Moscou propose un "pacte de sécurité" paneuropéen
Par Natalie Nougayrède
Le nouveau président russe, Dmitri Medvedev, s'efforce de promouvoir
auprès des Occidentaux son idée de "pacte de sécurité" paneuropéen,
lancée le 5 juin lors d'un discours à Berlin. Ce projet encore flou est
accueilli avec un mélange de scepticisme et de perplexité par les
chancelleries européennes, qui y décèlent le signe d'une volonté russe
d'affirmer son rôle incontournable sur les questions stratégiques
touchant à l'avenir du continent et à son architecture de sécurité.
Cet
activisme diplomatique vise, selon certains, à tirer profit de la
désunion et des faiblesses de l'Europe, ainsi que de la transition
politique aux Etats-Unis. "Il y a, à Moscou, une réflexion sur la
négociation d'ensemble qui pourrait être menée pour consolider des
"lignes rouges" en Europe ", nous dit une source au siège de
l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Le
Kremlin chercherait à obtenir, par le biais d'un grand marchandage, un
droit de veto sur tout élargissement ultérieur de l'OTAN, un blocage du
projet américain de bouclier antimissile en Europe, et des perspectives
de neutralité pour l'Ukraine, la Moldavie et la Géorgie. "C'est la
méthode du cran d'arrêt", dit cette source à l'OSCE, observant qu'en
coulisses, "la neutralité de la Moldavie est récemment devenue le coeur
du débat pour les Russes ".
Ce vaste marchandage impliquerait le
sort des "conflits gelés" aux pourtours de l'Europe (Transnistrie,
Abkhazie, Ossétie du Sud), les crises du Moyen-Orient comme le
nucléaire iranien, l'approvisionnement de l'Europe en hydrocarbures et
le désarmement. "Ce serait un paquet d'une complexité inouïe",
commente-t-on à l'OSCE.
Le 7 juillet, en marge du sommet du G8
au Japon, le chef du Kremlin a mis sa proposition sur la table, lors
d'entretiens bilatéraux avec Nicolas Sarkozy et la chancelière
allemande, Angela Merkel. Il a aussi développé son idée, à Moscou,
devant des diplomates russes.
L'idée exposée le 5 juin par M.
Medvedev consiste à "élaborer un traité légalement contraignant sur la
sécurité européenne, auquel les organisations existant actuellement
dans l'espace euro-atlantique pourraient devenir parties". Un "pacte
régional " fixerait les conditions de l'emploi de la force "dans les
relations au sein de la communauté euro-atlantique". Ce qui, selon
certains analystes, revient à un droit de regard sur les opérations de
l'OTAN. Ce pacte, a ajouté M. Medvedev, "pourrait parvenir à une
résolution générale des questions de sécurité et de contrôle
d'armements en Europe". Depuis 2007, en dépit de multiples tentatives
américaines pour un compromis, Moscou a décidé un moratoire sur le
Traité sur les armes conventionnelles en Europe, négocié au sein de
l'OSCE.
Car, pour le président russe, "l'atlantisme a vécu, nous
devons (donc) parler d'unité au sein de tout l'espace euro-atlantique,
de Vancouver à Vladivostok". Se référant à l'Acte final d'Helsinki de
1975, M. Medvedev semble proposer qu'une nouvelle entité soit créée à
la place de l'OSCE, qui regroupe 56 Etats, précisément de Vancouver à
Vladivostok.
Chose marquante, M. Medvedev a proposé que, dans la
préparation de cet accord paneuropéen, les Etats agissent "à titre
individuel, laissant de côté toute allégeance à des blocs ou autres
groupes", en fonction de leurs seuls "intérêts nationaux" et sans
"motivations idéologiques déformantes". Une formulation semble-t-il
destinée à marginaliser le rôle de l'UE, de l'OTAN, et les valeurs que
ces organisations entendent incarner.
Alors qu'un "partenariat
stratégique" est en négociation entre la Russie et l'Union européenne
sous présidence française, une source à l'Elysée a émis des réserves
face au plan de M. Medvedev : "Nous accueillons cela dans un esprit
positif, tant que ce n'est pas une duplication de l'OSCE." Le 7
juillet, devant des journalistes, M. Sarkozy a déclaré que si Moscou
propose "un arc de sécurité de Vancouver à Vladivostok, ça mérite
d'être étudié".
Aucun dirigeant occidental n'a formellement
donné suite aux idées de M. Medvedev, qui, selon des diplomates,
tiennent du ballon d'essai. Moscou demande en effet depuis des années
une refonte des règles en vigueur au sein de l'OSCE, notamment pour ce
qui concerne ses institutions chargées du suivi de l'évolution des
Etats en matière de démocratisation.
L'offre de M. Medvedev se
veut en tout cas plus conciliante, dans sa tonalité, que ce discours
aux accents de guerre froide prononcé en février 2007 à Munich par son
prédécesseur, Vladimir Poutine. Les Russes, disent des diplomates,
posent des jalons, mais ne s'attendent pas à une réponse avant
l'installation d'une nouvelle administration américaine..
Juillet 2008
CHRONOLOGIE
1975.
Acte final d'Helsinki qui pose le cadre du dialogue multilatéral au
sein de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe
(CSCE), ancêtre de l'OSCE.
1992. Traité sur les armes conventionnelles en Europe, révisé en 1999. En décembre 2007, la Russie décide un moratoire.
2002. Création du conseil OTAN-Russie.
2004. Elargissement de l'OTAN aux Etats baltes.
Avril 2008. Perspective d'adhésion à l'OTAN offerte à l'Ukraine et la Géorgie lors du sommet de l'Alliance à Bucarest.
5 juin. Discours de Dmitri Medvedev à Berlin sur un "traité de sécurité européenne".
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