2014, année charnière pour la Centrafrique
Par Quentin Raverdy
Plus
d'un mois après le lancement de l'opération Sangaris, la Centrafrique
bataille toujours pour sortir du chaos et se dessiner un avenir.
C'était un président plein de "satisfaction" à l'égard du travail
de ses soldats qui se tenait mercredi devant un parterre de militaires,
sur la base de Creil (Oise), lors des traditionnels voeux aux armées.
François Hollande entendait ainsi de nouveau justifier la "périlleuse"
opération Sangaris (1 600 soldats mobilisés) lancée en décembre 2013,
conjointement avec 4 000 soldats de la force panafricaine de la Misca.
Une opération qui entend "rétablir la sécurité en Centrafrique" et
"éviter de nouveaux massacres" entre milices chrétiennes "anti-balaka"
et rebelles de l'ex-Seleka (majoritairement musulmans), dont l'ancien
leader, Michel Djotodia, a gouverné la Centrafrique jusqu'à sa
démission le 10 janvier.
Sur le terrain pourtant, l'armée française ne crie pas victoire, loin
de là. "La France ne peut pas mener à bien sa mission", constate le
général Vincent Desportes, professeur de stratégie à Sciences Po et
HEC. La raison est simple : "Il y a une inadéquation entre les forces
françaises, leurs moyens, leur épaisseur stratégique et les missions
que Paris se donne." En clair, pour Vincent Desportes, l'opération
Sangaris manque clairement d'hommes. "On ne stabilise pas un pays
(grand comme la France et la Belgique, NDLR) avec 1 600 hommes, c'est
un voeu pieux. En dessous de 5 000 soldats, minimum, on n'arrivera à
rien", augure-t-il.
La France isolée ?
Pourtant, en Centrafrique, la France n'est pas seule. Si François
Hollande lors de ses voeux a assuré - sans en dire plus - que "l'Europe
s'impliquera davantage" en 2014 en Centrafrique, Paris peut déjà
compter sur plusieurs milliers de soldats africains de la Misca,
mandatés par l'ONU pour éviter au pays de sombrer dans le chaos.
Problème : "Comme dans toutes les coalitions, chaque membre a son
agenda et ses objectifs", rappelle le général Vincent Desportes. Et de
poursuivre : "On ne peut pas attendre de la Misca les mêmes résultats
que d'une armée structurée comme celle de la France." Outre un manque
de moyens et d'équipements, la force africaine, qui comptera bientôt 6
000 hommes, n'a pas bonne presse, bien au contraire.
À la veille de Noël, des soldats burundais et tchadiens, unis sous la
bannière de la Misca, se sont affrontés dans les rues de Bangui, la
capitale centrafricaine. Un incident qui est venu alimenter le
scepticisme de la population banguissoise quant aux troupes étrangères
et plus particulièrement les 850 soldats du contingent tchadien. En
effet, beaucoup de Centrafricains considèrent les troupes du pays
voisin (où l'islam est majoritaire) comme partiales, voire complices
des musulmans de l'ex-Séléka. Une suspicion dont pâtit la communauté
tchadienne (35 000 personnes environ pour 4,5 millions de
Centrafricains), obligée, pour fuir les représailles, de regagner le
Tchad.
Le Tchad : "faiseur de roi" en Centrafrique
Sur la scène politique régionale, l'hégémonie du Tchad n'est plus à
prouver. Le pays est d'ailleurs perçu comme "un faiseur de roi" en
Centrafrique. Depuis l'indépendance de la République centrafricaine en
1960, le voisin tchadien n'a cessé d'influer sur la politique
intérieure, "facilitant" l'accession au pouvoir d'au moins trois de ses
présidents, explique Philippe Hugon, directeur de recherche à l'Iris
chargé de l'Afrique. Seul un des six présidents de Centrafrique a été
élu par les urnes, rappelle d'ailleurs France TV Info. "Le Tchad est
toujours présent parce que c'est un pays voisin et que l'essentiel de
ses richesses pétrolières se trouve à la frontière séparant les deux
pays", poursuit Philippe Hugon.
Une influence dont le président tchadien Idriss Déby a fait une
nouvelle démonstration. Jeudi, l'homme avait convoqué au Tchad les dix
membres de la Communauté économique des États de l'Afrique centrale
(CEEAC) - dont il est le président en exercice - pour un sommet
extraordinaire afin de "sortir la Centrafrique de son abîme".
Clairement pointés du doigt : le chef de l'État de la transition Michel
Djotodia et son Premier ministre Nicolas Tiangaye. Selon Allami Ahmat,
secrétaire général de la CEEAC, les deux hommes auraient mieux fait de
réagir "au lieu de perdre leur temps à se quereller, à s'insulter sur
la place publique". Plus largement, c'est à la classe politique et à la
société civile centrafricaine que le secrétaire s'attaquait, estimant
qu'elles s'évertuaient à "jeter de l'huile sur le feu".
Djotodia sur le départ
Si le sommet de N'Djamena n'avait pas pour objectif "de changer un
régime, ni de changer la transition", précisait Allami Ahmat, en
coulisse, c'était bien du départ de Djotodia dont il était question. Un
changement intervenu, donc, vendredi - avec l'annonce des démissions
successives du président et du Premier ministre centrafricains - et qui
était attendu par de nombreux chefs d'État de la région, mais aussi par
la France. "Les Français ont toujours eu une vision très négative de
Djotodia", rappelle Roland Marchal, chercheur au Ceri-Sciences Po et
spécialiste de la Centrafrique. De son côté, avant la démission de
Djotodia, le Quai d'Orsay s'était bien gardé de donner son avis.
Laurent Fabius avait seulement déclaré sur France 2 qu'il y avait "des
décisions à prendre".
En attendant, l'économie centrafricaine est au point mort. Les
administrations sont fermées et des milliers de fonctionnaires ne sont
plus payés. Si les massacres des dernières semaines ont pris fin avec
l'intervention des troupes françaises et africaines, des exactions et
des tirs sporadiques sont encore signalés, notamment à Bangui. Et la
crainte d'une escalade confessionnelle entre chrétiens (80 % de la
population) et musulmans (20 %) n'est pas encore écartée. "On alterne
entre des périodes de normalisation et des vagues de violences, la
population est terrorisée", rappelle Roland Marchal. Un rapport du Haut
Commissariat aux réfugiés de l'ONU comptabilise déjà plus de 900 000
déplacés dans le pays et le spectre d'une crise humanitaire plane
toujours.
NDLR : On a appris la démission du président Djotodia aujourd'hui...
10 Janvier 2014
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