L'Arménie et la Turquie établissent des relations diplomatiques
Par Guillaume Perrier
Jusqu'au
dernier moment, la signature d'un accord entre la Turquie et l'Arménie
est demeurée incertaine. C'est le ministère russe des affaires
étrangères, à Moscou, qui a confirmé, jeudi 8 octobre, que le protocole
serait paraphé par les deux pays samedi 10 octobre, à Zurich, en
Suisse. Quelques heures plus tard, la secrétaire d'Etat américaine,
Hillary Clinton, annonçait sa présence à cette cérémonie.
Pressés
par les grandes puissances de s'entendre, les gouvernements arménien et
turc vont signer un document qui prévoit la normalisation de leurs
relations, l'échange de missions diplomatiques et la réouverture, dans
un délai de deux mois, de leur frontière commune, fermée depuis 1993.
L'accord, signé sous les auspices de la Suisse, devra ensuite être
ratifié par les parlements des deux pays avant d'entrer en vigueur.
"J'espère que le projet de loi sera envoyé à l'Assemblée quelques jours
après la signature par le gouvernement", a déclaré le député du Parti
de la justice et du développement (AKP), au pouvoir en Turquie, Murat
Mercan, partisan de l'ouverture. "Une fois signé, cela n'aurait aucun
sens de le retarder plus longtemps."
De part et d'autre, les
responsables politiques restent d'une extrême prudence compte tenu des
vives oppositions que ce rapprochement historique continue de susciter.
Le président arménien Serge Sarkissian n'a d'ailleurs pas confirmé sa
visite en Turquie, le 14 octobre, à Bursa, à l'occasion du match de
football qualificatif pour la Coupe du monde 2010.
M. Sarkissian
rentre d'une tournée épuisante dans les principaux foyers de la
diaspora arménienne. En France, aux Etats-Unis et au Liban, le chef de
l'Etat a été interpellé par les associations proches du parti
nationaliste arménien Dachnak, qui s'oppose au rapprochement. A Paris,
il a été malmené par quelques centaines de manifestants mais a par
ailleurs reçu le soutien de Charles Aznavour, le chanteur d'origine
arménienne. Les réserves au sein de la diaspora et, dans une moindre
mesure, en Arménie, expriment la crainte d'un recul sur la question du
génocide de 1915, dénomination toujours contestée par la Turquie.
Le
cadre de la future coopération entre les deux pays prévoit, en des
termes très vagues, la création de sept sous-commissions consacrées,
pour la plupart à des sujets consensuels : échanges commerciaux,
énergie, éducation, environnement, protection du patrimoine... Mais
aussi une commission historique, chargée d'étudier "de manière
scientifique et impartiale les données historiques et les archives pour
définir les problèmes actuels", sans parler formellement de 1915.
L'autre
sujet de discorde à surmonter pour les deux voisins est celui du
Haut-Karabakh, une province séparatiste d'Azerbaïdjan à majorité
arménienne, soutenue par Erevan et objet d'un conflit qui a fait plus
de 30 000 morts dans les années 1990. C'est pour appuyer son allié
azéri et étouffer l'Arménie, qu'Ankara avait fermé sa frontière en
1993. Seize ans plus tard, la question est loin d'être réglée en dépit
de progrès. Serge Sarkissian et son homologue d'Azerbaïdjan Ilham
Aliev, se sont rencontrés jeudi soir, en Moldavie pour évoquer le
processus de paix. Le président azéri avait estimé avant l'entrevue
qu'il observait "une dynamique positive" et que les négociations
étaient "entrées dans leur phase finale".
En Turquie aussi, la
politique d'ouverture du gouvernement est attaquée par l'opposition
nationaliste, qui lui reproche de brader les intérêts de l'Azerbaïdjan,
pays de souche turque. Bien que le document signé à Zurich n'en fasse
pas mention, le premier ministre Recep Tayyip Erdogan affirme que la
frontière ne rouvrira pas sans un retrait des troupes arméniennes des
"territoires occupés". "Bien sûr, nous aimerions voir des progrès, mais
nous n'espérons pas que la question soit résolue aujourd'hui", a
commenté pour sa part Ahmet Davutoglu, le ministre des affaires
étrangères.
Novembre 2009
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