La Tunisie a déjà gagné
Par Akram Belkaïd de Slate Afrique
Les Occidentaux s'inquiètent du péril islamiste. Mais il faut d'abord constater que la transition démocratique est une réussite.
Personne n’est vraiment capable de dire quel sera le résultat du
scrutin de ce dimanche 23 octobre où les Tunisiens et les Tunisiens
sont appelés à voter pour désigner leur Assemblée constituante.
Personne non plus n’est capable de dire comment vont se dérouler
ensuite les travaux de cette future Assemblée qui aura un an pour
élaborer le texte fondateur de la Deuxième république tunisienne.
Depuis plusieurs semaines, les médias, notamment occidentaux ne se
posent d’ailleurs pas trop cette question.
«Les barbus, ça fait vendre coco»
Comme à leur habitude, ils ne se préoccupent que de la question des islamistes («les barbus, ça fait vendre coco»).
Ces islamistes sont-ils gentils? Sont-ils méchants? Vont-ils jouer le
jeu de la démocratie? Le parti Ennahda, qui se réclame de l’AKP turc,
ne pratique-t-il pas le double langage? Ne va-t-il pas sombrer dans la
surenchère vis-à-vis du courant salafiste qui cherche à le déborder sur
sa droite? Autant d’interrogations à la fois normales au vu des
incidents récents comme l’attaque du siège de la télévision Nesma par
des islamistes ulcérés par la diffusion du film Persepolis mais aussi
partiales car elles tendent à faire passer sous silence les succès de
la transition tunisienne.
Il sera toujours temps d’aborder la question du défi islamiste,
peut-être même dès le lundi 24 octobre au matin. En attendant, il est à
la fois juste et important de rendre hommage aux autorités de
transition qui ont gouverné la Tunisie au cours de ces derniers mois.
Certes, il y a eu des insuffisances et quelques dérapages. Ainsi, Béji
Caïd Essebsi (BCE), le chef du gouvernement transitoire, semble avoir
pris goût au pouvoir et aimerait bien, affirme-t-on à Tunis, rempiler
alors que lui et ses ministres se sont engagés à se retirer dès
l’élection de la nouvelle Assemblée.
Véritable tour de force
On peut aussi citer à l’envi de nombreux événements – arrestations
arbitraires, violences policières – qui ont démontré que l’ancien
pouvoir et ses mauvaises habitudes n’avaient pas totalement disparu.
C’est évident, la démocratie et le respect des droits de la personne
humaine ont encore des progrès à faire.
Exemple dans le monde arabe
Il n’empêche. La Tunisie vient de réaliser un véritable tour de force
qui mérite d’être salué. En quelques mois, ce pays a digéré la chute
d’un régime implacable qui régentait toute la société. Mieux, ce pays a
mis en place, sans grands heurts, un processus institutionnel qui aura
valeur d’exemple dans le monde arabe. En effet, les choses auraient pu
mal tourner ne serait-ce qu’en raison d’un contexte géopolitique
incertain avec la guerre en Libye. Peu aidée financièrement par
l’Occident ou même les autres pays arabes, la Tunisie a aussi encaissé
un choc économique violent, avec notamment une baisse supérieure à 50%
des recettes touristiques ainsi qu’un décrochage des exportations à
destination de l’Europe.
De plus, elle a été obligée de compter sur ses propres forces pour
accueillir et nourrir des dizaines de milliers de réfugiés libyens
quand, en Europe, certains dirigeants démagogues s’émouvaient de
l’arrivée de quelques centaines de clandestins tunisiens dans l’île de
Lampedusa.
Mission accomplie
Tout cela aurait pu générer le chaos et une instabilité aussi
importante que celle que connaît actuellement l’Egypte. Il n’en n’a
rien été.
Mission accomplie donc pour le gouvernement de «BCE» mais aussi pour
deux autres instances qui ont joué un rôle déterminant. La première est
la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution,
de la réforme politique et de la transition démocratique. Présidée par
le juriste Iyadh Benachour, cette institution a été créée le 15 mars
dernier et a terminé ses travaux le 13 octobre. Comptant plus de 155
membres, dont les représentants de douze partis politiques, ses acquis
et apports sont nombreux malgré de nombreuses chicaneries: Stricte
parité hommes-femmes sur les listes électorales (une première mondiale
et pas simplement arabe), exclusion des ex-membres du RCD, l’ancien
parti au pouvoir et des personnalités ayant appelé Ben Ali à se
représenter en 2014, rôle modérateur dans les tensions entre partis
politiques, mise en place de règles claires en matière de financement
de ces mêmes partis, l’Instance présidée par Benachour a ainsi donné un
avant-goût de ce que pourrait être la démocratie tunisienne.
Un progrès énorme
De même, cette instance a aussi préparé le terrain au vote pour la
Constituante en permettant la création de l'Instance supérieure
indépendante pour les élections (ISIE), l’autre organe qui a joué un
rôle important durant la transition. Dans un pays habitué à des votes
systématiquement truqués, l’ISIE a promis un scrutin transparent et
honnête, ce qui est un progrès énorme même s’il faudra attendre
dimanche soir pour établir son bilan définitif.
En matière de sciences politiques, l’étude des transitions
démocratiques est un vaste domaine puisqu’il couvre des cas qui vont de
l’Amérique latine aux pays européens de l’ex-bloc de l’est. Jusque-là,
le monde arabe était bien en peine de mettre en avant une expérience à
la fois concluante et significative. C’est chose faite avec le cas
tunisien et c’est déjà une victoire pour un peuple qui a eu le courage
de mettre fin à un régime tyrannique.
Octobre 2011
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