Reconstruire après les conflits
Par Pierre Jacquet (président de Global Development Network, à New Delhi)
Mali,
Centrafrique, Afghanistan, République démocratique du Congo… Quel doit
être le rôle de l’aide au développement dans les pays en situation de
conflit ou après un conflit ? Les bailleurs de fonds doivent réfléchir
aux conditions spécifiques d’intervention dans des contextes marqués
par le besoin de réconciliation et de reconstruction institutionnelle.
Dans « Debates in post-conflict development in Africa. Lessons for
development agencies » (« Débats sur le développement post-conflit en
Afrique. Leçons pour les agences de développement »), ISS paper, n 251,
www.issafrica.org, Simone Haysom, du bureau de Johannesburg de
l’Institut africain d’études de sécurité, avance des idées qui méritent
attention.
L’enseignement de cette étude est que le conflit ne doit pas être
considéré comme une aberration entravant le processus de développement
et que l’on pourra donc corriger par la reconstruction, mais comme une
période de transformation sociale, politique et institutionnelle. En
effet, pendant le conflit, les comportements s’adaptent. L’esprit
d’entreprise continue à se manifester, de nouveaux réseaux et
institutions informels se créent. Sous la contrainte de la violence ou
des restrictions de mouvement, les individus repensent leurs stratégies
de pouvoir – et, pour les plus pauvres, de survie – en s’engageant dans
des activités nouvelles, illicites ou informelles (inévitables dès que
l’Etat perd le contrôle de la situation), souvent illégales ou
dégradantes.
Comprendre
Mais la fin du conflit ne ferme qu’imparfaitement la parenthèse, car
ces nouveaux comportements et structures de pouvoir subsistent un
certain temps et contribuent parfois à stigmatiser une partie de la
population. Par exemple, les principaux marchands en Afghanistan,
aujourd’hui, sont ceux qui ont fait des affaires pendant les périodes
du pouvoir moudjahidine puis taliban, et qui utilisent leurs connexions
politiques, les réseaux illicites et leur position acquise pour écarter
les concurrents.
Mme Haysom invite les agences de développement à investir dans la
compréhension des mécanismes politiques et institutionnels, formels et
informels, qui ont permis aux individus de s’adapter au contexte de
conflit, car ils seront encore à l’œuvre après le conflit. Sans cet
effort, le risque est de voir l’intervention des bailleurs accentuer la
pauvreté et les inégalités plutôt que les réduire. L’idée n’est
évidemment pas de soutenir et valider les conséquences des conflits,
mais plutôt de les comprendre pour poursuivre efficacement les
objectifs de développement et cibler les interventions en conséquence.
L’approche semble plus appropriée que la recherche de principes
opérationnels « universels » pour les situations d’après-conflit, qui
font pourtant l’objet d’une abondante littérature dans les
organisations internationales et humanitaires.
27 Février 2014
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