Afghanistan : Hamid Karzaï plaide pour la "réconciliation"
Par Natalie Nougayrède
Hillary
Clinton, en fin de journée, jeudi 28 janvier, a demandé à quatre femmes
afghanes de se lever dans l'auditoire. La secrétaire d'Etat américaine
a rendu hommage à leur activité de militantes de la société civile
veillant à ce que "les femmes jouent pleinement leur rôle en
Afghanistan". L'allusion était claire : tendre la main aux talibans
est, peut-être, la nouvelle idée des Occidentaux pour s'extirper d'un
conflit de huit ans, mais elle agite aussitôt le spectre d'un retour
aux pratiques obscurantistes que l'intervention militaire occidentale
de 2001 était censée avoir balayées à jamais.
Soixante-dix
délégations d'Etats et d'organisations internationales étaient réunies
à Londres pour discuter de la stratégie en Afghanistan, à l'invitation
de Gordon Brown. Le premier ministre britannique se prépare à affronter
des élections législatives difficiles au printemps, alors que
l'insurrection talibane, en pleine expansion, a coûté la vie à une
centaine de soldats britanniques en 2009. Le président afghan Hamid
Karzaï, lui, cherche à se relégitimer après une période électorale
chaotique et des frictions avec l'administration Obama. Celle-ci veut
trouver le moyen de réduire son contingent dès 2011.
Les
ingrédients étaient donc réunis pour afficher une volonté générale
d'accélérer le transfert de la sécurité aux Afghans, préalable
indispensable à un désengagement des Occidentaux - pour lequel aucune
date n'est cependant évoquée. Pour faciliter ce transfert, un accent
nouveau est mis sur les efforts visant à "retourner" des combattants
talibans. Il s'agit d'offrir de l'argent à des paysans pachtounes
poussés vers l'insurrection par la pauvreté plus que par l'adhésion
idéologique.
Un
Fonds pour la paix et la réintégration, appelé à recueillir jusqu'à 500
millions de dollars (358 millions d'euros), sera créé. Le président
Karzaï entend, par ailleurs, convoquer une grande assemblée
traditionnelle (Loya Jirga) pour discuter de la "paix". Elle doit se
tenir avant une autre conférence internationale sur l'Afghanistan,
prévue à Kaboul au printemps.
Cependant le communiqué final de
la conférence de Londres ne va pas jusqu'à approuver expressément
l'idée d'engager un dialogue avec les chefs talibans. Le consensus
n'existe pas sur le sujet. "Il y a différentes sensibilités", note un
diplomate européen. Hamid Karzaï avait laissé entendre qu'il était prêt
à parler au mollah Omar, suscitant aussitôt des réserves côté
occidental.
Mais le président afghan bénéficie du soutien
manifeste du représentant spécial de l'ONU en Afghanistan, le Norvégien
Kai Eide, qui arrive en fin de mandat. Celui-ci, selon la presse
britannique, a rencontré début janvier, dans un émirat du Golfe, des
représentants de la Choura de Quetta, qui regroupe des chefs talibans
afghans réfugiés au Pakistan. M. Karzaï insiste de son côté sur le rôle
que pourrait jouer le roi d'Arabie saoudite dans un processus de paix.
Selon
Kai Eide, un premier sujet de discussion avec la faction talibane
pourrait porter sur "la liste des détenus dans la prison de Bagram". En
retour, les talibans devraient s'engager à respecter les droits des
femmes. "On ne peut mener un processus politique au détriment des
valeurs fondamentales, c'est une ligne rouge", a-t-il déclaré.
A
Londres, il a surtout été question de "réintégration" de combattants
talibans de base, à condition qu'ils renoncent à la violence,
respectent la Constitution afghane et "coupent les liens avec
Al-Qaida". Le communiqué final ne mentionne qu'une seule fois la
"réconciliation", notion qui suppose d'impliquer des dirigeants
talibans.
Sur
ce sujet, Hillary Clinton est restée prudente. "On ne fait pas la paix
avec ses amis", a-t-elle d'abord répondu à la presse, avant de recadrer
le débat : "Ce que nous attendons du processus, c'est que beaucoup de
combattants de base quittent les rangs des talibans. Nous leur offrons
une alternative aux paiements qu'ils reçoivent des talibans", a-t-elle
dit en faisant une comparaison avec les changements d'allégeance en
Irak.
La conférence a fixé des principes, mais pas de calendrier
contraignant concernant le rôle croissant des forces afghanes sur le
terrain. Le transfert de responsabilités "province par province" aux
troupes afghanes pourrait commencer "fin 2010-début 2011", mais
seulement "si les conditions sont réunies". La coalition internationale
dépassera, cette année, les 140 000 hommes. Les forces afghanes, selon
l'objectif évoqué à Londres, devraient atteindre les 300 000 hommes,
police et soldats confondus, "avant octobre 2011". "Cette conférence
marque le début de la transition", a proclamé Gordon Brown.
Janvier 2010
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