Les Russes bombardés par la propagande du régime
Par Pierre Avril
L'ensemble
de la société est absorbée dans un élan patriotique entretenu par les
chaînes de télévision publiques qui relayent une vision unilatérale du
conflit russo-ukrainien.
«La
vérité est de notre côté»: c'est un cri du cœur qu'a lancé Dmitri
Kissilev, le présentateur vedette de la chaîne Russia 24,
dimanche dernier, au plus fort de la crise ukrainienne. La sentence de
l'homme qui passe pour l'un des chefs d'orchestre de l'appareil de
propagande pro-russe, était formulée juste après la diffusion d'un
sondage constatant la forte hausse de la cote de popularité de Vladimir
Poutine et celui d'un commentaire hostile au pouvoir «sauvage» installé
à Kiev, avec «l'aide des Américains».
Quelques jours plus tôt, cette chaîne d'information continue s'était
illustrée en interrompant brutalement, en direct, un député de Crimée
expliquant que les tensions dans la péninsule étaient provoquées par
les autorités locales.
Cette vision unilatérale du conflit russo-ukrainien est la seule
accessible à l'immense majorité de la population, quotidiennement
abreuvée par les chaînes de télévision publiques. Le quotidien
gouvernemental Rossiskaya Gazeta n'est pas en reste. Celui-ci a accusé
des activistes pro-Maïdan d'avoir piraté son site, inaccessible
vendredi matin. Dans ces médias qui relayent les mots d'ordre du
Kremlin, les troupes russes présentes en Crimée sont transformées en
«groupes locaux d'autodéfense».
«Matin et soir la télévision débite une pure propagande qui n'a rien à
voir avec le journalisme. Les opposants à l'intervention russe en
Crimée sont désormais assimilées à des ennemis du peuple», s'inquiète
Xenia Larina, collaboratrice à la radio Écho de Moscou, l'un des rares
médias indépendants dans le pays. À la lecture des enquêtes d'opinion,
cette journaliste s'avoue «surprise» par l'efficacité de cette machine
idéologique. «Désormais, même les soi-disant libéraux soutiennent la
position du Kremlin», observe-t-elle.
Pratiques soviétiques
Au-delà de la petite lucarne télévisuelle, l'ensemble de la société
russe est absorbée dans un élan patriotique qui s'auto-alimente.
Vendredi, le Comité d'enquête, bras politico-judiciaire du Kremlin, a
annoncé avoir lancé une procédure pénale suite à des menaces
qu'auraient reçues plusieurs gouverneurs, notamment celui de Voronej.
Ce dernier aurait reçu un mail lui ordonnant de proclamer le
rattachement de sa région à l'Ukraine, faute de quoi il «devra se
suicider». Aussi fantaisistes soient-elles, ces affaires sont
complaisamment relayées. Chaque jour, une grande de ville russe voit
son lot de manifestations publiques de soutien au Kremlin.
Celle organisée à côté de la place Rouge, hier soir, a rassemblé 65.000
personnes dans un ordre soigneusement réglé: devant la tribune, les
sportifs et les représentants des jeunesses pro-Poutine, derrière les
employés communaux, puis les fonctionnaires de la ville, les
«constructeurs»…
Le même jour, renouant avec des pratiques héritées de l'ère soviétique,
l'Union des écrivains russes a officiellement condamné les «politiques
arrivés illégalement au pouvoir à Kiev qui, au lieu d'interrompre la
débauche révolutionnaire, persécutent ceux qui parlent russe». En
revanche, la déclaration, en sens inverse, adoptée par la branche russe
du Pen Club, association internationale d'écrivains libéraux, a été
passée sous silence. Comme si la Russie et son pouvoir vivaient
désormais sur une autre planète.
2 Mai 2014
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