Le Soudan et le Tchad se rapprochent après sept années de conflit
Par Jean-Philippe Rémy



Pendant sept ans, Idriss Déby, le président tchadien, avait fait figure d'homme à abattre pour le pouvoir soudanais, qui a consacré des centaines de millions de dollars à équiper des rebelles pour tenter de le chasser du pouvoir. Cette guerre de sept ans, menée par procuration par le Tchad et le Soudan en utilisant leurs rebelles mutuels, et dont le dispositif de mise à feu avait été la crise du Darfour, vient de prendre fin sous sa forme actuelle. Mardi 9février, Idriss Déby a quitté Khartoum après une visite de deux jours destinée à sceller la fin de ce conflit, qui a été à deux doigts d'emporter les chefs d'Etat dans les deux capitales.

LTerminés, les rezzous (raids) de rebelles tchadiens jusqu'à N'Djamena? Terminés les rezzous de rebelles soudanais jusqu'à Khartoum ? Les deux capitales s'étaient d'abord entourées de fortifications pour tenter d'arrêter les futures vagues de pick-up de rebelles arrivant après des courses de plusieurs milliers de kilomètres. Cette fois, c'est un accord qui doit mettre fin au cycle des attaques.

Les négociations directes entre le Tchad et le Soudan avaient commencé en octobre2009. Elles ont permis la signature, le 15janvier, d'un accord
de normalisation entre les deux pays ainsi qu'un Protocole additionnel de sécurisation des frontières, essentiel pour instaurer la confiance. Le texte, dans sa version française, précise que le Tchad doit "mettre un terme à toute présence, à tout soutien et à toute action hostile des groupes rebelles soudanais contre le Soudan, à partir du territoire tchadien".

Dans ce cadre, les rebelles soudanais de la région du Darfour ont jusqu'au 21février pour quitter le territoire tchadien. Cela concerne plusieurs groupuscules qui entretiennent des relations familiales au Tchad, mais surtout le Mouvement pour la justice et l'égalité (JEM) de Khalil Ibrahim, le plus puissant d'entre eux, qui a rencontré deux fois à N'Djamena Ghazi Salahuddin Atabani, conseiller spécial du président soudanais, Omar Al-Bachir, en charge du dossier Darfour.

Parallèlement, le sort des rebelles tchadiens installés au Soudan doit être scellé rapidement. Une semaine avant la visite d'Idriss Déby, les principaux chefs rebelles tchadiens ont été convoqués à Khartoum "par des responsables du renseignement, pas même par des responsables politiques", selon une source bien informée, et se sont vu offrir un nombre limité d'options: "Se rallier (à N'Djamena) ou partir." Le Soudan se préparerait à expulser une partie de ces rebelles présents sur son sol. Dans un premier temps, il leur serait demandé d'évacuer leurs camps. Longtemps localisés dans les environs d'Al-Geneina, près de la frontière tchadienne, ces camps ont été reculés à l'intérieur du Darfour, jusqu'aux environs d'Al-Facher, pour échapper aux frappes aériennes de la nouvelle aviation tchadienne, pilotée par des mercenaires.

C'est aussi à Al-Geneina que devrait s'installer la Commission bilatérale conjointe militaro-sécuritaire chargée de surveiller, avec 3000hommes, une frontière longue de 2000kilomètres et éviter les incursions des groupes armés de part et d'autre du Darfour.

En dépit de la volonté des deux pays à normaliser leurs relations, qui sait de quoi l'avenir sera fait? "La paix? Ce serait trop dire. Parlons plutôt d'un pacte de non-agression, d'une entente entre deux régimes sans légitimité qui se sont trouvé des intérêts conjoints, jusqu'à ce que les circonstances changent", note un observateur régional familier des deux capitales.

Plusieurs facteurs ont concouru à faciliter la détente entre les deux pays. Le président tchadien, arrivé au pouvoir à la tête d'une rébellion parrainée – déjà – par le Soudan en 1990, a consacré plus de 500millions de dollars des recettes pétrolières nationales à des équipements militaires. Les attaques rebelles, en 2009, ne sont pas parvenues à dépasser l'est du Tchad. Idriss Déby s'est renforcé militairement mais son bilan intérieur est catastrophique. Son pays reste enferré dans la misère. L'un de ses principaux opposants, Ibni Omar Mahamat Saleh, a été assassiné par ses hommes. La démocratie tchadienne est un champ de ruines. Enfin, les liens entretenus par Khalil Ibrahim avec des responsables militaires tchadiens susceptibles de concurrencer le président sont de sérieux motifs d'inquiétude. En faisant la paix avec Khartoum, Idriss Déby neutralise ce risque et s'engage dans la voie d'une tentative de légitimation électorale, avec des législatives prévues en 2010 et une présidentielle en 2011.

Au Soudan, deux échéances d'importance approchent: élections générales en avril, puis référendum d'autodétermination du Sud en janvier2011. La première phase est conçue à Khartoum comme une chance de réhabilitation interne du président Bachir, poursuivi par la Cour pénale internationale (CPI) pour les crimes du Darfour. Protégé par l'Union africaine et une partie de ses pairs, très opposés à la CPI, Omar Al-Bachir doit donner des gages de bonne volonté. Dans ce cadre, il est devenu dangereux de continuer à lancer des attaques vers N'Djamena.

La paix dans la région du Darfour, et donc avec le voisin tchadien, même fragile, reste pour Khartoum la meilleure façon de se concentrer entièrement sur le Sud et sur la menace de sécession. C'est aussi l'option retenue par les Etats-Unis et la Chine, qui voudraient voir régler au plus vite la question du Darfour pour aborder la question Nord-Sud en limitant les risques de conflits. Dans l'intervalle, aucun des problèmes de fond n'est réglé au Darfour, mais aussi dans les deux capitales ennemies qui viennent de s'engager dans cette paix de compromis. "Les raisons de fond du conflit au Darfour – solidarités sociales et ethniques par-delà les frontières – demeurent. Elles échappent à la volonté des protagonistes", analyse Roland Marchal, chercheur au Centre d'études et de recherches internationales (CERI, Sciences Po).

Février 2010

Abonnez-vous au Monde


Retour aux Conflits

Retour au Sommaire

France
Europe
UniversitÈs
Infos
Contact