Silence ! Massacre à huis clos en Syrie
Par Akram Belkaïd de Slate Afrique
Le drame syrien dure depuis neuf mois. Que fait la communauté internationale ?
Le drame du peuple syrien, confronté à la sauvagerie d'un
régime bien décidé à ne rien lâcher (car ses dirigeants savent que
c'est leur survie physique qui est en jeu) démontre une nouvelle fois
l'impuissance de la communauté internationale à imposer la paix dans
une telle situation. Bien entendu, chacun a aujourd'hui l'exemple
libyen en tête. Pourquoi ne pas bombarder les tueurs d'Assad? Pourquoi
ne pas larguer des bombes sur son palais de Damas ou sur ses tanks qui
sèment le chaos à Hama ou à Homs? Telles sont les questions que l'on
entend fréquemment.
Un précédent, la Libye
Commençons par aborder ce dernier point en relevant que ce sont les
circonstances de la chute de Kadhafi qui permettent à Assad de se
maintenir au pouvoir. En effet, aucune intervention étrangère ne semble
possible, du moins pour l'heure et sous l'égide de l'Onu. Pour avoir
forcé la main à la Chine et à la Russie dans le cas libyen et pour les
avoir «entourloupés» en allant bien plus loin que ce que prévoyait la
résolution 1973 – laquelle, rappelons-le, n'a jamais stipulé qu'il
fallait faire tomber le régime de Kadhafi (ni tuer ce dernier) – les
Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne savent que ces deux pays
opposeront leur veto à toute action militaire contre la Syrie. Dans un
monde de plus en plus multipolaire, on ne joue pas impunément avec la
légalité internationale sans en subir les conséquences quand bien même
représenterait-on les principales forces de frappe de l'Otan.
L'entrée en scène de la Ligue arabe
Dès lors, et conscientes de leur faible marge de manœuvre, les
capitales occidentales en appellent à la Ligue arabe pour qu'elle
impose des sanctions à Damas. Cela vient d'être accompli et il faut
signaler la célérité avec laquelle la Ligue a agi, elle qui, prend
habituellement son temps pour ne rien décider au final. De cela, on
peut d'ores et déjà tirer un enseignement. Au sein de la Ligue arabe,
ce sont les pays du Golfe, Qatar et Arabie Saoudite en tête, qui mènent
désormais la danse. Ni l'Egypte, confrontée à ses propres problèmes
internes, ni les pays du Maghreb ne semblent aujourd'hui capables de
contenir la volonté de Doha et de Riyadh ou d'imposer des solutions
alternatives. La crise syrienne nous montre donc que les pays du Golfe
ont pris le pouvoir et que leur influence ne se limite plus uniquement
à leur capacité d'ouvrir leur carnet de chèques ou à faire passer des
messages via Al-Jazeera ou Al-Arabiya.
A quoi servent des sanctions qui ne sanctionnent pas ?
Revenons maintenant à cette question des sanctions. Dans le cas syrien,
comme pour d'autres crises précédentes, elles ressemblent fort à un
remède dont on sait qu'il n'aura aucun effet sur le mal. C'est un
pis-aller que l'on prescrit parce qu'il faut bien faire quelque chose
et que cela permet d'éviter d'être accusé d'immobilisme et
d'indifférence à l'égard des souffrances des Syriens. Pour autant, tout
le monde sait que les sanctions ne sont guère efficaces. Les exemples
irakien, nord-coréen et iranien (on peut aussi citer le cas
zimbabwéen), démontrent d'ailleurs que c'est d'abord le peuple qui en
subit les conséquences. Certes, les dirigeants syriens vont avoir du
mal à voyager et à profiter de l'argent qu'ils ont «honnêtement volé»,
pour reprendre l'expression d'un ami banquier. Pour autant, ils sauront
profiter de la mansuétude et du soutien de nombreux régimes à commencer
par le voisin iranien.
L'embargo, une mauvaise idée
Et, là aussi, on peut tirer un autre enseignement de cette situation.
Aujourd'hui, le système légal international est incapable de mettre en
place des sanctions qui toucheraient uniquement les dirigeants d'un
pays et pas leur peuple. Quoique prétende la Ligue arabe ou les
chancelleries occidentales, il est quasiment impossible de toucher les
dictateurs au portefeuille. Il y a trop de failles dans le système,
trop de complicités, trop de paradis fiscaux et trop d'intermédiaires
empressés qui sauront contourner les obstacles. Cela vaut aussi pour la
question de l'armement. Décréter un embargo à l'encontre du régime de
Bachar al-Assad n'aura guère d'influence sur le terrain. Et l'on peut
être sûr que de nombreux vendeurs de canons sont d'ores et déjà à Damas
pour vendre leur quincaillerie létale.
En réalité, dans ce genre de crise, il n'y a pas de solution idéale.
Assad est allé trop loin dans l'horreur pour pouvoir reculer. Il joue
donc la seule carte qui lui reste. Celle de la mise au pas sanglante de
son peuple en espérant que la communauté internationale finira un jour
par lui pardonner et normaliser ses relations avec lui. Bien entendu,
c'est un mauvais calcul car nous ne sommes plus dans les années
soixante-dix ou quatre-vingt quand son père pouvait faire détruire une
ville par son aviation sans que le monde ne réagisse ou ne s'indigne
vraiment. La chute d'Assad est inéluctable mais personne ne peut
prédire ni sa date ni son coût humain.
Une intervention militaire, un moindre mal ?
Et l'on en revient donc à l'intervention militaire. Alors qu'ils y
étaient opposés, de nombreux membres du Conseil national syrien (CNS)
commencent à changer d'avis. Bien conscients que cela peut déboucher
sur un chaos à la libyenne, ils estiment néanmoins que seule la force
fera plier la dictature syrienne. Peut-on pour autant soutenir une
telle option sans prendre le temps d'y réfléchir? Si le cœur parle,
alors oui, il faudrait une intervention immédiate et la destruction de
ce régime qui fait honte au monde arabe. Un régime qui prétend défendre
les Palestiniens en faisant mine de croire que le massacre de Tell
Zaatar a été gommé des mémoires.
Mais si la raison s'exprime, alors on s'oblige à une douloureuse
prudence. Il ne fait nul doute que les forces loyales au régime ainsi
que ses milices seront balayées en cas d'intervention étrangère. On
peut même penser qu'Assad et sa clientèle seront, au mieux, forcés de
fuir en Iran. Mais ensuite? C'est une lapalissade que d'affirmer que la
région est une poudrière. Que se passera-t-il au Liban? Que fera le
Hezbollah? Quel parti tirera Israël de la disparition de son «meilleur
ennemi»? Un ennemi très fort pour massacrer son propre peuple mais
incapable de récupérer le Golan… Toutes ces questions, effrayantes,
n'ont pas de réponse. Et ce qui se passe en Syrie fait plonger dans une
démoralisante impuissance.
Décembre 2011
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