Un Edit de Nantes mondial : Vers un apaisement de la guerre contre le terrorisme...
Par Gilles Marchand
Les nouvelles orientations de la diplomatie française pourraient bien
augurer de la fin de la logique du choc des civilisations et du retour
de la stabilité dans le monde arabe.
2008
est une année importante. Elle marque des changements qui, pour avoir
longtemps été en gestation, arrivent aujourd'hui à terme et conjuguent
leurs effets pour aboutir à une redéfinition de la diplomatie mondiale,
en général, et des rapports qu'entretiennent les pays arabes, en
particulier.
La
situation globale n'est pas brillante. Sept ans de malheur et de guerre
contre la terreur n'ont fait qu'envenimer les choses en ostracisant des
peuples que l'ont a réduits à l'extrémisme, alimentant le terreau
d'idées de résistance et de haine. Les valeurs proclamées par
l'administration américaine ont artificiellement dessiné une ligne de
partage du monde entre deux camps censés s'opposer dans une lutte
fratricide dont nous avons pu constater — ad nauseam
— qu'elle était, en définitive, absurde et dangereuse pour les
équilibres mondiaux.
Nous
sommes à présent confrontés à des crises multiples et simultanées qui
doivent stimuler notre capacité à générer des solutions elles-mêmes
protéiformes, afin de restaurer des équilibres durables. Or, force est
de constater que la théorie du choc des civilisations a produits des
conséquences qu'il s'agit aujourd'hui d'apaiser. A l'égarement
philosophique doit succéder une période d'entente renouée et, pour
cela, des gestes appropriés doivent être accomplis. Nous sommes
globalement prêts à un changement de la situation tant celle-ci est
unanimement considérée comme mauvaise, et une impulsion internationale
claire est nécessaire.
Il
fallait pour cela qu'une puissance intermédiaire, ayant des liens
profonds à la fois avec le monde arabe et le monde occidental, puisse
mettre à contribution son positionnement exemplaire lors de la guerre
en Irak et ses liens renouvelés avec les Etats-Unis — une puissance
capable de discuter tant avec l'ensemble du monde arabe qu'avec Israël
— pour initier une catalyse politique devenue indispensable afin de
restaurer les équilibres mondiaux. Il est bien entendu, pour qu'un tel
saut conceptuel ait lieu, que les principaux intéressés aient
conscience de défendre ainsi leurs intérêts, ce qui serait
effectivement le cas.
Or,
c'est très exactement le sens du mouvement qu'effectue la diplomatie
française, sans vouloir donner de leçons aux uns ou aux autres, sans
arrogance, mais avec le conscience aiguë qu'une réconciliation est
essentielle au monde de 2008, tant les enjeux actuels et les réponses
qu'ils exigent sont prégnants. Les chantiers collectifs auxquels nous
devons nous atteler demandent des coopérations étendues, avec un
respect et une vision des besoins et des possibilités de tous. Une
manque d'harmonie amoindrirait des réformes aujourd'hui devenues
nécessaires et, dans un système médiatique global et ouvert, nous
devons travailler à réduire des conflits qui affaibliraient nos chances
de résoudre les crises actuelles.
Or
, un monde morcelé en états antagonistes est un puzzle éclaté dont on
ne peut apercevoir les contours véritables tant que l'image qu'il porte
n'est pas complétée et unifiée. Nous allons vers de grandes
coopérations régionales et avoir refusé d'entendre les remarques, y
compris fondées, des extrémistes a exacerbé les comportements de rejet.
Il faut en 2008 parler avec les islamistes, comme a décidé de le faire
le Ministre des Affaires étrangères français, discuter des véritables
problèmes, sur des bases politiques et culturelles, aller au fond des
choses et améliorer le substrat économique de régions qui sont le
véritable terrain sur lequel pourront se nouer des alliances et des
accords si une véritable logique de progrès est à l'œuvre.
L'administration
Bush rend actuellement son tablier. Le changement à la tête de
l'exécutif américain pourrait avoir des effets bénéfiques pour les
américains et leur perception dans le monde, s'il est l'occasion d'une
refonte qui pourrait s'avérer salutaire pour tout le monde. La
normalisation des relations des états arabes entre eux produirait aussi
des dividendes en termes énergétiques au plan mondial. Si l'Iran, au
lieu d'être prise en tenaille entre l'Irak et l'Afghanistan, cessait
d'être vue comme un intrus et redevenait la puissance rayonnante perse
qu'elle a souvent été au cours de l'histoire, nous ferions l'économie
d'un processus qui, autrement, pourrait s'avérer dangereux.
Dans
ce cadre, l'Union pour la Méditerranée est un élément du retour aux
fondamentaux et une chance pour ceux qui sauront la saisir, Lybie
comprise. Le fait de dédiaboliser les islamistes a déjà produit tout un
ensemble de conséquences vertueuses. Le Hamas et le Fatah se
réconcilient. La crise institutionnelle du Liban est dépassée, un
président élu, et une guerre probablement évitée. Les négociations
entre Israël et la Syrie sur le problème, jadis épineux, du Golan ont
abouti à un accord, y compris sur la question du partage des eaux. Le
Pakistan a lui aussi élu un gouvernement progressiste. Cette inflexion
conduira à ce qu'on cesse enfin de traiter les palestiniens comme des
pariahs. Globalement, le terrorisme s'asséchera progressivement, à
condition que les Etats-Unis comprennent les ressorts de ce qui le
nourrit et changent eux-mêmes d'attitude. Il n'y aura pas de vainqueur
de la guerre contre la terreur et, à terme, il pourrait ne pas y avoir
de perdant. Les violences s'apaiseront, les manches se retrousseront et
les pays dévastés par la guerre seront reconstruits et urbanisés.
La
Saison en Enfer dans laquelle le 11 septembre nous avait plongés est
donc peut-être sur le point de s'achever. A condition que nous
comprenions le chemin qu'il faut faire pour sortir de la paranoïa, de
la bigoterie et des préjugés afin de se tourner vers les autres et
instaurer avec eux des relations adultes et satisfaisantes. Cela ne
veut pas dire qu'il faille renier des philosophies spirituelles de la
vie qui peuvent tout aussi bien prendre le visage de religions, à
condition que ces religions puissent être pratiquées — ou pas —
librement et qu'elles s'enrichissent mutuellement. Cela avait été tout
le génie de l'Edit de Nantes d'Henri IV, roi inspiré entre tous,
puisqu'il avait mis un terme aux guerres de religions qui déchiraient
alors la France et l'Europe, puis permis que soit instaurée une
prospérité qui n'avait, jusqu'alors, jamais eu d'équivalent.
Il nous faut faire la même chose à l'échelle de la planète, et c'est très exactement ce qui est en train de se produire...Juillet 2008
Abonnez-vous au Monde
Retour
aux Conflits
Retour
au Sommaire