Six pays
africains s'engagent à mettre fin au recrutement des enfants soldats
Par Brigitte Perucca
A défaut de
signer la paix, protéger les enfants. Dans une déclaration signée
mercredi 9 juin, au terme de deux jours de conférence à N'Djamena, au
Tchad, six pays africains – le Cameroun, la Centrafrique, le Niger, le
Nigeria, le Soudan et le Tchad – se sont engagés à ce qu'"aucun enfant
de moins de 18 ans ne prenne part, directement ou indirectement, à des
hostilités et, le cas échéant, de prévenir toute forme de recrutement".
Les signataires ont également promis de ratifier le protocole
additionnel à la Convention des droits de l'enfant de l'ONU concernant
l'implication d'enfants dans les conflits armés. Le Tchad et le Soudan
ont d'ores et déjà signé et ratifié ce texte. Le Cameroun et le Nigeria
l'ont signé mais pas ratifié. La République centrafricaine et le Niger
ne l'ont ni signé ni ratifié.
EXTRAIRE
LES ENFANTS ENRÔLÉS
Alors que la dernière conférence concernant les enfants-soldats sur le
territoire africain remonte à 1997 à Captown (Afrique du Sud), cet
"accord" en treize points – dont une stratégie transfrontalière contre
la prolifération et le trafic d'armes légères – représente un pas en
avant non négligeable. C'est aussi et surtout, estime Marzio Babille,
représentant de l'Unicef au Tchad, "un point d'appui" important
notamment pour les organisations humanitaires qui tentent d'extraire
les enfants enrôlés dans les armées nationales et dans les milices des
groupes rebelles.
Parmi les points de l'accord, les pays ont acté le fait que "le crime
que constitue le recrutement d'enfants par les forces et les groupes
armés ne sera pas intégré aux lois d'amnistie" éventuellement adoptées
par les pays.
Selon le dernier rapport annuel des Nations unies "sur les enfants et
les conflits armés", entre 250000 et 300000 enfants sont impliqués dans
les conflits sur l'ensemble de la planète. Le chiffre ne varie guère
d'année en année.
Ce recrutement massif d'enfants-soldats n'est pas l'apanage exclusif de
l'Afrique : le Népal, le Myanmar, l'Afghanistan, la Colombie et
d'autres comptent nombre d'enfants enrôlés dans les troupes "rebelles"…
Mais il atteint une dimension inquiétante sur le continent noir, où
serait recruté un tiers des enfants-soldats. Au Tchad, par exemple, on
estime que "5 à 7% des forces rebelles sont constituées de mineurs",
assure Marzio Babille. En Centrafrique, 1230 enfants ont été
démobilisés ces trois dernières années, ce qui donne, par défaut, une
mesure de l'ampleur de leur présence.
Combattants souvent, ils sont aussi cuisiniers, chasseurs, intendants.
Les filles ne se sont pas épargnées, "utilisées" en plus du reste au
titre d'esclaves sexuelles. Chaque nouvel épisode d'insécurité se solde
par une recrudescence du recrutement d'enfants soldats. Un phénomène
qui a encore été observé récemment par l'Unicef en Guinée après le
putsch de Conakry, et notamment en Guinée forestière, témoigne Joachim
Theiss, conseiller régional pour la protection des enfants de l'Unicef
en Afrique de l'Ouest et du Centre. Car les enfants des zones les plus
isolées, de même que les plus démunis, sont les cibles privilégiés des
rebelles en quête de bras.
BATAILLE
SUR LES MENTALITÉS
Ces dernières années, les organisations humanitaires, parfois aidées
par les autorités, ont entrepris un travail de prévention sur le
terrain, dans les armées régulières, dans la police, dans les groupes
rebelles et, surtout, dans les communautés mais aussi des actions de
réinsertion, particulièrement difficiles dans des pays où l'offre
d'éducation et de formation est insuffisante.
Au Tchad, qui est aussi le pays où 800 enfants soldats ont été retirés
des griffes des milices depuis 2007, cette prévention passe par une
"sensibilisation" régulière délivrée aux militaires du rang, rappelle
Madame Ngarmbatina Odjimbeye Soukate , ministre des affaires sociales.
"Nous leur rappelons les engagements internationaux et ceux du pays et
abordons toutes les questions, y compris celle des abus sexuels",
explique M. Theiss, dont l'organisation collabore avec Save the
Children sur ce type de "formations".
Une même démarche a été entreprise auprès des groupes rebelles. "Nous
négocions directement avec les groupes armés au Tchad et au Soudan. Nos
contacts nous permettent d'inspecter des sites", raconte M. Babille.
Dans ces zones, la notion de frontière "n'existe pas", le recrutement
étant "un élément tribal, ethnique", poursuit-il. D'où la nécessité
d'utiliser aussi le relais des chefs traditionnels, comme le note
Madame Ngarmbatina Odjimbeye Soukate.
Mais la prévention la plus payante à moyen terme est sans doute celle
qui s'effectue auprès des familles qui, outre le fait qu'elles
perçoivent souvent de l'argent quand un enfant est enrôlé, sont encore
trop souvent persuadées que "pour devenir un homme, il faut avoir été
un combattant". L'Unicef a entrepris depuis deux ans une telle campagne
avec Care international, Jesuit Refugee Service et la Croix-Rouge
internationale, essentiellement sur les fonds des ONG. La bataille sur
les mentalités, qui est la plus importante, sera sans doute la plus
difficile à remporter.
Juin 2010
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