«Tombé»
La déception des Soudanais jeudi après-midi à l’annonce du communiqué
des militaires a été à la hauteur de leur joie au réveil puis de leur
nervosité grandissante. Car la journée a été très longue pour eux.
Dès 5 heures du matin, l’information circule sur des
véhicules blindés pénétrant le complexe présidentiel où se trouvent la
résidence personnelle d’Omar el-Béchir et le quartier général de
l’armée. Peu après, confirmant les premières rumeurs d’un départ du
Président, la télévision nationale interrompt ses programmes pour
diffuser en boucle des chants patriotiques et militaires. Un bandeau
s’affiche à l’écran : «Importante annonce des forces armées sous peu.»
L’image figée restera une bonne partie de la journée. Dans les rues,
l’armée est massivement déployée aux principaux points névralgiques de
la capitale. Des foules de manifestants descendent dans les rues
célébrer cette première victoire. Cela fait des semaines qu’ils
demandaient la chute du régime et les voilà qui scandent : «Il est
tombé !» Ambiance festive. Les femmes poussent des youyous et les
voitures klaxonnent. Comme les jours précédents, le rassemblement est
massif devant le QG de l’armée où se tient une réunion décisive.
Les protestataires répondent à l’appel de l’Association des
professionnels soudanais (APS), le mouvement à l’initiative du
soulèvement entamé en décembre et qui oriente la contestation fait
montre d’un sens remarquable des responsabilités et de maturité
politique. Sur sa page Facebook, il lance ses recommandations aux
manifestants «de se montrer responsables, aux médecins et cadres
médicaux d’être sur place pour toute éventualité», aux commerçants et
aux «nobles filles et fils du Soudan» de procurer de l’eau potable
aux manifestants dans la rue.
Pendant ces longues heures d’attente, bonnes nouvelles et rumeurs
inquiétantes se succèdent. Les dirigeants du parti d’El-Béchir sont
arrêtés, dont plusieurs personnalités très proches du président
destitué.
Conclave
L’annonce de la libération de tous les prisonniers politiques à travers
le pays est confirmée par l’arrivée au milieu des manifestants en
liesse de Mohammed Naji al-Asam. Secrétaire général de l’APS et
figure de la contestation, le jeune militant était en détention depuis
le 4 janvier. Des informations filtrent de la réunion des
militaires signalant d’âpres discussions sur qui va diriger le Conseil
militaire de transition. Deux concurrents en présence. D’un côté le
premier vice-président et ministre de la Défense, Awad Benawf,
un pilier du régime très contesté par la mobilisation populaire,
qui insiste pour que les symboles du régime soient tous écartés. De
l’autre, l’ancien chef d’état-major Emadeddine Badawi, apparemment plus
acceptable.
Le conclave militaire prend fin au bout de huit heures d’attente.
L’apparition du général Benawf à l’écran préfigure de la déception des
opposants. Le ministre de la Défense annonce «le renversement du régime
en place», précisant que le chef de l’Etat est détenu en lieu sûr,
avant d’égrener les premières mesures post-destitution. «Ceux qui ont
détruit le pays et tué le peuple cherchent à voler le sang versé par
les Soudanais», réagit aussitôt le regroupement de l’opposition. «Les
forces de l’annonce de la liberté et du changement» appellent le peuple
à poursuivre son occupation devant le bâtiment de l’armée jusqu’à la
composition d’un pouvoir de transition civil. «D’ici là, rendez-vous
dans la rue qui ne trahit pas !» clame leur communiqué..
12
Avril 2019
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