ESPOIRS DE RENAISSANCE, DÉRIVE D’UN
CONTINENT
Ces guerres qui usent l’Afrique
Par Philippe Leymarie
Après
quelques années d’« afro-optimisme », sur la lancée
de
la vague des démocratisations, de la « révolution
congolaise » et de la « renaissance
africaine »,
serait-ce le retour à une
« Afrique-cauchemar » ? Feux
de brousse ou guerres modernes : une douzaine de conflits
usent en
permanence ce continent à nouveau sens dessus dessous, qui semble prêt
à s’embraser comme un morceau d’étoupe. S’affranchissant des tutelles
diplomatiques étrangères, le continent devient-il son propre
bourreau ? Pourtant, alors qu’on commémore ce mois-ci le
cinquième
anniversaire du début du génocide rwandais, M. Nelson Mandela,
en
Afrique du Sud, s’apprête à passer tranquillement la main tandis que
les civils reprennent le chemin du pouvoir au Nigeria...
C’était
au début des années 90... Le continent avait connu quelques-unes des
plus longues guerres de son histoire : guerres de libération
en
Angola et au Mozambique, vite muées en guerres civiles ; lutte
de
libération nationale, en Erythrée, face à l’ancien empire éthiopien
devenu la chasse gardée du « Négus rouge ». Derrière
les
acteurs locaux, la ronde des Antonov de l’armée soviétique, les
contingents de soldats cubains, les livraisons d’armes ou subsides
chinois, les manigances des unités de mercenaires levées par les
services secrets américains, et - dans l’Atlantique sud, l’océan Indien
et la mer Rouge - le face- à-face des flottes soviétique, américaine et
même française... rappelaient le jeu des
« incendiaires »
extérieurs.
La chute du mur de Berlin (1989) et l’éclatement de
l’Union soviétique (1991) ouvrirent soudain le champ à ce qui semblait
jusqu’alors d’impossibles règlements. Des négociations pour la
résolution des conflits « d’après-guerre froide » se
mirent
en branle à Luanda et à Maputo, sous le patronage actif des Nations
unies, tandis que le régime communisant du colonel Menguistu, à
Addis-Abeba, ployait sous l’offensive conjointe des fronts de
libération du Tigre et d’Erythrée - cette dernière obtenant une
indépendance réclamée par les armes depuis plus de vingt ans.
L’Union
nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita) et la
Résistance nationale du Mozambique (Renamo), mouvements armés à
recrutement ethnique, qui contestaient les « démocraties
populaires » mises en place par les mouvements de libération
de
tendance marxiste, avec le soutien de l’URSS et de l’ensemble de la
mouvance tiers-mondiste ou non alignée, étaient devenus, en 1991 et
1992, des partis légalement reconnus ; des accords de paix
prévoyaient des élections pluripartites sous l’égide de l’Organisation
des Nations unies (ONU). M. Jonas Savimbi, le chef de guerre
de
l’Unita, qui avait repris les combats pour le contrôle des gisements de
pétrole et de diamants après avoir refusé d’admettre son échec à
l’élection présidentielle de septembre 1992, avait dû se résoudre, sous
la pression internationale, à souscrire en 1994 aux « accords
de
Lusaka », qui prévoyaient la mise en place d’un gouvernement
d’union nationale et, pour lui- même, un « statut
spécial ».
En
Afrique du Sud, la libération de M. Nelson Mandela, le
« plus
vieux prisonnier du monde », la fin de l’apartheid et
l’accession
au pouvoir de la majorité noire signaient la fin d’une époque.
L’Amérique démocrate, soucieuse de faire oublier les compromissions
passées (1), se posait en « parrain » des
nouveaux
régimes d’Afrique australe et de la Corne, conduits par d’anciens
marxistes conquis à l’économie de marché. Une vague de démocratisations
- sur la lancée de la chute du dictateur roumain Nicolae Ceausescu
(décembre 1989) et du discours du président français, François
Mitterrand, à La Baule - secoua le continent, de part en part, avec
force conférences nationales, constitutions pluripartites, élections.
Tant de « signaux forts » paraissaient ouvrir, pour
cette
« autre Afrique », une ère de renaissance, avec le
sentiment
d’avoir enfin soldé, une génération après la vague des indépendances
des années 60, la plupart des comptes de la colonisation...
Mais
les sommets de l’horreur atteints il y a cinq ans, en 1994, avec le
génocide des Tutsis du Rwanda, et les affrontements, au Burundi, entre
Hutus et Tutsis, ainsi que les dernières affres surréalistes du régime
de Mobutu au Zaïre, bientôt emporté par l’onde de choc de la tragédie
rwandaise dont les « répliques » se font encore
sentir dans
toute l’Afrique centrale, ont brouillé les cartes.
Et le
spectacle donné aujourd’hui par une partie du continent fait balancer
entre incrédulité et désespérance. Partout se multiplient les zones de
non-droit ( lire « Les entités chaotiques
ingouvernables »).
En Sierra Leone, des rebelles se vengent en coupant les bras et les
mains des civils, alors que - dans une capitale en feu - des
gouvernementaux interdisent l’accès des salles d’opérations aux french
doctors.. A Brazzaville, en proie depuis cinq ans à la vindicte des
milices, le régime a récemment fait « nettoyer » des
quartiers à l’arme lourde (2). En Centrafrique, en
Guinée-Bissau,
des mutineries à répétition ont surgi, en dépit de tous les
cessez-le-feu mis en oeuvre depuis deux ans... L’archipel des Comores
est secoué par des îles sans cesse batailleuses... Et dans une île
Maurice couverte d’éloges - une destination privilégiée du tourisme
international -, la colère de la minorité créole,
laissée-pour-compte du « miracle », éclate
brusquement...
En
Somalie, le pays demeure fragmenté, sans Etat, comme « hors du
monde », malgré une dizaine de tentatives de réconciliation en
cinq ans... (3). Entre l’Ethiopie et l’Erythrée, le conflit
tourne
à la boucherie, pour quelques arpents de frontière, entre frères
d’armes devenus ennemis... En Algérie, au fil des cinq dernières
années, l’horreur s’est banalisée... Et surtout, en Angola, une
« guerre de cent ans » s’est de nouveau rallumée,
signant un
des échecs les plus retentissants de l’ONU et de la communauté
internationale, dans un pays qui avait été le théâtre sanglant d’un des
grands affrontements Est-Ouest des années 70 et 80, et où un siècle -
de paix ! - serait nécessaire pour venir à bout du déminage...
Des
guerres qui blessent l’optimisme et brutalisent les consciences non pas
tant en raison de leur cruauté - qui n’est pas sans précédent, en
Afrique comme ailleurs - mais parce qu’elles paraissent, comme en
Sierra Leone, absurdes, suicidaires, sans principe, sans
« programme », « en dehors de toute logique
politique,
et encore moins révolutionnaire (4) ». Parce qu’elles
s’enchaînent, comme au Congo-Brazzaville, sans espoir apparent d’en
sortir, sans leçons tirées, sans même se donner le temps de
reconstruire. Ou que - s’agissant des conflits les plus emblématiques
en Angola, au Congo-Kinshasa ou dans la Corne - leur déclenchement
semble marquer l’échec de toute une période, l’écroulement d’une
montagne d’efforts, avec le sentiment d’une pente toujours plus longue
et hasardeuse à remonter.
Au point d’entraîner déjà des
réactions de rejet dans l’opinion et les médias des pays du Nord, où -
tout en constatant n’avoir, cette fois, « rien à
voir » (5) dans ces conflits - on se résigne à
laisser
s’entretuer des communautés qui ne peuvent s’en empêcher, renouant avec
l’antique vision d’un continent de tribus et de guerriers. Mais aussi
en milieu africain, où percent le désarroi, l’incompréhension et la
honte parfois - une « image déprimante » du
continent,
affirmait récemment le secrétaire général de l’ONU, le Ghanéen Koffi
Annan -, où progresse aussi l’idée qu’après tout les abcès
doivent
se vider : « Laissons-les faire la guerre jusqu’à ce
qu’ils
s’en lassent, s’y épuisent, en meurent ou subissent la colère de leurs
peuples (6). »
Tout se passe comme s’il fallait
compter désormais avec plusieurs Afriques... L’une, à la dérive,
saignée par des guerres civiles ouvertes ou larvées, l’autre, bonne
élève des organismes internationaux, notamment financiers.
De tout jeunes « anciens
combattants »
La
première relève - quant à l’action internationale - de la gestion de
crise et de la solidarité humanitaire : des « zones
blanches » ou « grises », fonctionnant selon
le
« modèle des seigneurs de la guerre » (7),
dans un cadre
de non-droit et un climat de lutte pour la vie, où l’on s’aventure le
moins possible, où foisonnent les milices ou les sociétés privées de
sécurité (8), où triomphent la contrebande et l’informel, avec
parfois des îlots « utiles » autour d’une mine ou
d’une
plantation qui financent le pouvoir local, sa clientèle, ses guerres.
Les ressources minières - le diamant, surtout - ont été le nerf des
conflits en Angola, en République démocratique du Congo, au Liberia et
en Sierra Leone. Ailleurs, c’était l’ivoire (Angola, Mozambique), ou la
drogue (Rwanda)...
A nouveau, sur le continent, quand l’Etat -
pris dans l’étau de la dette et des mesures imposées par le Fonds
monétaire international (FMI) - ne paie plus les salaires des
fonctionnaires, et abandonne écoles, hôpitaux, transports,
« la
guerre est une alternative à une économie de paix qui ne nourrit
plus : la kalachnikov est le meilleur moyen de
production (9) ». Les laissés-pour-compte de l’exode
rural,
les jeunes « bricoleurs » des quartiers sont la chair
à canon
des guerres civiles. Beaucoup sont des enfants-soldats initiés très tôt
à l’horreur, parfois enrôlés de force, comme par l’Armée de résistance
du Seigneur, au nord de l’Ouganda : « Un crime sans
nom, qui
fait se consumer des générations entières (10) ».
Après
la déroute de leurs armées ou milices, ces tout jeunes
« anciens
combattants », le plus souvent livrés à eux-mêmes, deviennent
« coupeurs de route », détrousseurs de voyageurs
(comme sur
le rallye auto-moto du Dakar, en janvier dernier), ou assassins de
touristes (comme dans le parc naturel de Bwindi, en Ouganda, début
mars). Il est significatif que le mercenariat - traditionnellement
franco-belge, puis alimenté par les pays de l’Est européen -
s’africanise : des rescapés des putschs ou des guerres civiles
en
Gambie, Liberia, Sierra Leone ; des anciens des Forces armées
rwandaises et de la Légion islamique de Libye, d’ex-combattants des
fronts tchadiens ou touaregs proposent à leur tour leurs services,
notamment au Congo ex-Zaïre...
L’autre Afrique est en émergence,
parée des atours de la « bonne gouvernance », couvée
par la
Banque mondiale, courtisée par les investisseurs : regardés à
la
loupe par les afro-optimistes, quelques « pôles de
développements
bien ciblés et sécurisés (11) » qui - comme la Côte
d’Ivoire,
l’Ouganda, le Botswana - tentent de combiner stabilité politique, Etat
de droit, cadre macro- économique viable, abandon des
« mentalités
administratives » et soutien au secteur privé, réformes
économiques et sociales menées tambour battant ; et aspirent à
constituer autant de pôles régionaux de croissance.
Et,
entre ces deux Afriques, un marais de pays où l’Etat est encore une
réalité, mais qui risquent à terme de basculer dans le chaos, en raison
de la surcharge démographique, de la dégradation accélérée de
l’environnement et de l’absence d’espoir d’amélioration des conditions
de vie pour leurs habitants.
Dans son rapport sur les causes des
conflits et la promotion d’une paix et d’un développement durables en
Afrique (12), le secrétaire général de l’ONU,
M. Koffi Annan,
pointait certes le rôle des marchands d’armes ou des intérêts
étrangers, mais insistait sur « le rôle que certains
gouvernements
africains jouent pour soutenir, voire fomenter des conflits chez leurs
voisins », et relevait que la trentaine de guerres qui
s’étaient
déroulées sur le continent depuis 1970 avaient été en majorité
internes, même si elles avaient fait plus de la moitié des victimes de
conflits dans le monde entier, ainsi que plus de huit millions de
réfugiés et déplacés.
Les causes de ces affrontements sont
multiples : centralisation excessive du pouvoir politique et
économique, engendrant corruption et népotisme ; refus de
certains
dirigeants de rendre des comptes et d’accepter l’alternance politique,
en particulier dans les pays de la mouvance
« francophone » (13) ; mépris des
minorités ou, au
contraire, monopolisation du pouvoir par des groupes particuliers
(ethniques, régionaux, militaires, etc.), et absence de systèmes de
représentation efficaces ; coopération insuffisante de part et
d’autre de frontières qui séparent artificiellement une même
communauté ; disputes sur des tracés territoriaux hérités de
la
colonisation, pour un accès à la mer, au pétrole ou à d’autres
gisements de matières premières ; excès de certains budgets
militaires, difficultés du retour à la vie civile pour les
ex-combattants, insuffisance de contrôle de la circulation des armes
légères...
Pourtant, il faut se méfier de l’ « Illusion
d’optique », plaident certains observateurs. Une quarantaine
d’Etats sur cinquante-trois, et de vastes régions à l’intérieur de pays
en conflit, connaissent la paix. « C’est cette Afrique au
travail
qui compte », même si subsistent, dans certaines zones,
quelques
foyers de troubles, mais « de faible importance, qui affectent
peu
de monde, sont combattus, et par conséquent sont en voie de
résorption (14) ».
La crise au Congo
« démocratique », la famine au sud de la Somalie, le
rachat
d’esclaves au Soudan, les ravages de la corruption, les trafics de
diamants ou d’ivoire, la misère quasi générale des systèmes d’éducation
et de santé, les dégâts de la pandémie de sida (15),
l’effondrement des cours des matières premières (pour la plupart à leur
plus bas niveau historique, pétrole compris), la baisse continue de
l’aide publique au développement (16), la mobilisation plus
faible
des organisations non gouvernementales et leur désarroi, etc., ne
doivent pas « masquer le renouveau
africain (17) ».
Ainsi,
une douzaine de pays ont connu ces dernières années un taux de
croissance d’au moins 5 %, et le revenu par habitant a
progressé
nettement entre 1995 et 1997 pour plus de trente des cinquante-trois
Etats du continent. En tête du palmarès, l’Afrique du Sud, avec plus de
100 milliards de dollars de produit intérieur brut, en dépit d’un
ralentissement récent ; la vitalité des économies
nord-africaines
(y compris de l’Egypte), quelques « miracles » (comme
l’île
Maurice ou la Tunisie), et des pays performants : Botswana,
Ouganda, Ghana...
Une nouvelle génération de cadres et
d’entrepreneurs africains a surgi, de plain-pied avec la
mondialisation, la téléphonie, Internet, la langue anglaise, qui sont
parfois d’anciens hommes politiques ou syndicalistes reconvertis, comme
M. Cyril Ramaphosa en Afrique du Sud (18).
L’intégration
régionale a progressé à l’ouest, au sud, à l’est. Les partenaires se
diversifient, avec l’entrée en scène des Etats-Unis et du Japon, alors
que les relations jadis « obligatoires » avec les
anciennes
métropoles coloniales se banalisent. Certains secteurs d’activité
« explosent », en Afrique comme ailleurs -
électricité,
informatique, électroménager, télécommunications et médias, tourisme -
raccrochant peu à peu le continent, pour le meilleur ou parfois le
pire, au train de la mondialisation.
Le renouveau est également
politique. La « société civile » a fait irruption,
avec
l’extension du tissu associatif, la prise en charge de la sécurité ou
du développement par les habitants des quartiers et villages. Les
réformes se sont poursuivies dans une majorité d’Etats (parfois sous la
menace occidentale de couper les robinets de l’aide) :
élections,
transparence, société civile. Alors que le continent - Afrique du Nord
incluse - avait connu, entre 1952 et 1989, une soixantaine de coups
d’Etat, seize pays ont accédé au multipartisme entre 1990 et 1993, et
quarante-deux Etats ont à leur tête des dirigeants régulièrement élus
ou réélus - même si certains relèvent de la catégorie des
« dinosaures sortis des urnes (19) ». Il
n’est plus
question de revenir aux pratiques des années 60 : palais
gigantesques et autres « éléphants blancs », partis
« uniques », uniformes chamarrés et autres
bouffonneries...
Symboles
éclatants de cette évolution : M. Nelson Mandela, en
Afrique
du Sud, dont la longue résistance en détention contre l’apartheid a
fait un héros planétaire, passera la main au lendemain des élections
générales du 2 juin prochain, après un parcours presque sans faute. Au
Nigeria, les militaires ont organisé trois élections ces derniers mois,
dont celle d’un président de la République - M. Olusegun
Obasanjo
en a été proclamé vainqueur le 1er mars - et laissent officiellement la
place aux civils, en mai prochain, après dix ans de pouvoir chaotique,
tandis qu’est envisagée la réintégration de ce « géant de
l’Afrique » au sein du Commonwealth. En Algérie, une
nomenklatura
militaire usée semble sur le point de renoncer à son fonds de
commerce : la monopolisation du pouvoir, au nom d’une
indépassable
« légitimité historique ». Or, à eux seuls, ces trois
pays
totalisent près du tiers de la population du continent, la moitié de
son produit intérieur brut, un quart de ses ressources minières, un
cinquième de son pétrole...
C’est aussi, sur le plan de la
sécurité, face à « ces conflits auparavant "surdéterminés" par
la
guerre froide, [qui] ne sont plus canalisés par des puissances
extérieures (20) », une prise en main des opérations,
de plus
en plus, par les Etats africains eux-mêmes : le déploiement
des
unités de l’Ecomog (21) ouest-africaine en Sierra Leone, au
Liberia, en Guinée-Bissau ; une force interafricaine patronée
par
l’ONU en République centrafricaine ; l’Organisation de l’unité
africaine (OUA) qui tente de dénouer l’imbroglio comorien et de ramener
la paix entre l’Ethiopie et l’Erythrée.
Coopération
militaire ou mercenariat d’Etat
Bien
que les Français - et a fortiori les Américains (22) - ne
souhaitent plus assumer le rôle de « gendarmes de
l’Afrique », certaines de ces opérations sont menées avec
l’appui
occidental. Sous le patronyme de Recamp - Renforcement des capacités
africaines de maintien de la paix -, Paris veut étrenner les
habits neufs de sa coopération militaire : entraînement des
unités
et formation des cadres (avec l’ouverture, cette année, d’une école en
Côte d’Ivoire) ; prépositionnement de matériels logistiques ou
de
combat (utilisés lors des manoeuvres ouest-africaines
« Guidimakha », au Sénégal, en mars 1998, ou lors des
opérations d’interposition entre belligérants en Centrafrique et en
Guinée-Bissau).
Les Etats-Unis, sous l’étiquette ACRI - African
Crisis Response Initiative (Initiative de réaction aux crises
africaines) -, entraînent les unités de plusieurs pays
volontaires, dont le Mali, le Malawi, l’Ouganda et le
Sénégal ; et
des troupes américaines participent, ce mois d’avril, à la campagne
d’exercices de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC).
Mais,
sans attendre les aides ou mandats, des pays africains voisins prennent
de plus en plus les devants : sept Etats sont présents
militairement au Congo-Kinshasa, au côté du président Kabila, ou en
appui aux rebelles du Kivu ; l’armée angolaise s’est portée au
secours du régime du président Sassou Nguesso, au Congo-
Brazzaville ; les armées sénégalaise et guinéenne étaient
entrées
en Guinée-Bissau, avant de laisser la place à l’Ecomog, derrière
laquelle on discerne le rôle dominant - et les arrière-pensées
régionales - du Nigeria ; la Tanzanie s’est impliquée
diplomatiquement dans l’organisation du boycottage économique et des
négociations de paix au Burundi.
Toutes ces entreprises ne sont
pas sans danger : tentés par le « mercenariat
d’Etat »,
le Tchad, le Zimbabwe, envoient - sur simple décision de leurs
présidents - des corps expéditionnaires dans des pays dont ils ne sont
même pas frontaliers. Certaines opérations, au Congo-Brazzaville, par
exemple, dégénèrent en actions de police intérieure au service d’un
chef d’Etat ami (comme cela a été longtemps, et à juste titre, reproché
aux interventions militaires françaises). Et l’Ecomog ouest-africaine -
seule force d’intervention régionale « officielle » -
passe
souvent pour le « prototype du contre-
exemple (23) »,
en raison de l’influence démesurée qu’y exerce le Nigeria.
En
mars 1998, au cours de sa première tournée sur le continent noir, le
président américain, M. William Clinton, avait salué l’
« esprit constructif » des pays du bloc de la
« renaissance africaine », ses nouveaux alliés dans
la
place ; mais, quelques mois plus tard, la plupart avaient
repris
les sentiers de la guerre. Le slogan « Une solution africaine
aux
problèmes africains », « qui cache mal le
désengagement
militaire occidental, ne doit pas ouvrir la voie aux ingérences menées
sans contrôle démocratique », estime l’ancien ministre
mauritanien
Ahmedou Ould Abdallah.
L’OUA,
dont le siège est à Addis-Abeba, n’a pu empêcher l’Ethiopie d’entrer en
guerre avec l’Erythrée, pas plus qu’elle n’a été en mesure de mettre
sur pied la force d’interposition dont elle rêvait pour ramener la paix
au Congo ex- Zaïre. Son ambitieux « mécanisme de prévention,
de
gestion et de règlement des conflits » est resté une coquille
vide, faute de pouvoir prendre des décisions politiques, puis de les
appliquer. Et l’organisation panafricaine - tout comme l’ONU, dont le
retrait d’Angola apparaît comme un énorme échec - en est réduite au
rôle peu glorieux de fournisseur de labels et de mandats pour légitimer
sur le tard, une fois les crises consommées, des initiatives militaires
ou diplomatiques dont elle ne détient pas la clé.
Philippe
Leymarie
Journaliste à Radio France Internationale..
Août
2008
(1) Avec l’empereur d’Ethiopie, le régime d’apartheid sud-africain, ou
le pouvoir du maréchal Mobutu Sese Seko au Zaïre.
(2) En Afrique, le standard moyen de « l’arme
lourde » est plutôt le mortier.
(3)
Après le Somaliland, au nord, l’Etat du Puntland, au centre et
nord-est, s’est proclamé à son tour indépendant. Son site
Internet : www.puntlandnet.com.
(4) Albert Bourgi, Jeune Afrique, 16 février 1999.
(5)
Une inclination contre laquelle s’efforcent de lutter les Billets
d’Afrique et d’ailleurs, rédigés avec passion par François-Xavier
Verschave, Lettre mensuelle de l’association Survie, 57, avenue du
Maine, 75014 Paris.
(6) Bechir Ben Yahmed, « Il faut boycotter les
va-t-en-guerre », Jeune Afrique, 16 février 1999.
(7)
Serge Michaïlov, directeur des opérations pour l’Afrique centrale à la
Banque mondiale, lors d’un colloque sur « La nouvelle
politique
africaine de la France », à l’Assemblée nationale, le 25
novembre
1998.
(8) Air France, comme d’autres compagnies étrangères, a passé
un contrat avec une société privée, chargée d’assurer la sécurité de
ses escales africaines.
(9) Stephen Smith, « L’Afrique aux Africains... en
armes », Libération, 29 novembre 1998.
(10) Dossier de L’Autre Afrique, 10 février 1999.
(11) Antoine Glaser, La Lettre du continent, janvier 1999.
(12) Rapport présenté au Conseil de sécurité, le 16 avril 1998.
(13)
Parmi les nombreux pays « à problèmes » :
Guinée,
Djibouti, Centrafrique, Tchad, Togo, Niger, Cameroun, et même Côte
d’Ivoire où le pouvoir actuel tente d’écarter de la course
présidentielle en l’an 2000 l’ancien premier ministre Alassane
Ouattara, en lui opposant un article sur mesure, opportunément ajouté à
la Constitution.
(14) Bechir Ben Yahmed, Jeune Afrique, 7 février 1999.
(15)
Près des deux tiers des personnes infectées dans le monde vivent en
Afrique noire. En 1998, le sida a tué deux millions d’Africains, dont
un quart d’enfants.
(16) Le comité d’aide au développement de
l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)
relève que les pays du G7, les plus riches et les principaux
contributeurs, ont diminué leur aide de 30 % depuis 1992. En
France, selon le rapport de M. Yves Tavernier, l’aide publique
bilatérale est en chute libre : 24 milliards de francs en
1994, 16
milliards en 1998.
(17) Ahmedou Ould Abdallah, secrétaire exécutif de la Coalition
mondiale pour l’Afrique, Libération, 29 janvier 1999.
(18)
Jeune Afrique Economie, 15 février 1999. Voir aussi « Patron
noir
et or sud-africain », Le Monde diplomatique, mai 1998.
(19)
Martine-Renée Galloy et Marc-Eric Gruénais, « Des dictateurs
africains sortis des urnes », Le Monde diplomatique, novembre
1997.
(20) Stephen Smith, op. cit.
(21)
Ecowas Cease-Fire Monitoring Group (Groupe de la communauté des Etats
d’Afrique de l’Ouest chargé du contrôle et de la mise en oeuvre du
cessez-le-feu).
(22) Leur seule action de terrain au sol, en Somalie, avait été un
cuisant échec.
(23) Jean- Baptiste Placca, L’Autre Afrique, 18 février 1998.
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