvier 2013, certains d'entre eux tentent
une poussée vers le sud. C'est une erreur. Cette manœuvre déclenche une
intervention française. Que se serait-il passé si les pick-up des
groupes djihadistes étaient descendus en direction de Bamako ? Entre
autres choses, précisément, les combattants d'AQMI se seraient saisis
de nombreux autres otages...
OPÉRATION SERVAL
Cela n'aura pas lieu, l'opération Serval, dont les grandes lignes ont
été étudiées depuis de longs mois, va au contraire déployer dès le 11
janvier des troupes françaises et africaines. Tombouctou, Gao, les
villes tenues par les rebelles islamistes sont prises d'assaut, presque
sans combats. Puis l'armée française entame sa progression vers le
nord, vers ce grand bastion de l'Adrar, notamment dans la vallée de
l'Amettetaï.
C'est dans ce massif qu'Abou Zeid va être tué par des tirs français.
Mais où sont les otages ? Les troupes françaises espèrent un temps que
certains d'entre eux, dans la confusion de la prise d'assaut de la
vallée, ont pu "s'autolibérer" et pourraient être retrouvés. Une
opération de recherches est engagée, avec tous les systèmes de
détection possibles. Mais les otages ont été déplacés. Peut-être
ont-ils été emmenés jusqu'au sud de la Libye. Ils restent introuvables.
Certaines sources, à un moment, ont même redouté que certains d'entre
eux aient pu être tués lors des attaques françaises. Les familles,
alors, ont vécu l'enfer de l'incertitude.
Après des mois, le corps de l'un des captifs va être retrouvé dans la
région de Tessalit, près de la frontière algérienne, par des militaires
français. Il s'agit de Philippe Verdon, qui avait été enlevé en
novembre 2011 à Hombori, au Mali, en compagnie de Serge Lazarevic. Ils
étaient détenus par une autre katiba. AQMI annonce avoir exécuté
l'homme d'affaires en affirmant qu'il s'agissait d'un "espion". Son
corps a été retrouvé par des militaires français dans la région de
Tessalit. Il semble qu'il ait pu décéder à la suite de problèmes de
santé.
En juin, une dernière vidéo montrait le groupe enlevé à Arlit. Daniel
Larribe et ses codétenus y apparaissent à tour de rôle, en bon état
physique relatif. Une "preuve de vie" qui a redonné un peu d'espoir,
alors que des tentatives de négociations, encadrées par les autorités
françaises, étaient relancées.
29
Septembre 2013
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